Tungstène, cuivre et bauxite : trois ressources naturelles occultées par les mystifications géologiques françaises au Niger - Par Ali Zada
La France n’a pas que mis en place un système de pillage économique dans ses anciennes colonies africaines. Dans sa perfidie elle a en outre pris des mesures pour limiter sinon pour étouffer l’essor de toutes les ressources naturelles dont elle n’a pas immédiatement besoin et dont elle planifiait la valorisation dans les décennies à venir.
Mais avant d’aborder cette question, faut-il déjà évoquer les spécialisations économiques nationales qui nous furent imposées pour maintenir sur chacun de nos pays un semblant d’économie qui ne respire que par une narine. Ainsi, rares sont nos pays qui avaient pu disposer de plus de deux filières économiques d’exportation.
C’est ainsi qu’au Niger on a accordé l’uranium tout en le poussant à céder l’arachide pour ne pas gêner le Sénégal qui peinait à affronter le Nigeria sur le marché international de cette denrée. Au Mali, au Burkina Faso, au Bénin et au Tchad le coton fut approuvé. Au Togo le phosphate fait toujours son bonhomme de chemin. En Côte d’Ivoire le cacao et le café constituent encore l’ossature des exportations. Au Gabon le bois et le manganèse ont fait leur ère avant de l’uranium et du pétrole. Au Cameroun le roman d’Oyono « le vieux nègre et la médaille » donnait le ton de l’importance qu’accordait le colon au cacao. Et tous ces produits et leurs recettes d’exportation se retrouvent à la métropole, contre des cargaisons de FCFA.
Nos pays passèrent ainsi des décennies sans aucune initiative pour diversifier leurs économies. La raison est bien connue. Comme Tandja Mamadou qui avait ajouté du pétrole et une autre industrie d’uranium au panier, les dirigeants qui avaient tenté de diversifier la base d’exportation de leurs pays furent débarqués.
Ces économies mono-productives qui ne réinvestissaient pas dans l’agriculture et dans l’industrie ne pouvaient pas se solder par autre chose que le sous-développement. Je ferme la parenthèse.
Dans cet esprit mono-productif, la France a donc systématiquement freiné l’essor de nos industries extractives par diverses manières.
1. En frappant de discrédit les données géologiques que ses propres experts avaient produites de 1945 jusqu’aux années 1970. C’est ainsi qu’au Niger, les géologues de l’ancienne Commission de l’Energie Atomique (CEA) qui ont travaillé principalement dans la région d’Agadez, ont au fur et à mesure orienté leurs conclusions sur la seule ressource qui intéressait la France, notamment l’uranium.
On sait pourtant que c’est en prospectant le cuivre que l’uranium fut découvert à Agadez. Ainsi, les 130 indices de cuivre de la région d’Agadez perdirent subitement tout intérêt. Les indices sur lesquels les travaux étaient les plus avancés, faute de pouvoir les faire oublier, furent affublés de la conclusion fatidiques de « non économique ».
2. La France a pesé du poids qu’on lui connait sur nos pouvoirs politiques pour bloquer les projets de recherche minière, affaiblir les capacités nationales de recherche et focaliser la politique minière sur le seul uranium qu’elle exploitait. C’est ainsi que la dernière découverte minière au Niger date de 1984. Et depuis des décennies de ce black-out sur la recherche minière, l’institution nationale en charge du travail n’a fait que vivoter faute d’équipements de terrain, de laboratoire et de fonds de campagne. Notre pays était pourtant bien parti pour affirmer sa vocation minière de par un potentiel incommensurable, l’EMIG, l’EMAÎR et l’ONAREM qui n’avait pas d’égal dans la sous-région en matière de capacité de prospection minière. D’illustres compétences en sédimentologie, géophysique et géochimie ainsi que de bons techniciens foreurs miniers ont marqué leur temps. Mais la situation de l’institution est telle qu’aujourd’hui l’analyse de certains échantillons doit se faire à Ouaga.
L’abandon de cette institution qui a pourtant fait ses preuves dans la découverte de charbon, a conduit le pays à croiser les bras pour attendre que des investisseurs étrangers s’intéressent à notre géologie et à nos ressources naturelles. Quand ils daignent venir, ils n’amènent pas avec eux des experts mais ils les recrutent localement. Allez donc comprendre ce que nous vivons.
