Skip to main content

Accueil

Lettre au “président de la République” Monsieur le “Président”, Nouhou Arzika, Moussa Tchangari et Ali Idrissa ne valent-ils pas mieux, dix mille fois, que tous ces trafiquants de drogue que l’on dit tapis à la présidence de la République ?

Monsieur le ‘’Président’’,
L’arrestation et l’incarcération des leaders de la société civile n’ont rien arrangé pour vous. Peut-être que cela vous a donné juste un peu de répit, une sorte de sursis. Ils sont sortis, je sais, grâce surtout aux pressions intenses externes que vous avez subies, notamment du côté de vos partenaires occidentaux qui ont compris le jeu auquel vous vous livrez. Ma conviction est que si cela ne dépendait que de vous et d’une certaine justice, Nouhou Arzika, Moussa Tchangari, Ali Idrissa et les autres y passeront leur vie. Vous les avez d’ailleurs qualifiés de putschistes, ce qu’il y a de pire en termes d’accusations dans une démocratie républicaine. Bref, ils sont sortis et je crois que ce n’est pas bon signe pour vous car ils comptent reprendre la lutte. Pour eux, ce n’est qu’un intermède et que, pour rien au monde, ils n’abandonneront pas ce combat juste et honnête qu’ils ont engagé au bénéfice exclusif du Niger et de son peuple. Je dois vous avouer que je les admire du fond du cœur. Je les admire pour l’idéal qu’ils portent pour le Niger et ne peux comprendre que vous soyez, en tant que «président de la République», avec toutes mes réserves personnelles pour ce titre que vous portez, en contradiction violente avec un tel idéal. J’ai d’autant de l’admiration pour ces leaders de la société civile que, malgré les propos que vous avez tenus à Paris (France) sur leur compte, ils restent et demeurent porteurs des valeurs dans lesquelles nous nous reconnaissons : la dignité, le courage, l’honneur et le sens de la patrie ! Ils se battent pour le Niger, contre un gouvernement qui fait tout autre chose, et tout citoyen nigérien attaché à son pays ne peut que se sentir digne d’une telle race de compatriotes.

Monsieur le’’Président’’,
Nouhou Arzika, Moussa Tchangari et Ali Idrissa ne valent-ils pas mieux, dix mille fois, que tous ces trafiquants de drogue que l’on dit tapis à la présidence de la République ? Ne valent-ils pas mieux que tous ces trafiquants d’armes ? Ne valent-ils pas mieux que tous ces bandits à col blanc qui font main basse sur les deniers et biens publics, impunément ? Ne valent-ils pas mieux que tous ces gens qui s’enrichissent sur le dos de l’État, au vu et au su de tout le monde, à travers de fausses exonérations fiscales et douanières ? Pour moi, la réponse ne souffre d’aucun doute.

Mon mal, c’est de savoir que celui qui préside aux destinées du Niger ait choisi le parti de ces hommes et femmes qui enfreignent les lois et règlements, qui volent et détournent des milliards à leurs profits, qui font dans le trafic des armes et de la drogue, etc.

Mon mal, c’est de savoir que le Niger, ce pays si bien parti en 2011, avec tant de ressources et d’atouts au plan financier, a pu tomber dans ce trou noir où la dette constitue finalement l’unique alternative d’investissement ?

Mon mal, c’est de savoir que dans ce pays si «droit dans ses bottes», pauvre mais digne dans la lutte contre des fléaux comme les trafics de drogue et d’armes, soit devenu un paradis pour les trafiquants au point où Niamey est devenue la plaque tournante de leurs activités criminelles.

Monsieur le ‘’Président’’
Vous n’avez sans doute aucune fierté quant à la situation dans laquelle votre gouvernance a plongé le Niger. Vous avez pris un pays requinqué financièrement grâce à une gestion rigoureuse des ressources publiques et qui venait d’avoir du pétrole. Je ne reviendrai pas, ici, sur les témoignages de notre compatriote Abdou Boukari sur l’état financier du pays lorsque vous arriviez au pouvoir. Vous le savez mieux que moi. Aujourd’hui, c’est la ruine. À la gouvernance faite de rigueur, de justesse et dédiée au peuple nigérien, vous avez substitué une gouvernance faite de rapines, de détournements, de scandales politico-financiers sur lesquels l’on ne peut que stigmatiser et dénoncer votre conduite. Si même vous n’êtes pas associé à tous ces maux qui gangrènent le Niger, vous en êtes comptable puisque vous avez protégé et soutenu des mis en cause. J’ai par ailleurs appris maintes histoires, des témoignages fiables d’hommes qui ont appris, au fil du temps, à vous connaître, à cerner vos aspirations et vos motivations, bref, à comprendre le problème du Niger. Ces témoignages, que je n’étalerai pas dans cette lettre ouverte à nos compatriotes, ont été quelque peu corroborés par les leaders de la société civile libérés récemment. Leur verdict est sans appel : tout ce qui se passe dans ce pays vient de vous. Selon eux, Mohamed Bazoum, Hassoumi Massoudou et tous ceux qui, dans leur sillage, s’agitent et font comme eux, ne sont que des faire-valoir. Vous êtes l’alpha et l’oméga de la restriction des libertés publiques. Leur jugement n’est pas isolé. C’est aussi l’avis de certains grands journaux, pourtant vos amis, et qui ont rapporté que vous décidez tout seul.

Monsieur le ‘’Président’’,
La situation du Niger va de mal en pis. L’argent manque et ce ne sont pas les bricolages de Hassoumi qui vont changer les choses. L’État est malade, très malade. La démocratie, l’état de droit et la justice que vous auriez pu vendre pour attirer sur le Niger la sympathie des grands témoins de ce monde ont été progressivement dévoyés et mis sous coupe réglée. Vous avez tout compromis au point où la date anniversaire de la conférence nationale souveraine est passée sous silence. Avez-vous oublié que c’est la journée que vous avez déclarée journée de la démocratie en 2013 ? L’impasse qui a caractérisé cette journée est pleine d’enseignements. J’ai d’ailleurs lu la lettre de quatre sénateurs américains ayant séjourné récemment au Niger et destinée à l’honorable Mike Pompeo, Secrétaire d’État des États Unis. Je ne vous relève qu’un seul aspect qui me paraît extrêmement important. « Il est vital que les dirigeants nigériens n’interprètent pas notre coopération antiterroriste comme une autorisation de se soustraire à leurs responsabilités en matière de gouvernance. Sinon, ils risquent de créer une instabilité sociale et politique qui pourrait compromettre nos efforts communs de développement et de sécurité », ont-ils noté. Je n’ai pas beaucoup compris les allusions, mais bon, je pense que vous les avez parfaitement comprises. C’est l’essentiel.

06 août 2018
Source : Le Monde d'Aujourd'hui