Changement climatique au Niger : Un fardeau supplémentaire pour les femmes du village de Koné Béri
Les effets induits par la variabilité climatique font planer sur le Niger, le spectre d’une insécurité alimentaire, en même temps qu’ils renforcent au sein des communautés rurales les inégalités hommes-femmes. Une lecture sexo-spécifique du changement climatique permettrait de répertorier lesdites inégalités en vue de leur traitement définitif.
Koné Béri. 30 km de Niamey, la capitale nigérienne. Une localité de plus de 10.000 âmes, célébrée pour sa culture pastorale et ses terres agricoles arables, au rendement élevé ! Bref, en somme, une renommée de ‘‘village-grenier’’. Une renommée nourrie dans l’imaginaire collectif des communautés environnantes par les images de charrettes remplies de vivres et tirées par des ânes, ou encore des camionnettes aux coffres débordants de légumes et de céréales, en provenance des champs de Koné Béri, pour rallier Niamey et approvisionner ses marchés. Cette image dont s’enorgueillissaient les populations de Koné Béri s’est effritée en l’espace de deux décennies. A présent, elles doivent faire face à la dure réalité : les caprices du climat, qui affectent négativement leur vie et leurs sources de revenus !
«Le rendement était mauvais ces deux dernières années. Il ne couvre pas les besoins alimentaires et il nous faut nous débrouiller pour poser la marmite », témoigne Mamou Yacouba, 50 ans, cultivatrice de maïs, de moringa et de légumes à Koné Béri. «[Poser la marmite],» une expression locale qui signifie assurer la pitance quotidienne ou encore trouver de quoi faire vivre la famille.
A Koné Béri, les habitants dépendent de l’agriculture et de l’élevage pour garantir la subsistance des ménages, mais aussi comme activités génératrices de revenus ; des revenus financiers notamment. Mamou, comme les autres agricultrices et agriculteurs du village ne récolte plus comme la décennie passée. «Nos cultures sont constamment menacées par les insectes. Le manque d’eau nous empêche aussi d’avoir un bon rendement. Les inondations également nous causent beaucoup de dégâts», se lamente Mamou.
Elle et les autres producteurs se plaignent et s’indignent de la baisse du rendement, car travailler la terre est leur seule et principale activité. «C’est difficile pour nous de tirer profit de la production agricole », se désole la cinquantenaire. « Les rendements de ces 5 dernières années sont plus ou moins bons. Ça ne donne pas du tout comme voulu. L’on peut obtenir un bon rendement une année et l’année qui suit ça chute drastiquement », renchérit Yacouba Dounbaye, un vieux producteur du village de Koné Béri. Il cultive un champ de 10 hectares avec ses 10 fils pour les besoins d’un ménage qui comprend près de 37 membres.
Il ressort du Rapport Final du Programme de Définition des Cibles de NDT (2018) que l’analyse de la situation de la productivité des terres indique un déclin localisé sur toute l’étendue du territoire national. Ce déclin de productivité concerne 3,32% du territoire national soit 1.476.466 hectares.
A l’instar de plusieurs autres localités du pays, le village de Koné Béri est confronté à une dégradation des terres arables. Ce village jadis, productif et favorable au pastoralisme, a perdu de sa superbe, depuis belle lurette. La localité fait face à une dégradation poussée de ses ressources naturelles, conséquence des lourdes pressions anthropiques qui y sont exercées.
La manifestation visible la plus préoccupante est le développement de l’érosion hydrique dont les signes sont la formation des koris et ravins et le glaçage des sols par endroit. Il s’ensuit alors une perte cruciale des terres cultivables et une réduction des aires pastorales. « J’ai dû abandonner mon champ de 5 hectares parce que c’est complètement lessivé par la dégradation éolienne et hydrique », souligne M. Marou Hassane, instituteur et habitant du village de Koné Béri. Pour ce producteur instituteur, la raison est la non productivité et aussi le faible rendement. «Le rendement ne satisfait pas les besoins alimentaires. Je l’ai laissé pour aller défricher un autre moins grand», explique-t-il. Parlant des aires de pâturage, le vieux Yacouba se souvient, «Autrefois nous faisions venir les pasteurs dans les champs mais ce n’est plus le cas maintenant».
