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Une saisine de la Cour pénale internationale pour crime d’agression des Chefs d’Etat et d’états-majors de la CEDEAO au Niger est-elle possible ?: Par Me AMANI Yahouza

Le Nigéria, le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Sénégal entre autres pays membres de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) sous la houlette de la France s’apprêtent à intervenir militairement au Niger pour restaurer l’ancien Président Bazoum dans ses fonctions à la suite du renversement de son régime par des forces de défense et de sécurité nationales.

 Deux options (diplomatique, militaire) sont diversement privilégiées ou soutenues par les instances régionales et internationales. Le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine dans son communiqué PSC/PR/1169 du 14 août 2023 s’inscrit entièrement à l’option diplomatique en des termes ci-après : 

 

  • Prend note de la décision de la CEDEAO de déployer une Force en attente et demande à la Commission  de  l'UA  d'entreprendre  une  évaluation  des  implications  économiques,  sociales  et sécuritaires du déploiement d'une Force en attente au Niger et d'en faire rapport au Conseil ; 
  • Salue  et  soutient  fortement  les  efforts  inlassables  déployés  par  la  CEDEAO  en  vue  du rétablissement pacifique de l'ordre constitutionnel dans la République du Niger ; et demande à la Commission de l'UA de nommer et de déployer un Haut Représentant pour encourager les efforts de médiation de la CEDEAO ; 
  • Porte des réserves sur les mesures et sanctions prises par des  chefs  d'État  et  de gouvernement  de  la  CEDEAO  sur  la  situation  politique  au  Niger, du 30  juillet  2023, concernant l'imposition de mesures punitives, tout en veillant à son application progressive et en minimisant son effet disproportionné sur les citoyens du Niger ; 
  • Rejette  fermement  toute  ingérence  extérieure  d'un  acteur  ou  d'un  pays  extérieur  au Continent  dans  les  questions  de  paix  et  de  sécurité  en  Afrique,  y  compris  les  engagements  de sociétés militaires privées sur le continent, conformément à la Convention de l'OUA de 1977 pour l'élimination du mercenariat en Afrique

 

L’initiative des options diplomatique et militaire n’émane pas des nouvelles autorités du Niger, lesquelles d’une part, adhèrent à l’option diplomatique pour marquer leur attachement à la paix et sa préservation et d’autre part s’opposent à toute intervention militaire extérieure. 

La présentation du cas du Niger sur la scène internationale se limite sur ces deux seuls registres de la gouvernance mondiale. Or, il y a une autre option qui s’offre aux nouvelles autorités du Niger pour rompre à la pratique ordinaire des règlements conflits.

L’option légitime et légale reste juridique à travers la saisine de la Cour Pénale Internationale (CPI) pour crime d’agression, infraction prévue et sanctionnée par le statut de Rome ratifié depuis lors ratifié par le Niger. 

La légalité des nouvelles autorités du Niger

Il est un principe coutumier international de reconnaître la qualité d’autorités légales aux nouvelles autorités issues de la prise du pouvoir politique par la force armée.

 L’histoire socio-politique africaine a été toujours marquée par ce principe, et la légitimité complémentaire pour exercer la plénitude du pouvoir d’Etat vient du soutien de la population.

Telle est la situation actuelle du Niger avec des militaires au sommet de l’Etat et des manifestations populaires de soutien constatées partout sur le territoire national. 

Toutes les réserves restent sans objet relativement aux décisions prises par ces nouvelles autorités. L’entrée en contact avec les nouvelles autorités par la Cedeao, l’obtention d’accord pour évacuer les ressortissants occidentaux, les nombreux précédents des coups d’état de la génération « couleur de la terre » sont bien des exemples illustratifs. 

Le crime d’agression du Niger par la Cedeao sous la houlette française

Le préambule du statut de Rome créant la Cour pénale internationale rappelle avec exigence les obligations internationales de tous les pays membres de l’Organisation des Nations Unies (ONU) de s’abstenir de recours à la menace ou à l’emploi de la force soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique, dans les affaires intérieures d’un autre Etat. 

Les Etats de la Cedeao et la France étant membres de l’ONU, donc, tout recours de leur part, à la menace ou à l’emploi de la force contre l’intégrité, l’indépendance politique et dans les affaires intérieures du Niger, autre pays membre tombe sous le coup de la qualification de crime d’agression. 