3. Des recommandations jamais suivies sur des indices sérieux rapportés par le Plan minéral de 1984, du fait du manque de financement pour le faire. En fait ce financement est désormais dévolu à la coopération internationale qui bien évidemment choisit ses centres d’intérêt. PNUD, Coopération française, Union européenne et JICA, ont entre autres été les partenaires de la recherche minière au Niger. L’activité fut donc abonnée à l’aide étrangère, conduisant petit à petit l’Etat à y inscrire des dépenses qu’il devrait mener souverainement. Il en résulte désormais :
• Des projets de recherche minière inachevés et abandonnés en vol, au prétexte d’insécurité, mais bien souvent par manque de vision des gouvernements pour certaines ressources comme le titane, la bauxite, le charbon, le phosphate, pour ne citer que ceux-là ;
• Le CRGM réduit à se regarder mourir à petit feu. Les rares activités de recherche minière sous-traitées en « tâcheronnat » par des investisseurs étrangers qui confient les tâches à des experts nationaux indépendants, en laissant le CRGM à son sort.
En bref, la mainmise française au Niger a réussi à déstructurer et ensuite à plomber lourdement la recherche géologique et minière.
La conséquence de cette entrave méthodiquement exécutée à la recherche minière est bien évidemment le maintien du statut d’indices sur près de trois cents gites miniers qui pourraient potentiellement être des gisements.
LES GISEMENTS DISPARUS…
Mais le sujet de cet article s’intéresse non plus à des indices, mais à des gisements mis en exergue par des géologues français et qui malheureusement, ceci expliquant cela, sont restés des « énigmes » pour les curieux comme monsieur Zada.
Je commence par rapporter cet article du Monde (Paris) faisant cas en 1962 de la découverte d’un « important » gisement de tungstène dans le massif de l’Aïr. Voici l’article et son lien, payant, je vous avertis :
« DÉCOUVERTE D'UN IMPORTANT GISEMENT DE TUNGSTÈNE
« Le Monde
« Publié le 01 août 1962 à 00h00, mis à jour le 01 août 1962 à 00h00
« Niamey, 31 juillet. - La découverte d'un important gisement de tungstène dans le massif de l'Air, dans la région septentrionale du territoire du Niger, serait prochainement confirmée à Niamey. Il semble néanmoins que le gouvernement diffère l'annonce officielle de cette découverte jusqu'à ce que soient connues toutes les conséquences, sur cette région de l'Afrique, de l'accession de l'Algérie à l'indépendance.
« Il est en tout cas significatif que les membres du gouvernement nigérien aient à plusieurs reprises récemment évoqué la nécessité d'une coopération économique entre États riverains du Sahara.
« D'autre part, on croit savoir qu'au cours du voyage privé qu'il a entrepris en France au début du mois, M. Diori Hamani, président de la République, a eu l'occasion de demander au général de Gaulle et à M. Pompidou un accroissement de l'aide militaire française au Niger. On craint en effet ici que le gouvernement algérien n'émette des revendications sur certaines régions sahariennes du Niger.
« Le Monde ».
En 1962, seuls des géologues français du CEA travaillaient dans le massif de l’Aïr, le Niger n’ayant pas encore créé une institution publique dédiée à la recherche minière.
Des géologues français ont donc découvert un « important » gisement de tungstène. On ne peut douter du scoop de ce journal parisien qui continue à être un média de premier plan en France.
Dans l’esprit de l’article, le gouvernement nigérien ne pouvait unilatéralement proclamer à la face du monde cet évènement, Paris s’en réservant l’autorité, le journal y voyait donc l’occasion d’un titre à sensation qui révélait les choses avant l’heure. Le contexte laissait entendre des problèmes avec l’Algérie qui accédait à son indépendance.
Le président Diori Hamani, paix à son âme, fit donc un voyage à Paris pour parler de tungstène et d’autres sujets d’intérêt pour notre république naissante. Mais depuis son retour, nul n’a parlé de tungstène. Au fil du temps, le Plan minéral de 1984 a vendu aux Nigériens les conclusions de ses analyses sommaires des données existantes sur la géologie et les indices miniers de l’Aïr, principalement sur le cordon ophiolitique et divers contextes géologiques d’un massif cristallin béni car recelant tout et tout, mais presque partout en indices « sans valeur économique ».
Ainsi, de monts à oueds du massif de l’Aïr, le tungstène s’est vu mélangé à de la cassitérite, du niobium, du titane, du béryllium, du molybdène, de l’or et de je ne sais quoi encore, dans un fourre-tout polymétallique où tous les métaux sont associés à tous les métaux et dont le but est de n’autoriser aucune perspective de valorisation. La littérature consacrée à ces métaux dans le massif de l’Aïr n’est compréhensible que par ceux qui l’ont produite, mais son intention évidente est de décourager toute exégèse visant à voir clair dedans pour envisager toute remise en question du statu quo sur les ressources, malgré des exploitations artisanales qui se déroulent dans la zone depuis 1945, pour alimenter des réseaux du Nigeria qui remontent à l’Europe.
