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Lettre au “président de la République” : Monsieur le “Président”, Après huit années de gouvernance et de ressources considérables, vos compatriotes manquent d’eau et d’électricité, y a-t-il vraiment lieu d’être fier d’un tel bilan ?

J’ai parlé aussi des valeurs nigériennes qui ont été, sous votre gouvernance, dénaturées, c'est-à-dire corrompues, au point où l’argent, l’abus du pouvoir et la primauté de la force priment sur le dialogue et le consensus, traditions séculaires qui ont constitué, durant des décennies, le paravent qui a su civiliser la vie politique nigérienne et protéger la démocratie dans notre pays. Le Conseil national de dialogue politique (CNDP) en particulier, a été, sous votre magistère, dévoyé de ses principes directeurs. Outre le dévoiement dont le CNDP a été l’objet, avec votre consentement plein et entier, la 7e République que vous incarnez est connue pour l’implication de responsables au sommet de l’Etat dans les crimes et délits les plus détestables. C’est le ca du trafic de drogue dans lequel sont cités des agents de la DGSE [Direction générale de la sécurité d’Etat], des députés et conseillers tapis au sein des plus hautes institutions de l’Etat, en l’occurrence le Cabinet du Premier ministre, l’Assemblée nationale et la présidence de la République. Je ne reviendrai pas, ici, sur l’entrepôt de tonnes de résines de cannabis, mais il me semble utile de rappeler l’affaire Sidi Lamine, L’affaire Koré Ali et l’affaire Mohamed Sidi Mohamed alias Hamadana selon vos communicants. À ce sujet, également, aucun des chefs d’Etat ou présidents qui vous a précédé n’a osé entretenir de tels rapports incestueux avec des trafiquants de drogue.

À propos de la démocratie, je crois que les choses sont encore plus flagrantes. En avril 2016, malgré vos promesses solennelles de considérer des élections tropicalisées comme un échec personnel, vous avez dû faire un hold-up électoral pour ravir la victoire à un homme que vous avez fait emprisonner afin d’aller tout seul au second tour de l’élection présidentielle. C’est un cinglant désaveu du peuple nigérien et vous auriez dû tirer toutes les conséquences de cet épilogue électoral. Vous avez confisqué les libertés publiques, tailler les lois sur mesure et manipulé le jeu électoral en votre faveur.

Que dire de la justice qui perdu tout crédit, tant elle a été instrumentalisée et utilisée à des fins personnelles, claniques et politiques. S’il y a un corps qui s’est compromis dans ce jeu malsain que vous avez instauré dans la vie sociopolitique depuis huit ans, c’est bien la justice. Bien entendu, je n’ai aucune intention de jeter le bébé avec l’eau du bain. Il y a des juges honorables, mais il y a surtout des ripoux qui ont fait de la robe noire et des pouvoirs qui leur conférés un instrument d’enrichissement. Une justice qui, pour contrecarrer l’initiative des organisations de la société civile qui s’étaient constituées partie civile dans l’affaire de l’uraniumgate, a réclamé 20 millions de caution. C’était pourtant une question d’intérêt général et la justice, en principe, est rendue au nom du peuple. Une justice qui embastille les uns pour un rien et qui ferme les yeux sur les crimes des plus grands délinquants, en l’occurrence les trafiquants de drogue, ceux qui détournent les milliards de l’Etat et qui violent les lois constitutionnelles. En un mot, la justice nigérienne n’a jamais été autant utilisée pour régler des comptes, protéger des malfrats et faciliter la conquête et la préservation du pouvoir politique que sous votre magistère.

Que dire également du vivre-ensemble, je veux dire la cohésion sociale et l’unité nationale, mises à rude épreuve, souvent par vos plus proches collaborateurs au point où l’on se demande s’ils ne sont pas dans une quelconque mission sordide. Votre silence et votre inertie face à des cas graves ont surpris nombre de vos compatriotes. C’est le cas lorsque Sanoussi Jjackou, un conseiller-ministre à la présidence de la République dont vous êtes le locataire, a porté l’estocade, par voie de presse, à toute une ethnie. Vous n’avez ni dénoncé l’acte, ni contraint votre conseiller, au nom de l’unité nationale, à présenter des excuses aux Nigériens, à plus forte raison le sanctionner. Votre attitude est coupable et je la considère une source d’encouragement et de soutien pour les Sanoussi Jackou de ce vaste Niger. Aucun président de la République ou chef d’Etat nigérien n’a accepté de tels écarts qui ont conduit, ailleurs, à des tragédies mémorables.

Monsieur le "Président",

Permettez-moi, enfin, de vous parler de l’armée nigérienne, cette valeureuse institution qui a été, et vous y aviez eu recours par le passé en l’appelant ouvertement à réagir face à la situation, l’ultime bastion contre les dérives de gouvernance. En huit ans de travail, vous savez mieux que moi, ce que vous avez fait de l’armée. Un très grand nombre d’officiers valeureux sont mis à la touche, tantôt à travers des affectations du genre « Autant en emporte le vent ! », tantôt dans des arrestations ou encore la radiation, comme dans le cas du général Mahamadou Mounkaïla, spécialiste en stratégies militaires. J’ai vu la liste de ces officiers dans la presse et j’ai, bien évidemment, eu un sentiment de révolte en constatant l’étendue des dégâts. Il semble que le Colonel-major Djibrilla Hima Hamidou aussi risque bientôt de connaître les foudres de la justice. Il aurait été inculpé de détournement de fonds publics mais laissé en liberté provisoire. Un oiseau en cage, comme on dit. Quant à la violation des lois, je suis au regret de relever que la loi, c’est le papier hygiénique pour ceux qui sont avec vous dans cette galère pour le Niger. Entre votre gouvernance et la loi, il y a comme des millions d’années-lumière, une sorte d’infini qui explique qu’il y ait aujourd’hui, au Niger, d’une part ceux qui évoquent régulièrement et qui s’offusquent de sa violation récurrente, et ceux qui estiment que la loi, c’est eux et elle doit être conforme à leurs desseins.

Monsieur le "Président",

Tel est le Niger que vous allez léguer à ceux qui vont venir. Vous le savez, ce n’est une infime partie du désastre. La semaine dernière, j’ai souhaité échanger avec un inspecteur du Trésor sur la dette intérieure. Il m’a simplement répondu : « Laisse-tomber, c’est une mer intérieure dans laquelle tu risques de te noyer ». L’état dans lequel vous avez plongé le Niger est calamiteux, à tous points de vue. Ce n’est pas la construction d’immeubles, dont j’ai d’ailleurs appris beaucoup, qui donnera à boire aux Nigériens. Car, en plus de ce que j’ai décrit ici, il faut dire que vos compatriotes n’ont même de l’eau à boire alors que le Rwanda, qui est sorti il y a 25 ans d’une tragédie hors-pair, va bientôt fêter, en 2024, l’accès universel à l’eau potable. La semaine prochaine, plaise à Dieu, je vous parlerai de cette pénurie d’eau et d’électricité, particulièrement des conséquences désastreuses de l’intrusion de la société ISTISTHMAR WEST AFRICA dans la fourniture d’électricité dans notre pays. Une autre marque de votre gouvernance. Vos compatriotes manquent d’eau et d’électricité. Y a-t-il vraiment lieu d’être fier d’un tel bilan ?

Mallami Boucar  

26 mai 2019
Publié le 13 mai
Source : Le Monde d’Aujourd’hui