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De la question du Hausa comme langue nationale au Niger : l’analyse d’Ali Zada

Ali Zada« Salam cher aîné. Qu'est-ce que vous pensez d'une telle réflexion dans ce contexte ? Merci de me revenir ».

Ce message me fut envoyé par un jeune frère, membre du groupe WhatsApp Islam & Développement, en ce jour du 07 avril 2025 où un certain article de la Charte de la Refondation relative à la consécration du Hausa comme langue officielle du Niger est en train d’enflammer les réseaux sociaux. Le frère a demandé mon avis sur un brillant article d’Ibrahim Maiga traitant du sujet. Je m’en vais donc dire ce que je pense de la question en simple citoyen nigérien et en enseignant qui traite de la problématique depuis quatre ans dans un cours intitulé « Leadership transformationnel de l’Etat » à Swiss Umef University de Niamey.

D’abord, qu’est-ce que le Hausa en tant que langue au Niger et dans l’espace ouest-africain ?

Plus que le parler d’une communauté ethnique, le Hausa est un outil de communication qui s’est distingué entre tous les autres dans son rôle de support au commerce et dans la diffusion de l’Islam. Les Dan Koli venus du Nigeria ont sillonné notre espace et ont initié toutes nos population au Hausa. Nos marabouts, à la tête de colonnes de talibés ont migré au Nigeria pour s’instruire dans la religion d’Allah, tout en apprenant le Hausa. Les Dan Tchiko qui faisaient le commerce de bétail ne pouvaient manquer de parler Hausa pour faire des affaires au Nigeria. Dans les relations politiques de voisinage, l’influence culturelle de Kebbi sur Dosso a familiarisé le Hausa dans cette contrée. Ainsi, l’architecture protocolaire de la cour du Zarmakoye a emprunté ses articulations au modèle Hausa. Les « Sarkin ceci et Sarkin cela » de la cours du Zarmakoye sont des emprunts de Kebbi. Je ne parlerai pas des forgerons de Kebbi immigrés à Dosso, ni d’un certain Bawa Maigoriba prince fuguant d’Argungu venu en mercenaire pour aider Dosso à faire face aux razzia et prétentions hégémoniques de certaines communautés. Je parlerai moins de cette composante de musiciens hausa immigrée à Dosso pour animer le cérémonial de la cour du Zarmakoy. Les instruments musicaux « Tandu » et « Algaïta » à Dosso sont des apports Hausa. De vieilles familles commerçantes Hausa ont initié le commerce, le Zarma de Dosso n’étant pas particulièrement enclin à cette activité à l’époque. C’est dire que le parler Hausa dans une communauté comme celle des Zarma de Dosso est un vieux fait qui ne date pas de l’ère coloniale.

Je n’ai pas la prétention de généraliser en pensant que les autres communautés linguistiques nigériennes eurent les mêmes rapports avec le Hausa. Loin de moi cette idée. Mais je crois savoir que chacune a sa propre expérience de l’apport culturel Hausa dans son organisation sociale.

Il se révèle que le Hausa, particulièrement en milieu Zarma de Dosso, est une langue d’élite. Ne le parlaient que ceux qui auront voyagé, qui pour le commerce, qui pour s’instruire en Islam.

De manière générale, en milieu urbain au Niger, qu’on le veuille ou non on parle Hausa. On ne l’apprend même pas. Il vient naturellement, sans efforts particuliers. Aussi, ceux qui jugent impertinent de consacrer le Hausa comme langue officielle sont donc, à tort ou à raison, en train de refuser une réalité.

Mais je pense surtout que le sujet a plutôt été mal introduit auprès de l’opinion nationale et surtout qu’il le fut frauduleusement, si tant est que la suggestion n’est pas de l’œuvre des Assises de la Refondation. Et à ma connaissance aucun débat ne fut ouvert au Niger sur ce sujet qui demeure un des nombreux tabous sur lequel la gouvernance se tait depuis des générations.


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La consécration d’une langue nationale n’a pas toujours été décidée par le consentement des peuples. Presque partout en occident, c’est la violence de l’Etat qui l’a imposée de par son choix pour une langue donnée et de par la négligence dont il frappe les autres afin de ne pas lui porter ombrage. Le cas de la Belgique qui n’arrive pas à trouver de compromis entre le français et le flamand relève justement d’un manque de rapport de force décisif d’un côté sur l’autre. Mais la Suisse, malgré sa taille en mouchoir de poche contenant pas moins de trois langues, a pu promouvoir dans la sérénité l’officialisation des principaux parlers de sa confédération.

Or donc, dans notre contexte, le débat a manqué et c’est de bonne foi que d’aucuns pourraient voir dans la suggestion une fraude institutionnelle. Au demeurant, peu de personnes pourraient d’ailleurs esquisser les attributs d’une « langue officielle » et cela ajoute à la trame complexe de la problématique. Faut-il donc un large débat national sur le sujet afin d’accorder les esprits.