Les terres arables sont dégradées chaque année du fait des variabilités climatiques ou des interventions par l’homme. Le Niger fait alors face à une dégradation accélérée du couvert végétal, une fragilisation des écosystèmes et un appauvrissement de la biodiversité. «Les pluies ne sont plus régulières. Elles s’arrêtent au moment où nous les attendions. En plus, par le passé, nous utilisions le fumier, mais ce n’est plus possible maintenant», détaille le vieux producteur Yacouba.
Vendre les terres agricoles, partir en exode et changer d’activité
Cet état de fait oblige certains producteurs à abandonner les terres agricoles. Le faible rendement dû à l’appauvrissement des sols pousse les producteurs à migrer vers d’autres secteurs. Comme conséquence, ils vendent les champs aux promoteurs immobiliers. «Chacun veut vendre son champ. Certains vendent pour donner l’argent aux bras valides qui partent en exode vers les pays côtiers. Certains aussi vendent les champs pour démarrer un business à Niamey. D’autres vendent les champs pour acheter des véhicules de transport», nous apprend Abdoul-Hayyou Hamani, enseignant au collège de Koné Béri. Hamani explique par ailleurs que le phénomène a pris de l’ampleur jusqu’au point où des familles entières se retrouvent sans aucun lopin de terre à cultiver.
Ceux qui continuent à pratiquer l’agriculture ne le font pas parce qu’ils y croient, mais plutôt parce qu’ils ont perdu tout espoir à la terre et qu’aucune alternative immédiate ne s’offre à eux. C’est le cas de Mouhamadou Badamassi Seyni, 34 ans. Lui n’a pas encore abandonné l’agriculture comme beaucoup de bras valides de Koné Béri. Ayant à sa charge un ménage de 34 bouches à nourrir avec le rendement agricole tiré d’un lopin de terre d’une superficie d’un hectare, Badamassi ne récolte pas assez pour nourrir sa famille. Il n’a cependant aucune autre alternative qu’il peut exploiter pour nourrir sa famille s’il tourne le dos au travail de la terre. «Je cultive les laitues, le maïs et les fruits. Le sol ne donne plus comme avant. Il y a du retard dans la croissance des cultures. Il nous faut utiliser de l’engrais pour booster la production mais il est cher et se fait rare», indique Badamassi.
Alors que certains agriculteurs migrent facilement et progressivement vers de nouveaux secteurs, d’autres, comme Mamou et de nombreuses femmes du village de Koné Béri, disent n’avoir aucune autre issue, sinon que de se réfugier dans la prière et de confier leur sort à la providence divine, afin que la pluie tombe sur le village ; et qu’il tombe des cordes, de sorte à fournir aux agriculteurs d’importantes ressources en eaux, indispensables à la réussite de leurs cultures.
Le cas de Mamou et des autres femmes de Koné Béri, constituent un témoignage d’une vérité irréfutable : Au Niger, les femmes sont les premières victimes du changement climatique, à cause des rôles multiples et cumulatifs qui sont les leurs, en tant que paysannes, productrices de nourriture, mais aussi et surtout en tant qu’agents chargés de la collecte d’eau, du ramassage du bois de chauffage, de l’entretien des enfants et de toute la maisonnée.
Ainsi, la pénurie de ressources (terres, eaux) provoquée par le changement les rend moins disponibles pour les tâches domestiques. Ce qui est, par ailleurs, susceptible d’accroître les tensions et les violences au sein du cercle familial. La charge de travail supplémentaire induite par le changement climatique est donc un facteur aggravant des violences basées sur le genre et qui affectent la gent féminine. Quoique la population entière soit affectée par le changement climatique, les femmes et les filles, le sont particulièrement un peu plus ; car faisant face à une double victimisation, en tant qu’êtres humains, et en raison de leur sexe.
Au Niger, les localités comme Koné Béri qui ‘gardaient’ fièrement l’étiquette de ‘‘grenier’’ et qui, ont subi les assauts répétés des aléas climatiques crient aujourd’hui à la disette. La variabilité climatique y assèche de plus en plus les terres agricoles et entraîne à la fois un faible rendement des plants agricoles et la paupérisation des habitants. Dans ce décor assez terne, le sort des femmes n’est pas du tout enviable, du fait des inégalités hommes-femmes exacerbées par le changement climatique. Difficile donc d’envisager une quête de solutions aux catastrophes climatiques qui veulent s’affranchir d’une relecture sexo-spécifique du changement climatique.
Oumar Issoufou(onep)
Source : http://www.lesahel.org