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Sur le Chemin de la souveraineté : la dé-cfa-tisation

5000 franc cfaLe Burkina Faso, le Mali et le Niger ont confirmé le caractère irréversible de leur retrait de la communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Ils étaient mus par un élan historique, par ce mouvement souverain, irrépressible qui, telle une lame de fond, emporte le colonial et le néocolonial sur son passage. Ce mouvement finira ; assurément, par atteindre la Zone franc, le franc CFA et l’union économique et monétaire de l’Afrique de l’Ouest (UEMOA). C’est dans l’ordre des choses.

Aucun pays de l’ancien empire colonial français, s’il est conséquent, ne peut songer à la souveraineté dans une Zone franc créée pour des besoins étrangers, en usant d’une monnaie allochtone, au sein d’une union qui est intrinsèquement un prolongement d’institutions coloniales dans les domaines économique et monétaire. C’est une illusion de le croire, et une contradiction dans les termes de l’affirmer.

Institutions coloniales et excroissances africaines

La Zone franc, le franc CFA, l’UMOA, l’UEMOA et leurs instruments sont à proprement parler des séquelles coloniales dont nous avons à nous débarrasser pour prétendre à la souveraineté.

La Zone franc a été créée par décret en 1939 pour contrôler les changes entre la France, ses colonies, et le reste du monde afin de « se protéger des déséquilibres structurels en période de guerre ». C’est un espace géopolitique composé d’anciennes colonies françaises d’Afrique de l’Ouest, d’Afrique Centrale et des Comores, où l’usage de monnaies arrimées au franc français (maintenant à l’euro), permet à la France d’asseoir sa domination et d’exercer son influence.  C’est de l’Hexagone que la Banque de France gère cet espace conquis.

Le franc des Colonies Françaises d’Afrique ou CFA a été créé en 1945, en même temps que le franc des Colonies Françaises du Pacifique (franc CFP). Il devient franc de la Communauté Française d’Afrique en 1958. Grâce à une ingénieuse tournure sémantique, il prend le nom de franc de la Communauté Financière d’Afrique en Afrique de l’ouest, et de franc de la Coopération Financière en Afrique, en Afrique Centrale, après les indépendances. Incontestablement ce franc que la France enfante, baptise et débaptise à son gré n’est pas nôtre, sa paternité revient à la France.

A l’instar de la Défense, de la Justice ou de la Sécurité, l’émission de la monnaie figure au nombre des prérogatives régaliennes de l’Etat, celles qui, parce qu’elles relèvent de la souveraineté ne se délèguent point. Or, des temps coloniaux à nos jours, l’émission de la monnaie a été la chasse gardée de la France, le domaine qu’elle contrôle par des institutions créées par elle, ou par des institutions africaines dans lesquelles elle détient la réalité du pouvoir. L’histoire de l’émission de la monnaie en Afrique occidentale en témoigne éloquemment avec la création :

De la Banque du Sénégal (1853-1901) par décret de Napoléon III ;

De la Banque de l’Afrique Occidentale (BAO, 1901-1955, par décret) ;

De l’institut d’Emission de l’Afrique Occidentale et du Togo (1955-1959, par décret, avec siège à Paris, Faubourg Saint-Honoré) ;

De la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (depuis 1959. Le siège de la BCEAO a été transféré de Paris à Dakar en 1978) ;

De l’Union Monétaire des Etats de l’Afrique de l’Ouest créé en 1962 par huit (8) anciennes colonies françaises : La Côte d’Ivoire, le Dahomey, la Haute-Volta, le Mali, le Niger, la Mauritanie, le Sénégal et le Togo sur la base de la reconnaissance d’une unité monétaire commune : le franc de la Communauté Financière Africaine (CFA) ;

De l’Union Economique et Monétaire, UEMOA, créé en 1994 Par le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée Bissau, le Mali, le Sénégal et le Togo pour promouvoir l’intégration économique de ces pays partageant la même monnaie coloniale.

Qui plus est, la fabrication du CFA est confiée à l’imprimerie de la Banque de France.

Une subalternisation qui perdure

Au demeurant, la France, par sa Banque qui imprime le CFA, en sa qualité de membre de plusieurs instances des Banques centrales africaines, et sa participation aux réunions semestrielles des ministres des finances et des gouverneurs des banques centrales de la Zone franc, exerce un droit de regard sur la politique monétaire de ses anciennes colonies. En vérité, par le truchement du franc CFA, la France maintien entre elle et nous des liens anciens de subordination. Cette monnaie octogénaire, réplique coloniale du franc français – à présent inféodé à l’Euro – dont la France veut pérenniser l’usage dans nos économies, sert ses intérêts plus que les nôtres. Pour reprendre les mots de Rémy Herrera « cette devise arrimée a un euro fort pénalise les économies africaines et les échanges régionaux, et facilite le développement des multinationales occidentales » 

Bien naïfs ceux qui croient que la France qui n’a pas d’amis, offre garantie de convertibilité et stabilité au franc CFA, parce qu’elle aime ses usagers. Cette monnaie sénescente est fille de la France, elle a soixante-dix-neuf ans, mais la France s’active à la maintenir en vie par tous les moyens. Ainsi a-t-elle tenté par l’Eco de la débaptiser et de lui donner une cure de jouvence. Il faut admettre avec le même auteur que « les francs CFA et comorien sont des monnaies néocoloniales, au sens où elles ont survécu aux indépendances politiques formelles et prolongent aujourd’hui des relations de subordination vis-à-vis de l’ex métropole coloniale, taisant leur nature véritable. En tant que telles, elles se révèlent totalement inadaptées aux besoins réels des économies et des sociétés africaines ».