Mais l’histoire post-conférence nationale du Niger porte en elle la motivation de certaines opinions non hausa à rejeter l’idée du Hausa comme langue officielle. J’ai toujours dit dans mes cours à l’université que le Hausa est une belle langue qui n’a pas encore trouvé de bons vendeurs. Il a toute la technicité et les emprunts à l’arabe et à l’anglais pour gérer un Etat dans toute sa complexité. Il s’impose naturellement dans les rapports sociaux et les échanges. C’est un fait naturel qu’il serait pour l’instant inapproprié de dénaturer en lui accordant une consécration politique que ses élites n’ont pas cultivée. Les élites hausa qui ont dirigé le Niger depuis 1991 n’ont pas vu venir ce jour où il faut se résoudre à choisir une langue nationale car c’est une réforme politique incontournable dans la marche d’un peuple vers sa souveraineté.

En effet la manière dont le « Tchandji Dolé » et le « Guri daidai lokaci » ont instrumentalisé l’ethnie et la région au service de leurs pouvoirs ne pourrait promouvoir sereinement le Hausa comme langue officielle auprès des autres communautés linguistiques. Le PNDS on le sait, n’a pas caché depuis ses initiateurs au Lycée National de Niamey, sa vision d’une « démocratie » construite sur la majorité ethnique et non celle des opinions. Ce parti a poussé la logique ethno-régionaliste jusqu’à faire de Tahoua et Illéla la première référence régionale au Niger. Les administrations publiques sont pleines de membres d’une seule communauté linguistique, consacrant une exclusion flagrante et systématique érigée en principe de gouvernance.

Qu’on se rassure donc, les réactions de rejet de la suggestion viennent plus du traumatisme causé par la gestion désastreuse de l’unité nationale par le PNDS qu’autre chose. Des gens ont traité une certaine communauté de « maudite », sans être inquiétés pour le moins du monde. Dans un tel climat, comment peut-on penser débattre sereinement d’une réforme linguistique ?

En outre, au vu de la situation sécuritaire à Tillabéri, je ne pense pas qu’il soit temps de prêcher auprès de ses populations l’idée d’enseigner le Hausa à leurs enfants, la priorité étant de sauver des vies, réinstaller des populations en détresse et réouvrir les classes après plus de cinq de fermeture. Il en va de même dans toutes les régions meurtries par l’insécurité.

L’unité nationale est sérieusement malmenée dans ce pays. Fort heureusement, c’est dans les cercles de l’élite dirigeante que le drame se joue, notamment autour du partage des ressources de l’Etat.

A toutes fins utiles, il faut se rappeler que Diori Hamani et Seyni Kountché (qu’Allah leur fasse miséricorde), ont légué un pays uni et un Etat fort au service de toutes les communautés. Ceux dans les mains de qui tous ces acquis existentiels se sont abimés portent une responsabilité historique et doivent avoir honte de leur leadership au lieu de prétendre à des mesures que le peuple n’attend pas encore.

Il faut sauver le Niger et redonner aux Nigériens l’espoir de vivre ensemble. Le vivre ensemble a pris de sérieux coups au Niger. Quand on n’est pas du côté des communautés non hausa on ne peut comprendre leurs ressentiments depuis le Guri. Tout le comprend ce qui se passe depuis la conférence nationale. C’est par pudeur et sens de la retenue que les gens se taisent. A ceux qui dirigent le pays de comprendre leurs errements et se ressaisir pour faire face à leur mission.

Il faut très certainement un débat national franc sur ce sujet, afin de contribuer à l’élan de pardon. Des élites Hausa les Nigériens attendent un leadership rassembleur et redistributeur pour tous, peu importe qu’elles tiennent le pouvoir pendant trente ans ou mille ans. C’est peut-être la mission qu’Allah leur a confiée en tant que groupe « majoritaire ». L’exclusion qui est la règle actuellement au Niger n’est pas le fait de grandes âmes. Les grandes âmes doivent penser à satisfaire les autres avant de se servir.

A mon humble avis, le sujet aura donc été introduit trop tôt. En tout cas les priorités du Niger sont ailleurs. Les réformes attendues sont surtout d’ordre économique dès lors que les Nigériens ont choisi de reléguer les partis politiques à l’oubli.

Le Général Tiani doit d’abord s’atteler au cours de ses cinq ans à lui octroyées par les Assises nationales, à rendre justice pour panser les plaies et apaiser les cœurs. Il doit promouvoir la sécurité et le bien-être partout sur le territoire national. Les maigres possibilités de l’Etat doivent profiter à tous les Nigériens sans « bara bara » et sans « namu ne », en attendant la création massive de richesse que promet le grand potentiel de ressources naturelles.

Le Niger est un pays béni. Attelons-nous aux priorités. La consécration du Hausa comme langue officielle viendra en son temps.

Ali ZADA
• Expert en politiques publiques
• Enseignant à Swiss Umef University de Niamey