Recyclage des matériaux usés : La ferraille et les matériaux connexes au cœur d’un gros business
Longtemps considéré comme ‘’dégradant’’, le métier de ‘’ferrailleur’’ a toujours existé au Niger. Rendu populaire par les collecteurs ambulants qui arpentaient les rues et ruelles des villes et sillonnaient les villages les plus reculés, les «akawosakou», en référence au recyclage des sacs vides de céréales qui était le but premier des collecteurs, sont progressivement devenus des «gola-gola». Ils se consacrent ainsi à la collecte et au recyclage du fer et des métaux connexes, et quelques fois des vielles sandales plastiques. Par la force des choses, le métier s’est hiérarchisé avec des collecteurs individuels pour le porte-à-porte, des collecteurs de quartier avec leurs balances pour le rachat des matériaux par kilogramme, les recycleurs qui font le tri à partir de Katako et de la ceinture verte de Niamey et enfin les ferrailleurs qui revendent aux intermédiaires des usines de recyclages situées hors du pays.
Pour bien comprendre le métier de ferrailleur, il faudra d’abord comprendre le fonctionnement du recyclage. Le fer a plusieurs valeurs marchandes qui sont conditionnées par son utilisation comme pièce détachée ou pas. Les plus chères étant les pièces destinées à la réutilisation. C’est pourquoi les jeunes nigériens, surtout les adolescents et quelques enfants, s’adonnent à la collecte des fers usés dans les grandes villes du Niger. A Niamey, on les voit passer de porte en porte, déambulant avec leurs chariots surchargés dans les quartiers de la capitale pour acheter les métaux usés auprès des femmes, des enfants et de certains ouvriers de chantiers de construction. Ils se rendent aussi dans les garages de réparation de véhicules pour s’approvisionner.
Certains collecteurs à chariots vont même jusqu’à fouiller dans les décharges sauvages des quartiers périphériques et les poubelles communales pour récupérer, avec peu de chance, quelque kilogrammes supplémentaires car la ferraille est devenue une denrée qui se vend et ce quelle qu’en soit la quantité collectée. Le secteur ne connait pas la crise et les prix sont régulièrement revus à la hausse. Le kilogramme de fer est en premier vendu aux collecteurs de quartier par les collecteurs individuels à 150 f CFA. Ces collecteurs intermédiaires sont visibles aux différents carrefours de la ville. Ce commerce a tellement pris de l’ampleur que la zone de la ceinture verte de Niamey, une protection naturelle de la ville contre les vents et l’érosion, s’est transformée en véritable «village de la ferraille» et devenant ainsi, après le marché de Katako, le deuxième plus grand terminus des fers usés et matériaux connexes.
C’est au niveau de ces deux marchés que les colleteurs de quartier revendent leur butin à 180 f CFA par kilo, se faisant ainsi une marge positive de 30 f brut sur le prix d’achat. Ce petit surplus de cash a attiré la convoitise et plusieurs points de collecteurs de quartiers voient le jour le long des carrefours. Au détriment de ces points d’achats de proximité, les collecteurs individuels ou collecteurs-ramasseurs, se sont aussi tournés vers la ceinture verte et le marché de katako pour revendre leurs produits à un prix un peu plus élevé. «C’est très difficile d’avoir 50kg par jour, tellement la concurrence dans le secteur est rude. Or, il nous faut nécessairement beaucoup de ferrailles pour pouvoir les transporter chez les grossistes sans sentir le coût du transport», se lamente Djibrilla Abdoulaye rencontré devant sa balance, sur la chaussée qui mène de la Cité Député au rond point francophonie. Selon lui, les chariots ne leur reversent plus les fers usés collectés et qu’ils ne peuvent compter dorénavant que sur les enfants ramasseurs pour rentabiliser leur business.
Grâce à son travail de collecteur de quartier et la maitrise de la chaine de recyclage, M. Ali Adamou a pu se constituer un capital consistant et a fini par migrer dans l’enceinte de la ceinture verte. Après 21 ans d’expérience dans la filière ferraille, ce quadragénaire qui a pris goût à ce commerce et fait de la maitrise complète de la chaine un impératif, a fini par se focaliser sur le recyclage des véhicules. Avec cette réorganisation, nous confie-t-il, son commerce a fleuri. «Nous démontons les véhicules pour revendre aux mécaniciens et aux usagers les pièces, y compris les visses. C’est cela qui est en vrai mon commerce car le fer pesé par kilo ne rapporte pas grand-chose», dit-il.
