Ressources naturelles et inégalités : comprendre le paradoxe économique du Niger - Par Hamma HAMADOU
Duo-décennie de croissance économique record… mais pauvreté en hausse : le paradoxe d’un pays piégé par ses ressources naturelles et un modèle de développement qui profite à quelques-uns, mais appauvrit la majorité.
Imaginez un pays où l’économie croît deux fois plus vite qu’en Chine, mais où la population s’appauvrit année après année. Un pays où des milliards de dollars générés par le pétrole, le gaz et les mines n’alimentent ni les hôpitaux, ni les écoles, ni les routes…
Bienvenue dans l’un des paradoxes les plus criants du développement : une nation rurale, dont la grande majorité des habitants survivent grâce à une agriculture de subsistance, et qui semble prisonnière de ses propres richesses.
J’ai vu des jeunes monter des startups de transformation agricole… sans accès à l’électricité.
J’ai vu des PME refuser des commandes internationales… faute de prêts abordables.
J’ai vu des voisins industrialisés acheter notre oignon, nos céréales et notre bétail à bas prix… pour nous revendre des biens à prix d’or.
C’est l’histoire d’un pays assis sur une mine d’or, mais dont les enfants ont parfois faim.
C’est l’histoire d’un pays riche en ressources, mais pauvre en opportunités pour sa jeunesse.
C’est l’histoire d’un pays où 80 % de la population cultivent la terre, mais où l’eau manque à chaque saison.
C’est l’histoire d’un pays endetté, mais débordant d’une jeunesse prête à relever les défis.
Je veux vous parler ici des paysans qui nourrissent le pays, mais ne nourrissent pas leurs enfants.
Je veux vous parler ici des jeunes diplômés qui vendent des téléphones portables dans la rue, faute d’usines.
Je veux vous parler ici des femmes qui parcourent 10 km pour de l’eau, alors que le sous-sol regorge de richesses.
Une croissance en trompe-l’œil
Depuis treize ans, les statistiques officielles font rêver : une croissance annuelle moyenne de 7%, largement portée par les industries extractives. Des multinationales forent, exploitent, exportent. Pourtant, dans les campagnes, rien ne change.
« Avant, on cultivait pour nourrir nos familles. Aujourd’hui, c’est la même chose, mais avec moins de terres et plus de dettes », m’a témoigné un agriculteur à la foire Sahel-Niger 2025.
Le problème ? Cette croissance ne crée presque pas d’emplois, ne dynamise pas les marchés locaux, et n’améliore pas les services publics. Les recettes des mines ou du pétrole atterrissent dans le patrimoine des actionnaires des multinationales, un peu dans les poches d’une élite locale, un peu dans les caisses de l’État… mais disparaissent aussitôt dans un gouffre budgétaire.
Résultat : des déficits chroniques, une dette qui explose, et une pression fiscale qui, elle, s’effondre (de 16% à 9,9%, en treize ans).
La « malédiction des ressources » qui touche 1/3 des pays riches en minerais ou hydrocarbures
Pourquoi un tel échec ? Les experts pointent un phénomène bien connu : la « malédiction des ressources ». Quand un État dépend trop des industries extractives, il néglige le reste de l’économie et oublie de taxer équitablement », nous expliquent les économistes.
Les rentes minières ou pétrolières, souvent versées en devises étrangères, donnent l’illusion de richesse. Mais elles rendent aussi paresseux : à quoi bon investir dans l’éducation ou collecter l’impôt, quand l’argent coule sans effort ?
Sauf que cet argent, volatile, dépend des cours mondiaux. Quand les prix chutent, comme en 2012, pour l’uranium ou en 2014, pour le pétrole ou encore en 2020, pendant la pandémie COVID-19, le pays se retrouve à sec.
Pour combler le trou, il emprunte… et la dette devient étouffante.
Un État affaibli, des inégalités qui se creusent
Dans ce cercle vicieux, les premiers perdants sont les citoyens. La baisse de la pression fiscale signifie moins d’écoles, moins de centres de santé, moins d’infrastructures. L’ascenseur social est en panne.
« L’État ne nous sert plus à rien, si ce n’est à signer des contrats avec des entreprises étrangères », déplore une cousine enseignante qui travaille en zone rurale.
Pire : les industries extractives accaparent souvent terres et eau, menaçant l’agriculture de subsistance. Les conflits se multiplient, tandis qu’une petite élite, proche du pouvoir, profite des contrats juteux.
« C’est un système qui nourrit la corruption et le clientélisme », résume un ami activiste de la société civile.
Aujourd’hui, nous posons la question :
- Comment écrire un nouveau chapitre ?
- Comment transformer cette richesse dormante en emplois, en nourriture, en fierté nationale ?
- Comment briser le cycle de la dépendance aux importations ?
- Comment faire de nos minerais une usine, de notre gaz une école, de notre pétrole un hôpital ?