Le champ de qualification conformément à l’article 8 bis 1 et 2 et ses paragraphes suivants du statut de Rome est ouvert à la planification, la préparation, le lancement ou l’exécution de tout recours à la force, au blocus des ports (c) ; à l’attaque extérieure armée terrestre, aérienne, maritime (d) ;  à l’emploi des forces armées en stationnement au Niger avec son agrément mais en violations des accords signés, qui du reste, ont été dénoncés par les nouvelles autorités (e) ; à la permission du survol aérien pour mener des attaques contre le Niger (f) ; à l’envoi des bandes,  des groupes, des troupes irrégulières ou mercenaires armés contre le Niger (g). Les agissements constatés contre le Niger illustrent les éléments constitutifs de l’infraction de crime d’agression. Le Niger peut cumulativement saisir la CPI aux fins d’enquêtes contre les dirigeants politiques et Chefs militaires des pays précités. 

L’état de contextualisation favorable de la saisine de la Cour pénale internationale pour crime d’agression 

Tout recours à la force contre un Etat, son intégrité territoriale, ses dirigeants politiques dans les affaires intérieures doit être approuvé par le Conseil onusien de sécurité sur la base d’une résolution. 

Une de mes publications antérieures a traité entièrement de cette question sous l’angle juridique et ce serait une surcharge d’écriture d’y revenir. Il reste à aborder les préalables constitutionnels nationaux à tout déploiement armé à l’extérieur des pays agresseurs contre le Niger. 

En France, les opérations militaires extérieures sont certes prises par son Président  en conseil de défense avec l’obligation d’informer le parlement dans un délai de trois jours mais sans vote. 

Toutefois, au-delà d’une durée maximale de 4 mois, une autorisation parlementaire est obligatoire depuis la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 apportant des modifications à l’article 35 de la constitution. L’histoire récente des interventions militaires françaises extérieures révèle leurs échecs dans un court, moyen et long terme. Le Président français reste totalement handicapé avec une absence de majorité parlementaire depuis le début de son deuxième. La politique de défense de la France : les enjeux à l’horizon 2030,  reste irréalisable sur le plan budgétaire avec un gouvernement dépendant de la température de la représentation nationale dans son ensemble.  

Pour le Bénin, l’article 53 de la Constitution avec la  révision de novembre 2019 met en exergue le serment de Patrice Talon à œuvrer avec toute sa force pour la  recherche de la promotion de la paix, de la cohésion nationale et de la préservation de l‘intégrité du territoire national.

 Tout déploiement des forces armées béninoises pour entrer en guerre contre le Niger devient la négation de l’économie générale dudit serment. En outre, les articles 63 à 68 qui posent les conditions du recours des forces armées béninoises et de police n’ont pas prévu leur déploiement extérieur comme dans le cas du Niger et l’article 101 soumet l’obligation de déclaration de guerre à l’assemblée nationale. 

 Le traité de la Cedeao et ses protocoles subséquents contrairement à la charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples enchâssée dans la constitution du Bénin sont aussi des obstacles majeurs pour fonder toute intervention militaire extérieure. Sur le plan de l’ordre constitutionnel béninois, le Président Patrice Talon n’est pas une référence démocratique dans sa gouvernance politique.

 En effet, une culture de parodie de justice avec des condamnations et détentions contestables de l’ex garde des sceaux Reckya Madougou et du professeur de droit Joël Aïvo et bien d’autres en sont les preuves. 

Pour le Sénégal avec son Président Macky Sall en fin de mandat pour une courte durée restante de 6 mois, on peut citer à l’aise les condamnations systématiques des opposants politiques dont Ousmane Sonkho et l’absence de toute opposition politique considérée.

 Dans la Constitution avec sa révision de janvier 2001, il est clairement inscrit en son article 37 que le Président sénégalais est tenu de ne ménager aucun effort pour la réalisation de l’unité africaine. 

La participation du Sénégal à une quelconque intervention militaire contre le Niger, pays africain est contraire aux objectifs de l’unité africaine. L’article 96 de la  même constitution ajoute que le Sénégal ne peut faire partie à un accord d’association ou de communauté qui comprend l’abandon partiel ou total de sa souveraineté, que s’il permet de réaliser l’unité africaine. L’article 70 de la constitution exige l’autorisation de déclaration de guerre par le Parlement sénégalais. 

Pour la Côte d’Ivoire et à l’actif de son Président Alassane Ouattara, il y a toute une série suspecte de morts des anciens premiers ministres Amadou Gon Coulibaly et de Hamed Bakayoko en mars et juillet 2020. Aucune enquête indépendante n’a été ouverte pour savoir les causes réelles de ces morts suspectes et aussi pour situer les responsabilités. Dans ce pays également,  la déclaration de guerre est autorisée par l’Assemblée nationale en vertu de l’article 73 de la constitution. 