Il explique que le kilo de fer pris à 150 f CFA et revendu aux grossistes entre 180f et 200 f CFA alors que chez les spécialistes de véhicules, le prix va dépendre de l’état et de la dimension de l’engin. «Généralement, dit-il, ce sont des véhicules immobilisés qu’on nous propose. Nous faisons le déplacement pour évaluer la valeur de la caisse et payons le plus souvent entre 150.000 f et 300.000 f CFA. Une fois le véhicule ramené ici, nous détachons les pièces qui semblent plus ou moins réutilisables et nous concassons la caisse». Ce ferrailleur chevronné fait aussi partie de ceux qui revendent leurs stocks aux intermédiaires des usines de recyclages qui les exportent vers les pays voisins et même vers l’Europe.
Un peu plus loin, juste après le carrefour Police Secours, s’étend une longue ligne de carcasses de motocyclettes, toujours dans le prolongement de la zone de la ceinture verte. M. Bassirou Guero affirme que ce tas de ferrailles de toutes sortes est en réalité ce qui reste des vielles motocyclettes qu’il achète à un prix de 50.000 f à 100.000 f CFA. Devant lui est dressée une grande table avec des visses et des pièces détachées. Il soutient que chez lui, les clients trouvent toujours ce qu’ils cherchent et à moindre prix. Il précise que pour ne pas tomber dans des combines de recel de motos volées, il n’achète que les vielles motocyclettes qui ne marchent pas et qui ont de papier légal de provenance.
«Nous avons des pièces de 2.000 f, 3.000 f voire plus. Même le moteur nous le revendons en pièces s’il le faut», poursuit M. Bassirou Guero qui s’est fait une solide renommée dans le milieu. Il confie que ce commerce marche très bien et qu’il arrive à faire un chiffre d’affaire journalier moyen de 30.000 f. Il arrive aussi qu’en substituant les pièces de certaines vielles motocyclettes acquises, 2 ou 3 d’entre elles, que le ferrailleur se retrouve avec une moto en état de marche qu’il remet aussitôt à la vente. Les «bakkin karyé», c’est-à-dire le fer qui ne peut plus être réutilisé est aussi revendu par tonne aux intermédiaires des usines.
Environ une vingtaine de camions chargés de ferraille quittent Niamey chaque jour
Katako, plaque tournante de plusieurs commerces qui vont de la vente de matériaux de construction aux céréales, l’est aussi pour la ferraille. Les plus grands ferrailleurs du pays, de même que le siège du syndicat du secteur, se trouvent logés dans ce marché aux mille facettes. C’est ici, dans un grand brouhaha indescriptible, que se font et se défont les carrières dans le milieu très stratégiques du recyclage et de l’exportation de la ferraille et des matériaux connexes usés vers les pays de la sous-région ouest africaine et vers l’Europe. C’est aussi ici qu’on nous apprend qu’actuellement c’est le cuivre qui est le plus recherché sur le marché, d’où sa cherté. L’acier, les cannetes, les batteries, les vielles parties de motos et véhicules qui ne trouvent pas preneurs dans les quartiers, et même les sandales usées, se retrouvent tous à Katako pour être triés avant d’être exportés.
Selon Elhadj Souley Yacouba, un des leaders des ferrailleurs, deux groupes particuliers viennent pour leur vendre ce qu’ils ont collecté. «Il y'a les propriétaires des petits points de collectes et les particuliers qui viennent directement au marché. Il y'a aussi ceux qui viennent des villages pour nous vendre», déclare-t-il. Par ses soins, nous apprenons qu’en moyenne une vingtaine de camions chargées quittent la ville de Niamey pour l’extérieur. Et que très souvent, ce nombre est largement dépassé. Cela dépend en grande partie de la disponibilité des camions immatriculés au Nigeria et qui repartent, une fois leurs cargaisons de vivre déchargées à Niamey, remplis de ferrailles destinées aux intermédiaires des usines de recyclage au Nigeria.