- Comment libérer l’énergie de millions de jeunes condamnés à l’informel ou à l’exil ?
- Comment bâtir, ensemble, une économie qui nourrit avant de spéculer ?
La solution ne passe pas par la fermeture des mines ou des puits de pétrole, mais par une gestion transparente et visionnaire. Plusieurs pays, comme le Botswana (diamants) ou la Norvège (pétrole), ont montré qu’il est possible d’éviter le piège.
Le choix est :
- de transformer nos minerais en usines, nos champs en greniers, et notre jeunesse en moteur de croissance.
- de libérer l’accès au crédit pour les PME, non pas avec des mots, mais avec un fonds de garantie concret.
- de réorienter chaque franc issu du pétrole ou de la mine vers des hôpitaux et des écoles, pas vers des dettes opaques.
- de multiplier les corridors avec nos voisins pour désenclaver le pays, car une route ouverte est une économie qui respire.
La question n’est pas "Pouvons-nous ?", mais "Voulons-nous ?"
Et la réponse est claire : l’inaction n’est plus une option.
La génération actuelle n’a pas besoin de pitié, mais d’outils :
- Des coopératives modernisées : Mutualiser les achats d'intrants et la commercialisation.
- L’agro-industrie : Multiplier les incubateurs pour startups de transformation alimentaire (ex : emballage, conservation).
- L’eau avant l’or : Engager un plan choc d’irrigation financé par une taxe sur les mines et le pétrole.
- L’irrigation d'urgence : Distribuer des pompes solaires et des systèmes d'irrigation low-tech (ex : goutte-à-goutte) aux petits agriculteurs.
- La constitution de stocks stratégiques : Créer des réserves alimentaires locales pour atténuer les pénuries, financées par l’État et/ou des partenaires internationaux.
- Des subventions ciblées : Soutenir l'accès aux semences résilientes et aux engrais via des coupons électroniques.
- La création d’un guichet unique digital pour la création d’entreprises : Simplifier les procédures d'entreprise et les permis via une plateforme en ligne.
- La mise en place de tribunaux commerciaux spécialisés : Former des juges spécialisés et accélérer les litiges économiques.
- L’accès facile au crédit pour les jeunes : Créer un crédit garanti pour les entrepreneurs, sans paperasse.
- Un fonds de garantie public : Couvrir par exemple 50-70% des risques pour les prêts aux PME-PMI et jeunes entrepreneurs.
- La microfinance mobile : Déployer des services bancaires via téléphonie mobile (ex : M-Pesa au Kenya).
- Des corridors énergétiques : Des panneaux solaires le long des routes pour alimenter les villages.
- Un pacte régional : Échanger du pétrole contre des machines-outils avec nos voisins.
- La diversification des corridors régionaux : Négocier avec les pays voisins pour des accords de transit facilités (ex : chemin de fer vers un port maritime).
- La formation avant l’exploitation : Exiger que les multinationales forment par exemple 1 000 techniciens locaux par an.
- Des universités techniques : Former aux métiers de l'industrie, du pétrole, des mines, de la recherche géologique et des nouvelles technologies.
- Une politique industrielle ciblée : Soutenir des niches compétitives (ex : produits agricoles, textile, ou composants électroniques low-cost).
- L’intégration régionale au sein de l’Alliance des États du Sahel : Harmoniser les normes et taxes au sein de la Confédération pour créer un marché unique.
- Des universités techniques bien équipés : Former aux métiers de l'industrie, des mines, et des nouvelles technologies.
- Le développement des instituts stratégiques en « R&D ».
- Des partenariats public-privé stratégiques et opportuns : instituer des stages obligatoires en entreprise pour les étudiants.
- Une décentralisation intelligente : Transférer des budgets aux régions pour des projets adaptés aux réalités locales.
- Une juste implication de la diaspora : Mieux valoriser les compétences de la diaspora dans les investissements capitalistiques et les emplois experts.
- La révision du cadre législatif et fiscal : Adopter une règlementation stricte sur le contenu local et les revenus fiscaux dans les industries extractives.
- Des audits indépendants à volonté dans le secteur des ressources naturelles : Rééquilibrer le rapport de force avec les multinationales.
- La transparence avant les promesses : Publier en ligne chaque contrat minier, chaque franc de dette.
- La lutte contre la corruption et les inégalités de droits : Plateformes de transparence pour les contrats publics et audits indépendants…
Les modèles inspirants ne manquent pas :
- Botswana : Gestion transparente des diamants avec des élites nationales privées pour financer l'éducation et les infrastructures, notamment l’énergie et le cannabis à vocation médicale, avec un impact direct sur la croissance et la vie des Botswanais.
- Vietnam : Réforme agraire + ouverture aux investissements étrangers dans l'industrie légère.
- Rwanda : Digitalisation massive des services publics et priorité à l'agriculture irriguée.
Il y a des solutions… à nous de les rendre visibles !!!
Hamma Hamadou, expert et consultant en finance