 Les articles 122 et 123 ne prévoient pas d’accord d’association avec d’autres Etats pour faire la guerre dans l’espace commun de la Cedeao sans compter les traitements contre toute conscience politique des opposants Laurent Gbagbo, Charles Blé Goudé et de Guillaume Soro comme bilan démocratique du Président Ouattara. 

Quant au Nigéria, le sénat a refusé toute autorisation d’entrée en guerre contre le Niger et les Etats fédérés du sud tout comme ceux du nord sont majoritairement opposés au déploiement des forces armées nigérianes contre le Niger, pays voisin où les liens historiques, culturels, religieux, économiques et sociaux ne sont pas à démontrer. Le contrôle de l’intégrité du territoire du Nigéria qui échappe à ses autorités politiques, les massacres de populations, le taux élevé des refugiés, les enlèvements avec des demandes des rançons, les complicités étatiques sont autant des préoccupations pour le Chef d’état du Nigéria. Il a décidé unilatéralement de fermer les frontières avec le Niger alors même que la liste des membres allant composer son gouvernement était aux débats d’approbation. Une telle décision porte atteinte au principe de séparation des pouvoirs dans la République fédérale du Nigéria.

Le déclenchement de la saisine de la CPI

L’article 4. 2 du statut de Rome donne compétence à la cpi pour exercer ses fonctions et  ses pouvoirs sur le territoire de tout état signataire de son statut comme le Niger, les autres pays de la Cedeao et la France. Le déploiement des forces armées contre le Niger dont tous les éléments annoncés suivant les conclusions des sommets extraordinaires des chefs d’état et de gouvernement sont publics, il est clair que le Niger a qualité aux fins de saisine même dans le cadre de la prévention du crime d’agression.

Le Procureur de la Cpi sur la base des articles 14 et 15 du Statut de Rome peut faire ouvrir des enquêtes sur la situation des conflits avec les autres Etats de la Cedeao. La constante de la jurisprudence récente pour le Soudan et la Russie est toujours d’actualité. 

 Il revient donc au parquet général de fournir tous les éléments servant à l’ouverture d’une enquête du Procureur de la Cpi au Niger et à ses frontières. Outre cette faculté, les nouvelles autorités du Niger peuvent de bon droit saisir le conseil de sécurité pour constater le crime d’agression sur la base des conclusions des sommets de la Cedeao et du commencement d’exécution du plan d’attaques et ce conformément à l’article 15. 7 du Statut de Rome. La constitution des forces armées, leur stationnement avec un état-major sont autant des indices concordants de crime d’agression.

Le Statut de Rome exclut toute immunité, toute erreur de fait, toute erreur de droit pour des Chefs d’état, des officiers et soldats qui se seraient rendus coupables de crime d’agression en application des articles 33. Les ordres hiérarchiques et de la loi manifestement illégaux n’exonèrent pas les coupables de leur responsabilité pénale et ce par référence à l’article 34. L’ordre attendu par la force militaire en attente sans respect des règles constitutionnelles précitées et sans aune résolution du conseil de sécurité est manifestement illégal. Pour rappel aux officiers et soldats qui seront engagés dans la guerre contre le Niger, son peuple et ses dirigeants, l’histoire a toujours rattrapé ceux qui vont à son encontre. 

Le droit n’existe que s’il est manifesté, la création de la Cour pénale internationale n’est pas une simple imagination. C’est en revanche, un organe de lutte contre les graves crimes de portée internationale et de prévention des conflits pouvant donner naissance à ces crimes, dont l’histoire de l’humanité en retient parfaitement sur tout ce qui heurte sa conscience au plus haut degré.

Notre conclusion est affirmative de la possibilité de la saisine de la Cour pénale internationale par le Niger pour crime d’agression en préparation et dont les auteurs, co-auteurs et complices sont déjà connus. Il revient au parquet général de réunir les faits d’appréciation et d’opportunité dans les paroles, gestes, agissements, rapports divers, actes, témoignages, entrevues, les comptes rendus d’unité d’enquêtes policières, les renseignements généraux, la doctrine, les législations et la jurisprudence abondante pour communiquer au Procureur de la Cour pénale internationale un dossier solide pour toutes fins utiles.

Par Me Amani Yahouza,
Avocat à la Cour et au Barreau de Niamey (Niger)