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Pourquoi l’Afrique ne décroche pas de prix Nobel de sciences : Par Gado Alzouma

Bien qu’elle compte plusieurs lauréats potentiels, l’Afrique est, cette année encore, totalement absente de la liste des prix Nobel scientifiques. Dans la recherche comme ailleurs, l’argent est le nerf de la guerre.

À l’exception notable de l’Égypte, qui peut se prévaloir d’un prix Nobel en chimie, et de l’Afrique du Sud qui en recense cinq en chimie, physiologie ou médecine, on ne compte en Afrique que des prix Nobel de littérature ou de la paix. À titre de comparaison, les États-Unis trustent la première place avec 296 lauréats, devant l’Allemagne et le Japon, avec respectivement 94 et 25 récompenses.

Beaucoup seraient tentés de trouver l’explication de cette piètre performance africaine dans un défaut, chez les nôtres, de « prédispositions pour les sciences » ou « d’esprit scientifique ». Il n’en est rien : la capacité à produire de la science et à faire des découvertes ne résident pas dans une quelconque « intelligence supérieure », dans un supposé « génie », dans de prétendues « prédispositions génétiques », dans « l’esprit » ou la culture des peuples…

Tous les êtres humains, à condition d’avoir reçu l’éducation nécessaire, ont une égale capacité de ce point de vue. Les deux facteurs les plus importants contribuant à la performance dans le domaine de la recherche scientifique et de l’innovation technologique sont le niveau de développement économique du pays – et, par conséquent, l’importance des ressources humaines et financières qui leur sont affectées –, ainsi que le nombre de scientifiques rapporté à la taille de la population générale.

Chercheurs et gros budgets

Les performances académiques ou scientifiques des différents pays ne résident pas dans des prédispositions innées supposées caractériser « l’esprit » de tel ou tel peuple. Elles résident d’abord et avant tout dans les conditions économiques, les moyens financiers et techniques dont disposent les institutions de recherche, ainsi que la qualité de l’éducation offerte aux membres d’une société. Aujourd’hui, la recherche scientifique se fait dans des laboratoires dont le coût s’élève à des centaines, voire à des milliers de milliards de nos francs. Certains de ces laboratoires sont si onéreux que des pays pourtant très riches doivent s’associer pour les bâtir et les faire fonctionner.

Les seules recettes d’exploitation d’Harvard avoisinent 6 milliards de dollars, soit près de la moitié du PIB du Niger

Aux États-Unis, le budget d’une université, d’un centre de recherche ou même d’un petit « college » est parfois plus élevé que le PIB ou le budget annuel de certains pays de plusieurs millions d’habitants. Par exemple, les seules recettes d’exploitation de l’université Harvard avoisinent 6 milliards de dollars, soit près de la moitié du PIB du Niger, un pays de 25 millions d’habitants. Quant au fonds de réserve de cette même université, il s’élève à 50 milliards de dollars, soit plus de onze fois le budget annuel de ce pays africain. Harvard, ce n’est pas seulement la rencontre de cerveaux exceptionnels, c’est surtout un budget inégalé.

Si certains pays moins riches font exception à la règle, comme la Hongrie et la Pologne, qui ont décroché respectivement 11 et 8 prix Nobel en sciences, c’est parce qu’ils affectent une part relativement importante de leur budget à l’éducation, à la science et à la recherche. En 2018, la Hongrie comptait 3 238 chercheurs pour un million d’habitants et la Pologne en recensait 3 106. Des chiffres au dessus de la moyenne mondiale (1150), même s’ils n’atteignent pas les niveaux de l’Allemagne et de la France (respectivement 5 212 et 4 715). Cette année-là, l’Afrique n’enregistrait que 198 chercheurs pour un million d’habitants – même l’Afrique du Sud et l’Égypte, qui sont parmi les pays les plus avancés sur le continent, n’en avaient formé respectivement que 518 et 687.

On observe ainsi une corrélation étroite entre d’une part le niveau de richesse des pays et d’autre part la qualité de leurs publications et le rang qu’occupent leurs universités et leurs chercheurs dans les classements internationaux. L’Unesco indique par exemple que 93 % des dépenses mondiales en recherche sont imputables aux seuls pays du G20. Ils sont par conséquent ceux qui sont scientifiquement et technologiquement les plus avancés. La probabilité pour un scientifique américain de décrocher un prix Nobel en sciences est donc infiniment plus élevée que pour un scientifique africain.

Pas de fatalité

Seul le développement économique permet de libérer toutes les potentialités contenues dans ce que certains (surtout à droite) appellent le « génie » d’un peuple. La capacité à investir dans la recherche scientifique est proportionnelle à la capacité à produire des brevets, à faire des découvertes et à trouver des solutions innovantes aux problèmes auxquels les populations sont confrontées.

On remarque d’ailleurs qu’un très grand nombre de prix Nobel américains sont d’origine étrangère. Beaucoup d’entre eux n’auraient certainement pas été récompensés s’ils n’avaient bénéficié des conditions offertes par les institutions de recherche américaines. Longtemps, la Chine n’a ainsi pas figuré parmi les pays les plus performants scientifiquement alors même qu’un nombre appréciable de citoyens étrangers d’origine chinoise étaient lauréats.

Il n’y a aucune raison pour que l’Afrique ne puisse pas se hisser au niveau atteint par la Chine

Si la Chine a une très longue tradition de découvertes scientifiques, occupe souvent le haut du podium dans les concours internationaux et si certaines filières les plus sélectives de prestigieuses universités américaines accueillent jusqu’à 80 % d’étudiants chinois, elle ne compte à ce jour que cinq prix Nobel en sciences, dont quatre en physique et un en physiologie-médecine, soit presque autant que l’Afrique du Sud. Mais il ne faudra sans doute plus très longtemps pour qu’elle rattrape son retard. Aujourd’hui que ce pays est devenu une puissance économique, sa production scientifique (le nombre de publications et d’articles les plus cités) est plus élevée que celle des États-Unis.

Il n’y a absolument aucune fatalité sur la voie du développement scientifique et technologique. Il n’y a aucune raison pour que l’Afrique ne puisse pas se hisser au niveau atteint par la Chine. Nous devons pour cela et comme Pékin, bâtir des économies puissantes, éduquer nos peuples, lutter contre les vieilles croyances et les superstitions et, surtout, promouvoir sans complexe l’esprit et la recherche scientifiques comme part intégrante de notre histoire et de notre culture.

Par Gado Alzouma

27 octobre 2021
Source : https://www.jeuneafrique.com/1