Et pour enterrer le tungstène, l’uranium sortit du chapeau français pour occuper nos esprits pendant cinq décennies de féroce pillage économique. Il faut dire que l’épisode de l’uranium au Niger n’a pas eu de victime que le tungstène. L’immense gisement de fer de Dogal Kaina (Say), Djabou et Kollo évalué à plus de 1,2 milliards de tonnes d’un minerai titrant 45 à 55% de fer, avec plus ou moins 2% de phosphore, eut pu être un meilleur choix pour structurer le tissu industriel dont Diori Hamani avait les plans sur son bureau.
En effet, alors que l’uranium s’est révélé une industrie enclave sans aucun lien en amont et en aval avec des activités industrielles au Niger, le fer de Say eut pu donner lieu à toute une chaine de valeur dans les industries de production d’acier pour fournir au marché local des feuilles et profilés dont la production générerait plus de richesses et offrirait plus d’emplois.
La production d’acier eut certainement eu besoin d’énergie électrique que le barrage de Kandadji eut pu fournir, de coke métallurgique produit par un charbon de qualité qui n’eut pas manqué entre Abala et Tchirozérine et de chaux de déphosphoration que le calcaire de Karni (Malbaza) eut pu donner. C’est dire que Diori, s’il avait eu vraiment l’inspiration, eut pu implanter un complexe métallurgique à Say au lieu de signer pour l’uranium dont nous pleurons à chaude larmes les conséquences de l’exploitation. Son patriotisme jamais démenti et son courage à fleur de peau n’eurent pas reculé devant les injonctions et intimidations de la France.
Kountché pour sa part ne fut pas conseillé pour implanter des industries. Le fer n’a jamais retenu son intérêt et la France lui offrit la première télévision couleur de la région pour lui faire oublier le barrage de Kandadji.
Ceci dit, le tungstène est un métal classé stratégique. Un site scientifique parle du tungstène en ces termes :
• « Les applications industrielles des qualités particulières du tungstène sont très nombreuses. La plus répandue est celle des carbures de tungstène pour outils de coupe et de perforation. Le métal possède une bonne conductibilité électrique et thermique et son point de fusion très élevé permet de l'utiliser dans la fabrication des filaments de lampe à incandescence, des pièces de tubes à vide et pour les contacts électriques notamment dans l'industrie automobile.
• « Les propriétés spécifiques du tungstène en font un matériau clé pour les applications de haute performance. Le tungstène est utilisé dans un grand nombre d’industries, dont l’aérospatiale, l’électronique, la fabrication et la technologie médicale. Dans ces secteurs, le tungstène est utilisé pour les composants résistants aux températures : tuyères de fusée, éléments de four ou composants de lampe. Dans l’électronique, le tungstène est utilisé pour les contacts électriques et les électrodes en raison de son point de fusion élevé et de sa faible dilatation thermique. Dans la technologie médicale, le tungstène est utilisé entre autres pour la production de rayons X et la protection contre les rayonnements.
Il faut retrouver ce gisement caché de tungstène. Les archives de Diori doivent bien comporter des traces à défaut du fond du dossier.
OUBLIEZ LE CUIVRE, POUR QUE VIVE L’URANIUM !
Comme je l’ai dit plus haut, c’est en cherchant du cuivre que de l’uranium fut découvert par les Français. La France n’a pas réfléchi par deux fois en optant pour une ressources hautement stratégique qui conforterait son rang de puissance nucléaire montante. Le cuivre fut déclassé dans les centres d’intérêt.
Le Plan minéral de 1984 rapporte plus de 130 indices de cuivre dans la région d’Agadez. Au sud d’Agadez où les réserves de cuivre furent évaluées à la quantité insignifiante de 70 mille tonnes de minerai, on ne s’explique pas comment les données qui pourraient être considérées comme encourageantes soient instrumentalisées pour abandonner la prospection. Ainsi peut-on rapporter du Plan minéral ces propos :
« Les conclusions pessimistes sur l'intérêt économique du cuivre d'Agadez et l'arrêt préconisé des travaux (cf. Imreh, 1961b, pp.35 à 45) tiennent pour l'essentiel aux faits et interprétations suivants :
• Grande dispersion de la minéralisation ;
• Répartition irrégulière de la minéralisation, faiblesse et discontinuité des volumes minéralisés ;
• Recherche de la minéralisation non affleurante aléatoire, en l'état des connaissances, due précisément à sa grande dispersion qui nécessiterait des travaux considérables.
