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Recherche agricole et changements climatiques au Niger : Un ‘’plan Marshall’’ pour remettre la barque INRAN à flot

Au Niger, l’INRAN, la plus importante structure gouvernementale de recherche agronomique est mal en point, et avec elle, la recherche scientifique qu’elle est censée produire ; notamment la recherche scientifique mettant en rapport la production agricole et le changement climatique. Une production scientifique de plus en plus irrégulière et dont seul un «plan Marshall» pourra remettre à flot.

Niamey, Corniche Yantala, à quelques encablures du fleuve Niger, trône la bâtisse qui abrite l’INRAN (Institut National de la Recherche Agronomique du Niger), le fleuron des instruments scientifiques nationaux de promotion des cultures semencières résilientes au changement climatique et de la sécurité alimentaire au Niger.

C’était le 7 janvier 1975 que l’INRAN  a été porté sur les fonts baptismaux. Son ambitieux cahier de charges décliné en plusieurs activités est chapeauté par une mission de la plus haute importance : être le fer de lance de la politique d’autosuffisance alimentaire dans le pays.

Le siège de l’IRAN tient en un bloc homogène, regroupant ses services techniques et administratifs, dans une «cohabitation» harmonieuse. Une cohabitation de près d’un demi-siècle, mise à mal, récemment, en 2020, par une «séparation» douloureuse qui a pour origine une inondation ; un sinistre dont le siège principal porte encore les stigmates. «C’est ce qui a conduit à la relocalisation du siège de la Direction Générale dans le siège du Centre Régional de Spécialisation en Élevage, », explique Dr Hamé Abdou Kadi Kadi, Directeur scientifique de l’INRAN.

200 mètres. C’est désormais la distance à parcourir pour rallier le siège principal de l’INRAN à l’édifice que squatte, depuis maintenant trois ans, la Direction Générale de l’institution ! Une délocalisation provisoire qui semble être en train de devenir définitive!

Les trois décennies suivant l’acte de naissance de l’INRAN ont été particulièrement fructueuses, du point de vue de la production scientifique, comme en témoigne les dates floquées en première de couverture ou en quatrième de couverture des périodiques, brochures, manuels, bulletins et rapports qui portent l’estampille «INRAN».

En 2001, 15 % des chercheurs de l’INRAN orientaient leurs recherches sur l’amélioration génétique des cultures, 15 % sur les sols et 10 % sur la lutte contre les parasites et les maladies végétales. Les chercheurs restants se consacraient en grande partie à l’étude d’autres cultures, à l’élevage et aux ressources naturelles. Une dévotion aux questions agricoles pertinentes et une veille active sur les questions de sécurité alimentaire… bref, le fruit de financements et d’apports budgétaires conséquents encadrés par une volonté politique active qui a pour nom PNRA : Projet National de Recherche Agricole ; un projet financé par un prêt de la Banque Mondiale. 

5,8 milliards de francs, soit 25,6 millions de dollars. C’est à cette ardoise que cumulait, à titre d’exemple, le montant des dépenses couvertes par l’INRAN, en 1998.

Dans les années 80 et 90, ce sont essentiellement le gouvernement nigérien, la Banque Mondiale (par des prêts) et des donateurs étrangers (par l’intermédiaire de l’aide au développement) qui ont contribué au financement du système national nigérien de recherche agricole, complété par l’aide des entreprises publiques et privées par le biais de contrats de recherche et d’activités de collaboration, et de ressources générées au niveau interne grâce à la vente de produits et de services.

L’USAID a aussi aidé dans des proportions importantes la recherche agricole nigérienne et a continué à financer des programmes sur le sorgho, le mil, les haricots, les dolics et la gestion des ressources naturelles dans les années 90 et au début des années 2000, dans quatre centres régionaux de
recherche agricole situés à Niamey, à Kollo, à Maradi et à
Tahoua.

1998, année marquant la fin du PNRA, a comme sonné la fin du glas de l’INRAN et de son règne sans partage sur le secteur de la recherche agricole de pointe et l’analyse des questions climatiques affectant le rendement agricole.

La cour de l’institution, qui d’ordinaire, grouillait de monde, de chercheurs et de scientifiques, venus de divers horizons, est depuis, de plus en plus, dégarnie.

A ce jour, l’INRAN compte 54 chercheurs et une vingtaine d’ingénieurs et de techniciens pour conduire des recherches agricoles sur les domaines agro-sylvo-pastoraux et halieutiques dont 80% de la population y dépendent. A titre de rappel, en 2001 l’institut employait 86 chercheurs  qui travaillent en  temps plein.

L’importante coupe budgétaire que l’INRAN subit entre 1998 et 1999 (près de 80 % de son budget total) et le départ de plusieurs de ses partenaires et soutiens financiers, avec pour corollaire la fin de plusieurs contrats, a encouragé l’exode massif de plusieurs chercheurs de l’institution. Et la saignée, pour l’heure, semble ne pas avoir de panacée, comme en témoigne la Note de Pays de Juillet 2010, sur l’évaluation de la recherche agricole : « D’autres quittèrent l’institut pour des emplois mieux rémunérés dans des organisations non gouvernementales ou internationales. Entre 2005 et 2008, l’INRAN voit son effectif total des chercheurs titulaires d’un doctorat passer de 26 à 17 ». Toute chose que reconnaît et déplore le Directeur Scientifique de l’INRAN, Dr Hamé Abdou Kadi Kadi : « Le nombre de chercheurs est très en deçà de ce qui est requis pour couvrir les différents thèmes de la recherche agronomique ».