L’option salutaire : décéfatiser

Pour les besoins de notre cause, je prends possession de la langue française, je la plie à ma volonté, je la mets à mon service, je l’utilise pour déconstruire ce qu’elle a érigé contre nous, c’est à cette fin que j’ajoute le mot juste, le mot qui manque à son vocabulaire : décéfatiser.

Le terme décéfatiser est construit à partir de l’acronyme « CFA », comme le terme dératiser est construit à partir du substantif « RAT ». Dératiser c’est se débarrasser des rats. Décéfatiser c’est se débarrasser du CFA.

Pour nous l’option est donc claire, elle est sans équivoque : il faut décéfatiser. La décéfatisation signifie le fait de se débarrasser de la monnaie d’invasion qu’est le franc de la Communauté Financière d’Afrique, primitivement dénommé franc des Colonies Françaises d’Afrique. Cela implique le départ de toutes les organisations qu’il a générées, et le rejet de tous les instruments mis en place aux fins de sa gestion. Cet acte de souveraineté qui nous place hors de la Zone franc et hors de toute tutelle française, implique aussi bien évidemment la conception, la fabrication, l’émission et la gestion d’une monnaie, de même que l’élaboration d’une politique monétaire en adéquation avec nos économies.

Si cette action de libération relève du salut des pays de l’UEMOA (Bénin, Burkina Faso, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Togo), de l’UMAC (Cameroun, Centrafrique, Congo, Gabon, Guinée-Equatoriale, Tchad) et des Comores, il incombe aux pays de l’Alliance du Sahel (Burkina Faso, Mali, Niger) qui ont pris les devants de la lutte pour l’indépendance et la souveraineté, de la mener jusqu’au bout. C’est le lien entre le France et ses anciennes colonies que De Gaule disait déjà « définitif » en 1944 à Brazzaville qu’il faut rompre, c’est l’impossibilité d’évoluer « hors du bloc français » qu’il faut démentir.

On ne meurt pas d’avoir décéfatisé

J’entends déjà les cris alarmistes, les désapprobations défaitistes et le pessimisme de ceux qu’on a habitués à vivre dans l’infériorité et la servilité. Devenir eux-mêmes, agir eux-mêmes et pour eux-mêmes, est leur grande hantise. Ceux-là ont perdu confiance en eux-mêmes, en leur pays, en leur race et en leur capacité. Pour eux toute séparation d’avec le maître est un drame, toute libération est un saut dans l’inconnu. Quand ils ne tremblent pas, ils sont transis de peur, ils redoutent l’isolement parce que le monde pour eux commence en France et s’achève en Occident. Quand nous parlons de liberté, ils réclament plus de servilité, quand nous parlons de souveraineté, ils veulent la vassalité, et quand nous traitons d’indépendance, ils prêtent allégeance.

A titre gracieux, voici quelques précédents qui pourraient les rassurer sur la marche inexorable du mouvement de libération qui se joue de leurs réactions.

Certains pays sont sortis de la Zone franc et ont créé leurs propres monnaies, sans que mort s’en suive. C’est le cas de la Tunisie en 1958 avec le Dinar, du Maroc en 1959 avec le Dirham, Madagascar en 1973 avec l’Ariary. Tous ces pays ont prospéré hors de la Zone franc. L’enfer ce n’est pas de sortir de la Zone franc, c’est d’y rester.

D’autres pays abandonnent le CFA, sortent de la Zone franc et créent leurs monnaies. Il s’agit de la Guinée en 1960 avec le franc guinéen, du Mali en 1962 avec le franc malien, de la Mauritanie en 1973 avec l’Ouguiya sort aussi de l’UMOA. Tous ces pays ont décéfatisé, et ils n’en sont pas morts. Le Mali qui a réintégré la Zone franc en 1984, prouvera qu’on peut en ressortir sans rendre l’âme.

En cette ère d’indépendance véritable et de souveraineté, les pays de l’Alliance du Sahel (AES) ouvriront la voie, ils rompront le lien de subordination en sortant de l’union monétaire et économique construite autour du CFA, monnaie coloniale, s’il en est, et de la Zone franc, région condamnée à disparaitre de la carte géopolitique qui se dessine. Le Burkina Faso, le Mali et le Niger auront decéfatisé, et montré le chemin de la souveraineté monétaire. Quant aux pays encore membre de l’UEMOA et de l’UMAC, ils ne pourront plus conserver le CFA vestige de la colonisation contre les intérêts de leurs peuples : les uns rejoindront les pays de l’AES, les autres créeront leurs monnaies, tous s’en iront de la Zone franc.

Quid du CFA ? me demandera-t-on. Que la France reprenne sa monnaie, et la place dans un Musée. Les archéologues n’auront pas à fouiller les décombres de l’histoire coloniale pour le retrouver.

Farmo M.

Source : https://www.lesahel.org/