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Lettre au “président de la République” : Monsieur le “Président”, En fermant ces médias mal-pensants, vous assassinez la démocratie, vous atrophiez l’espace public, mais vous n’arriverez sans doute jamais à asphyxier la liberté d’expression et de presse

Monsieur le ‘’Président’’,
En ciblant la presse comme étant l’adversaire ou plutôt l’ennemi à abattre, pour parler comme Hassoumi, le soldat furieux et vindicatif que vous avez lancé aux trousses des médias malpensants, vous commettez une très grave erreur. Vous ne pourrez jamais remporter la victoire dont vous rêvez pour la simple raison que l’on ne vainc pas l’esprit. Or, vous menez une guerre contre l’esprit. Que vous étouffiez ces médias qui vous dérangent tant ou pas, vous ne réussirez jamais à faire taire les langues. D’une façon ou d’une autre, les Nigériens trouveront les moyens de communiquer et de s’informer. Il vaut d’ailleurs que cela se fasse dans un cadre formel et légalement reconnu. Autrement, c’est l’ouverture à de graves dérives incontrôlables. Si ces dérives ne vous arrangent pas, vous ne pouvez, pour de faux prétextes, traquer des médias dans un pays où les voleurs de milliards de l’Etat, les trafiquants de drogue et d’armes et autres délinquants de tous acabits sont légion. Vous ne pouvez pas prétendre traquer les mauvais payeurs de l’Etat alors que les responsables de fausses exonérations fiscales et douanières sont connus. Ce sont des gens dont les activités mafieuses, décelées et établies formellement dans un rapport, ont coûté des dizaines de milliards de francs CFA à l’Etat. Ils sont pourtant libres et continuent tranquillement de ruiner l’Etat. Aux côtés de ces brigands de ville qui ont pris les administrations douanières et fiscales pour leurs vaches laitières, il y a également ces voyous de la République qui ont saigné les caisses de l’Etat en détournant fonds et biens publics, là également, à coups de dizaines, voire centaines de milliards de francs CFA. Je n’ai pas besoin de vous citer des cas, vous en savez mieux que moi. Que dire aussi de ces trafiquants de drogue et d’armes qui mènent leurs activités criminelles, au vu et au su de tout le monde, et dont certains sont conseillers à la présidence de la République, auprès de vous, avec des passeports diplomatiques.

Monsieur le ‘’Président’’,
Je crois que vous avez tellement à faire, ailleurs, qu’à frapper aux portes des médias mal-pensants pour chercher de l’argent. Du point de vue des principes, la presse est un allié objectif du gouvernant, pas n’importe quel gouvernant. Il s’agit, là, des gouvernants justes, honnêtes et intègres qui travaillent pour le bienêtre de leurs peuples. Et en général, lorsqu’on ne travaille pas dans l’intérêt de son peuple et que l’on a plus tendance à protéger les voyous qu’à les réprimer, l’on ne peut pas aimer beaucoup la presse. Dans le contexte du Niger, vous êtes mieux placé que quiconque, dans l’arène politique, pour savoir ce que la presse rend comme services à la démocratie, à l’Etat de droit, à la gouvernance d’une manière générale. Je n’ai pas besoin de faire tout un cours pour ça. En fermant ces médias malpensant, vous assassinez la démocratie, vous atrophiez l’espace public, mais vous n’arriverez sans doute jamais à asphyxier la liberté d’expression. J’ai constaté la combinaison des mesures que vous avez initiées en vue d’y parvenir. Laissez-moi vous dire que vous vous livrez ainsi à un combat vain. Vous vous êtes imposé, pour ainsi dire, le supplice de Sisyphe. Les mesures que vous avez prises ? Eh bien, j’ai constaté qu’en marge de l’inquisition des services des impôts, vous avez également initié la réécriture de l’ordonnance 2010-035 du 14 juin 2010 portant régime de la liberté de presse au Niger. Un projet qui complétera certainement la nouvelle loi qui donne la possibilité au président du Conseil supérieur de la communication (Csc) de procéder, tout seul, à la fermeture de tout média qu’il juge devoir fermer à titre conservatoire. C’est pour dire que Hassoumi n’est pas seul sur ce sentier de guerre.

Monsieur le ‘’Président’’,
Par expérience, je sais que lorsqu’un gouvernant mène la guerre à des médias, c’est qu’il est conscient avoir perdu la partie. Alors, il se dit qu’à perdre, autant perdre de belle manière, c’est-à-dire en abusant au maximum du pouvoir d’Etat pour faire ce que l’on veut et non plus ce que vous dicte la loi fondamentale. J’ai compris que vous vous êtes laissé convaincre par ceux qui pensent que, de toute façon, vous en avez commis beaucoup pour espérer la moindre résurrection et qu’il faut désormais foncer, tête baissée. Il n’y a plus à reculer, disent-ils, enfonçant votre régime dans les profondeurs insondables du pire. Pour ça, vous êtes responsable. Vous êtes le premier et l’ultime responsable de tout ce que vit le Niger. Le chef a toujours un libre arbitre qui lui permet de distinguer le blanc du noir, le juste de l’injuste, l’honnête du malhonnête. Il ne peut prétendre ne pas savoir.

Monsieur le ‘’Président’’,
Le monde entier constate que vous n’avez jamais signé la Montagne de la Table avec la conviction que nos pays doivent évoluer vers plus de liberté de presse, vers des conditions d’exercice plus souples et plus avantageuses pour la presse pour des raisons de mission service public. En ramant à contre-courant des principes et déclarations publiques que vous avez faites à ce propos, vous donnez amplement la preuve à ceux qui disent dans les causeries que vous aviez agi par opportunisme politique et démagogie. Récemment, encore, j’ai pris part à une discussion sur la question et j’ai eu du mal à vous défendre. Le problème, c’est que vous n’offrez pas tellement d’arguments à ceux qui doivent ou veulent le faire. C’est d’ailleurs valable dans d’autres domaines, notamment les trafics d’armes et de drogue, les détournements massifs des deniers et biens publics, etc.

Monsieur le ‘’Président’’,
Vous avez engagé un combat chimérique contre la liberté de presse. Il n’y aura pas de victoire possible pour vous. Dans tous les cas, vous perdez.  

29 juillet 2018
Source : Le Monde d'Aujourd'hui