Le Nigérien de la semaine : M. Yayé Assoumi
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Yayé Assoumi, né le 20 mars 1964 à Dosso. Issu d’une famille attachée à l’éducation et au partage, j’ai grandi dans un environnement où l’apprentissage occupait une place centrale. Aujourd’hui, je vis à Gembloux, en Belgique, où je concilie engagement professionnel, associatif et vie familiale.
Quel a été votre parcours académique et professionnel ?
J’ai intégré le Centre de Formation des Cadres de l’Alphabétisation (CFCA) en 1981 et ai fait partie de la promotion 1981-1984, axée sur l’innovation pédagogique. J’ai enseigné en zarma dans des écoles expérimentales de 1984 à 1987(Dosso, Gamkalé, et Gaya), avant de devenir encadreur pédagogique en mathématiques à l’École Normale de Dosso (1997-2004).
En Belgique, j’ai suivi une formation spécialisée pour devenir inspecteur en nettoyage et ai repris mes études à l’Université Catholique de Louvain (2008-2012). J’ai ensuite obtenu un master en politique économique et sociale à la FOPES-UCL, une opportunité rendue possible par un examen d’entrée qui m’a permis de contourner les difficultés d’équivalence des diplômes nigériens en Belgique.
Vous avez été vice-président de l’ARNIBEL. Pouvez-vous nous en dire plus ?
J’ai été élu vice-président de l’Association des Nigériens de Belgique (ARNIBEL) en 2010. L’association vise à renforcer la cohésion entre Nigériens et à promouvoir la culture du pays. Nous avons obtenu un local pour les activités communautaires et facilité l’acquisition de parcelles à Niamey pour la diaspora. L’organisation d’une journée culturelle annuelle à Bruxelles a permis de valoriser notre patrimoine à travers la musique, la danse et la gastronomie.
Chaque année, une journée culturelle est organisée à Bruxelles, et plusieurs régions ont également leurs propres manifestations culturelles. Feu El Hadj Kangay avait créé une troupe artistique qui était pour nous une véritable fierté nationale.
Mon engagement s’est également étendu au Haut Conseil des Nigériens de l’Extérieur (HCNE), section Belgique, en tant que secrétaire général. Aujourd’hui, je suis secrétaire général du Comité des Sages, organe consultatif accompagnant les initiatives de la communauté nigérienne en Belgique.
Vous êtes également actif dans une association dédiée à la culture songhaï. Pouvez-vous nous en parler ?
L’Association Culturelle Internationale (ACI Ga Beero) se consacre à la préservation et la promotion des langues et cultures africaines, en particulier le zarma-songhaï-dendi. Nous avons initié un programme d’apprentissage du zarma pour les jeunes de la diaspora à Liège et Bruxelles, avec des cours en présentiel et en visioconférence.
Notre approche inclut aussi les traditions culinaires, les coiffures et tresses traditionnelles, ainsi que les danses et chants populaires. L’objectif est d’ancrer les jeunes dans leur héritage culturel tout en s’adaptant aux réalités contemporaines.
Quels sont les défis majeurs pour les Nigériens en Belgique ?
Malgré une communauté bien organisée, le défi majeur réside dans la mobilisation durable et la cohésion. Il est essentiel de travailler collectivement autour d’objectifs communs, en évitant les divisions et en favorisant des initiatives bénéfiques à tous.
Les associations doivent être perçues comme des plateformes d’action collective, et non comme des tremplins individuels. Avec un esprit de coopération et de transparence, la communauté pourra se structurer et prospérer davantage.
Vous avez été enseignant au Niger. Qu’est-ce qui vous a motivé à poursuivre cette vocation en Belgique ?
Une fois éducateur, toujours éducateur ! L’enseignement est une vocation qui me suit partout, portée par mon attachement profond aux langues nationales. Plus qu’un simple moyen de communication, la langue est un vecteur d’identité, de culture et de transmission intergénérationnelle.
