Damouré Zika : acteur, pionnier du cinéma nigérien et figure de la santé populaire
À la croisée de la médecine traditionnelle et du cinéma africain naissant, Damouré Zika incarne une figure unique du Niger entre les années 1960 et 1980. Guérisseur respecté, acteur autodidacte et collaborateur fidèle de l’ethnologue Jean Rouch, il a marqué l’imaginaire collectif et laissé un héritage aussi vivant que multiple.
Un fils du fleuve, entre tradition et parole
Né vers 1923 à Niamey, Damouré Zika grandit au sein d’une famille songhaï-zarma de guérisseurs traditionnels. Dès son plus jeune âge, il apprend les secrets des plantes, les rituels de soins et l’écoute des souffrances, dans une tradition orale riche de savoirs. Il devient rapidement un praticien reconnu dans la capitale, où son art du soin s’accompagne d’une éloquence naturelle et d’un profond ancrage culturel.
C’est au début des années 1940, au bord du fleuve Niger, dans l’ancien quartier Gaweye à Niamey, que Damouré Zika rencontre Jean Rouch, alors jeune ingénieur des Ponts et Chaussées en passe de devenir ethnologue. Celui-ci mène ses premières recherches sur les populations riveraines du fleuve. De cette rencontre naît une amitié durable et une aventure artistique qui bouleversera les codes du cinéma documentaire.
Le cinéma par la voix libre de l’Afrique
Avec Jean Rouch, Damouré Zika participe à une série de films pionniers qui marient documentaire ethnographique et fiction improvisée. Dans "Jaguar" (1954, finalisé en 1967), il incarne un jeune Nigérien partant pour la Gold Coast, dans une œuvre qui interroge migrations, identité et modernité. Son humour, sa vivacité, son regard critique sur les sociétés africaines et occidentales captivent les spectateurs.
Aux côtés de ses complices Lam Ibrahim et Tallou Mouzourane, il joue aussi dans "Moi, un Noir" (1958), "La Pyramide humaine" (1961) et "Petit à petit" (1971). Ensemble, ils inventent une forme d’expression cinématographique inédite, où l’Africain n’est plus objet d’étude, mais acteur, commentateur et créateur de son propre récit.
Ces films, salués à l’international, contribuent à ouvrir la voie à un cinéma africain "décolonisé", ancré dans les réalités sociales, mais empreint de liberté, d’ironie et de poésie.
Un soignant engagé, une voix populaire
En parallèle de sa carrière cinématographique, Damouré Zika poursuit son activité de tradipraticien à Niamey. Il soigne les corps et les esprits, transmet les savoirs de ses ancêtres et se fait éducateur populaire. Il anime notamment des émissions de radio sur la santé et les pratiques traditionnelles sur Voix du Sahel, vulgarisant avec simplicité des connaissances utiles à tous.
Figure familière de Niamey la capitale, il incarne une synthèse rare entre savoir traditionnel et modernité, entre engagement communautaire et culture populaire. Son influence dépasse le cadre médical pour toucher au vivre-ensemble, à la dignité et à la fierté d’être nigérien.
Une école de santé publique à son nom : reconnaissance nationale
En 2016, l’État nigérien décide d’honorer sa mémoire en attribuant son nom à l’École Nationale de Santé Publique de Niamey, désormais appelée ENSP Damouré Zika (ENSP/DZ).
Héritage d’un homme libre
Damouré Zika s’éteint le 6 avril 2009 à Niamey dans le quartier Lamordé, laissant derrière lui une œuvre rare, à la fois cinématographique, sociale et médicale. Par sa voix, son regard, son humour et sa science du soin, il a transmis un message fort : celui d’une Afrique qui s’exprime, qui soigne, qui crée et qui se raconte elle-même.
Son nom reste aujourd’hui celui d’un homme libre, qui a incarné avec dignité l’alliance entre modernité et tradition, parole populaire et action sociale. Il reste une source d’inspiration pour le Niger d’aujourd’hui, et un pont vivant entre mémoire et avenir.
Boubacar Guédé (Nigerdiaspora)