On n’a pas besoin d’être géologue pour réfuter le non fondé des arguments. Mais quelques lignes plus loin les auteurs donnent une autre appréciation :
« Ces conclusions négatives doivent être tempérées pour les raisons suivantes :
• Absence d'une connaissance détaillée du milieu de sédimentation dans lequel se sont déposées les séquences de la zone de transition porteuse de cuivre. Par la qualité de ses affleurements, l'étude détaillée de la structure de Teguidda in Adrar permettrait de palier à cette carence.
• Méconnaissance de la répartition exacte de toutes les occurrences minéralisées de surface sur la structure de Teguidda in Adrar et ailleurs, le long du contact Tchirezrine- Assaouas.
• Le lever de détail et l'évaluation des indices au Sud d'Agadez reste à entreprendre.
• La prospection du niveau IV a été négligée.
« Ces quatre points justifieraient à eux seuls la reprise de la prospection. Les données de surface pourraient être complétées par celles acquises par forages sous la plaine de l'Irhazer pour la prospection de l'uranium.
« Parallèlement au dosage du cuivre on réalisera systématiquement celui de l'argent, du vanadium, de l'or et du cobalt. »
Enfin, des géologues français contestent les données du BRGM sur le cuivre :
• « En 1974, Greigert propose une reprise de la prospection du cuivre précisément à partir des nombreuses données acquises par forage, par le CEA, concernant la stratigraphie du continental intercalaire. Il semble qu'aucune suite n'ait été donnée à ce projet.
• « La même année Katchinsky, dans un court rapport, contexte point par point les assertions pessimistes du BRGM, principalement en ce qui concerne l'évaluation des réserves et les difficultés inhérentes au traitement du minerai. Les conclusions optimistes de l'auteur, quant à la viabilité des gisements dans le contexte économique de l'époque ne semblent pas avoir induit de nouvelles études et le cuivre de la région d'Agadès n'a plus fait l'objet, depuis, de sollicitations particulières. »
Pour le moins, les conclusions sur le cuivre au sud d’Agadez sont ambiguës et le manque d’intérêt du Niger pour ce métal ne s’expliquerait que par l’inéligibilité du métal aux fonds de la coopération minière pour poursuivre les travaux, la main de la France n’étant jamais loin.
Le cuivre est un métal classé hautement stratégique. La recherche archéologique a montré beaucoup de sites de métallurgie du cuivre dans la zone sud d’Agadez. Si nos ancêtres pouvaient trouver du cuivre dans la région pour fabriquer des outils, que ne pourrions-nous trouver des gisements de ce métal avec tout ce que nous avons de géologues et de moyens techniques. Et si nos tâcherons extraient toujours du minerai de cuivre qu’ils exportent au Nigeria, qu’attendons-nous pour redonner les moyens au CRGM afin de nous tirer les conclusions attendues sur ce métal dont la présence indubitable pourrait révéler d’agréables surprises ?
UN GISEMENT DE BAUXITE DISPARAIT AU SUD DE GAYA
Un rapport de la Commission Economique pour l’Afrique (Nations Unies), daté du 22 décembre 1980, mentionne un gisement de bauxite pisolithique au sud-ouest de Gaya, vers la frontière du Nigeria. Après recoupement il semble que le site est dans la commune de Tounouga. Le Professeur Lawali Dambo de l’Université Abdou Moumouni, dans sa thèse de géographie sur les « Usages de l'eau à Gaya (Niger) : entre fortes potentialités et contraintes majeures » soutenue à l’université de Lausanne, évoque et cartographie un affleurement de la bauxite pisolithique dans le Continental Hamadien dans la même zone. L’évidence qui vient à l’esprit est bien-sûr que la CEA des Nations Unies dans une liste des pays recelant de la bauxite, ne peut évoquer le Niger sans des données minières formelles. Le fond du dossier est donc où ?
On extrait l’aluminium de la bauxite. L’industrie de l’aluminium est structurante pour beaucoup de secteurs d’activités comme le bâtiment, le mobilier, la construction métallique et l’automobile.
Que nous reste-t-il encore à découvrir que la France nous eût caché ?
J’invite nos géologues à s’impliquer dans l’œuvre de « redécouverte » de nos ressources naturelles. Chacun de son côté à un segment d’information que son expérience lui a donné sur un gite minier. Mises bout à bout, ces données pourraient nous conduire à mettre en exergue un potentiel qu’on nous cache.
Par Ali ZADA
Expert en politiques ;
Enseignant à Swiss Umef University de Niamey.