En Belgique, j’ai constaté que de nombreux jeunes Nigériens de la diaspora peinaient à maîtriser leur langue maternelle, rendant parfois les échanges difficiles avec leurs aînés. Ce constat a renforcé ma volonté d’enseigner le haoussa et le zarma, non seulement pour transmettre des connaissances linguistiques, mais aussi pour réveiller une fierté et un attachement à la culture nigérienne.
À travers ces cours, mon objectif est simple : permettre aux jeunes de se réapproprier leur héritage linguistique et culturel, tout en leur offrant un lien plus fort avec leurs racines et leur communauté.
Les cours de langue haoussa et zarma ont lieu les dimanches et suivent une approche progressive adaptée au niveau des apprenants :
- Alphabet : reconnaissance des lettres et des sons spécifiques.
- Transcription des mots : écriture et lecture avec un accent sur la prononciation.
- Construction de phrases : élaboration progressive pour favoriser l’expression orale et écrite.
- Lecture et compréhension : exercices pour améliorer la fluidité et la compréhension.
Au-delà de la langue, nous intégrons une dimension culturelle essentielle :
• Traditions culinaires : découverte des plats et vocabulaire associé.
- Coiffures traditionnelles : styles, signification et transmission.
- Danses et musique : initiation aux rythmes et chants traditionnels.
- Contes et légendes : récits porteurs de valeurs et d’enseignements.
Cette approche immersive permet aux apprenants de vivre la langue en lien avec leur héritage culturel, renforçant ainsi leur identité et leur attachement à leurs racines.
Quels retours recevez-vous des jeunes et des familles ?
Beaucoup de familles perçoivent encore l’apprentissage des langues nationales comme un frein à la réussite, mais les enfants s’enthousiasment lorsqu’ils commencent à maîtriser des notions simples. Cette fierté d’apprendre renforce leur estime de soi et suscite même l’intérêt de certains parents, qui réapprennent avec eux.
Nous favorisons un apprentissage ludique à travers les chansons, les devinettes et les contes, ce qui rend la langue vivante et agréable à assimiler.
Les jeunes Nigériens nés en Belgique ressentent-ils le besoin de se reconnecter à leurs origines ?
Oui, surtout lorsqu’ils se rendent au Niger. Beaucoup d’entre eux rencontrent des difficultés à communiquer avec leurs proches, ce qui peut générer un sentiment d’exclusion. Ils réalisent alors que la langue est un élément essentiel de leur identité et souhaitent réapprendre.
C’est pourquoi l’enseignement des langues nationales est crucial pour maintenir un lien fort avec leur famille et leur culture, tout en facilitant leur intégration lorsqu’ils visitent le Niger.
Comment voyez-vous l’évolution de la communauté nigérienne en Belgique ?
La diaspora nigérienne de Belgique, malgré tout, s’impose comme l’une des meilleures et des plus dynamiques au monde. Son évolution témoigne de son potentiel et de sa résilience. Pour en exploiter pleinement les forces, il est essentiel qu’elle se structure autour de leaders unificateurs. Un leadership efficace repose sur une vision collective, l’écoute et la coopération. Il convient de renforcer la coordination entre les associations et d’encourager l’émergence de figures engagées et respectées, capables d’inspirer et de fédérer la communauté autour d’objectifs communs.
Avez-vous un message pour les Nigériens de la diaspora ?
Préserver sa culture n’est pas un frein, mais une force. Nos racines sont une richesse qui nous permet de mieux nous intégrer tout en restant ancrés dans notre identité. J’encourage chaque Nigérien de la diaspora à transmettre nos valeurs et traditions aux jeunes générations.
Comme le dit l’adage, "le séjour d’un tronc d’arbre dans l’eau ne le transformera pas en crocodile". Peu importe où nous vivons, nos origines restent une partie essentielle de nous-mêmes. Les préserver nous permet d’évoluer avec plus de confiance et de dignité.
Pour échanger avec Yayé Assoumi : yaye_
Réalisée par Boubacar Guédé (Nigerdiaspora)