Une partie des employés les plus expérimentés de l’INRAN est allée vers d’autres institutions, plus offrants, faire valoir leur savoir-faire, laissant leur ancien employeur  dans une situation où il n’avait d’autre choix que de mettre fin à plusieurs programmes et activités de recherche, même ceux ayant un lien avec le changement climatique et la sécurité alimentaire. Les seuls programmes restants sont ceux qui aident l’INRAN à générer suffisamment de fonds au niveau interne pour continuer à fonctionner. Le manque d’importants projets de donateurs se profilant à l’horizon ont presque mis fin à la capacité de l’INRAN de fonctionner, faisant planer sur plusieurs de ces acquis des risques avérés.

La Note de Pays, Juillet 2010, de l’évaluation de la recherche agricole, précise bien qu’entre 1990 et 2010, l’INRAN recevait un montant annuel fixe de 500 millions de francs CFA du gouvernement Nigérien. Un montant qui couvrait à peine la masse salariale qui, alors, cumulait à près de 611 millions de francs CFA en 2008. Ce montant a certes évolué, comme l’indique le Directeur scientifique de l’INRAN, Dr Hamé Abdou Kadi Kadi, pour atteindre en moyenne 1,5 milliards de francs CFA, mais cette cagnotte est toujours dévolue aux charges salariales. Les autres charges, quant à elles, sont couvertes par les fonds générés à travers les efforts de mobilisation internes des ressources, précise Dr Hamé.

« Les défis liés à la recherche agricole au Niger sont, les moyens très limités, une multitude de contraintes à relever, dont le manque de ressources financières allouées pour la recherche et l’insuffisance des ressources humaines », explique Dr Hamé Abdou Kadi Kadi, Directeur scientifique de l’INRAN.

La fin du PNRA a rendu l’avenir financier de l’INRAN très incertain et l’a plongé dans une situation précaire qui persiste à ce jour, perturbant gravement le calendrier des recherches et des publications sur le changement climatique et le rendement agricole de l’institut. Cinq programmes de recherche ont pris fin du fait du manque de financement et les salaires des chercheurs ne sont plus payés sur une base mensuelle, ce qui ne fait que renforcer l’exode du personnel très qualifié précédemment mentionné (INRAN 2003). L’INRAN se concentre actuellement sur des programmes de recherche susceptibles de générer des fonds permettant à l’institut de continuer à fonctionner.

« La situation de la chute continue pour les dépenses consacrées à la recherche et le développement (R&D) agricole au Niger car les financements proviennent principalement des activités des collaborations bilatérales, régionales et aussi à travers les organismes internationaux », souligne Dr Hamé Abdou Kadi Kadi, Directeur scientifique de l’INRAN. 

Conséquence directe : la recherche scientifique sur les questions agricoles et le changement climatique, produite par l’INRAN connaît à la fois un dépérissement et une irrégularité (publication). 

L’INRAN demeure à ce jour, la principale institution publique de recherche agricole et de développement du Niger du moins en parcourant la mission dont il est investi, notamment en ce qui concerne la recherche sur les menaces à la sécurité alimentaire, y compris les aléas des changements climatiques. C’est donc un acteur clé dans la mise en œuvre de la stratégie et du plan national d’adaptation aux changements climatiques dans le secteur agricole, notamment à travers des recherches sur les variétés à cycle court, résistantes aux stress hydriques.

Le PNRA a été pour l’INRAN, une sorte de rampe de lancement, qui lui a permis de porter assez haut les espoirs des politiques et des populations nigériennes. Aujourd’hui, privé du PNRA, l’INRAN a perdu de sa superbe et de son aura. Et auprès de plusieurs Nigériens, les espoirs que cette institution de recherche portait ont été assombris ou émoussés par la ‘tragédie’ financière qu’elle traverse. Mais, ces espoirs demeurent encore vifs, dans l’esprit et le cœur de plusieurs autres Nigériens, qui, comme Dr Hamé Abdou Kadi Kadi, Directeur scientifique de l’INRAN, tient la barre, comme un timonier dont l’embarcation traverse la tempête.

Au moment où le monde entier subit de grands bouleversements du fait des changements climatiques qui affectent la production agricole et menacent la sécurité alimentaire, une situation dont le Niger n’est d’ailleurs pas à l’abri, Dr Hamé Abdou Kadi Kadi et la petite unité dont il a le ‘commandement’ ne désespèrent pas. Ils espèrent voir la mise en place d’une sorte de ‘plan Marshall’ qui permettra à l’INRAN de rebondir et de monter sur ses grands chevaux. Un plan Marshall similaire au PNRA, qui, s’il voit le jour, décuplera très certainement les forces de l’INRAN.

Par Oumar Issoufou(onep)

Source : http://www.lesahel.org