M. Laouali Sarki Sani, président du Syndicat national des revendeurs, chargeurs et exportateurs de métaux usés du Niger, déclare que le manque d’usine de transformation force les ferrailleurs du pays à exporter la ferraille et les matériaux connexes récupérés. Les usines se trouvant dans des pays comme le Nigeria, le Ghana, la Côte d’Ivoire et aussi en Europe. «On part avec la ferraille au Nigeria, les anciennes chaussures telles que les sandales vont vers la Côte d'Ivoire, le Zinc est envoyé au Burkina Faso, les batteries usées vers le Togo, à Lomé», détaille-t-il, tout en prenant le soin de préciser que les sandales et les batteries usées font parties des «Gola-Gola», donc du métier de ferrailleur.
A chaque rotation, c’est un seul ferrailleur qui remplit le camion qui lui est destiné avec plusieurs tonnes de ferrailles et matériaux connexes. La ferraille prend alors la route du Nigeria sous la responsabilité des intermédiaires des usines de recyclage du fer. Ces exportations, affirme le président du syndicat des ferrailleurs, ne font pas face à beaucoup de tracasseries sur les routes du Niger. Malgré les efforts des ferrailleurs d’intéresser les transporteurs nigériens à se lancer dans ce commerce à leurs côtés, il est toujours difficile, voire impossible, qu'un véhicule immatriculé au Niger prenne de la ferraille pour l’acheminer au Nigeria. Certains camions préfèrent même retourner vides à Maradi ou Zinder, des régions limitrophes du Nigeria.
Il y’a un peu plus de trois (3) ans déjà que les ferrailleurs, qui sont en majorité des autodidactes, ont créé le Syndicat national des revendeurs, chargeurs et exportateurs de métaux usés du Niger et placé un jeune entrepreneur du secteur à sa tête. Ce «mouvement stratégique» sur l’échiquier économique du pays, nous dit-on, fait suite à une prise de conscience collective de l’importance capitale du travail de ferrailleur pour l’économie nationale et la sauvegarde de l’environnement. Depuis la création du syndicat et son affiliation à la Confédération Nigérienne du Travail (CNT), nous confie son président, M. Laouali Sarki Sani, la filière est officiellement reconnue par les autorités du pays. «On sensibilise les petits collecteurs qui vont en ville pour qu'ils se tiennent à l'écart de tout comportement condamnable», indique-t-il pour illustrer le travail effectué en amont.
Œuvrer davantage pour maintenir du travail aux jeunes désœuvrés et surmonter les difficultés
Il va sans dire que le métier de collecteur et celui de ferrailleur est très difficile à exercer car, c’est un travail qui est continuellement stressant. Avec la modernisation du secteur et les sensibilisations qui vont avec, note Elhadj Souley Yacouba, la population, surtout les jeunes, a bien compris l’importance de ce travail qui est exigeant. «Avant, fait-il savoir, quand ils (ndlr : les gens) te voient faire ce travail, ils te prennent comme un badaud. Mais maintenant ils ont compris et il y'a beaucoup d'entre eux qui se sont lancés dans le métier et qui gagnent leur pain quotidien dedans». Il les encourage malgré tout à être très prudent dans l’exercice de ce travail à risque et de garder en tête «qu'il y'a des gens qui passeront par plusieurs chemins juste pour leur faire mal».
Le grand risque auquel fait allusion les ferrailleurs est celui d’être mêlé inconsciemment à des affaires de vol et recel de biens volés. Le président du Syndicat national des revendeurs, chargeurs et exportateurs de métaux usés du Niger explique qu’il y’a eu plusieurs cas «où les enfants prennent quelque chose pour vendre et après revenir dire que c'est volé». Dans ces genres de cas, poursuit-il, le syndicat est toujours venu en aide à ses membres afin de trouver une solution à l'amiable. Mais il y’a des rares fois où des cas atterrissent sur les bureaux des magistrats. Avec la multiplication des séances de sensibilisation des collecteurs et la mise à niveau des connaissances en gestion des stocks des ferrailleurs, de moins en moins de litiges se manifestent ces derniers temps.
Selon Elhadj Mahamadou Bachir, un autre ferrailleur de Katako, le secteur doit aussi faire face, dans le contexte de mondialisation, à la concurrence déloyale de gens venus de l’extérieur avec beaucoup de moyens financiers à leur disposition. Ces gens, en général des européens et des asiatiques, sont allés jusqu’à relever sensiblement les prix d’achat de la ferraille afin de débaucher les quelques collecteurs de quartier restés fidèles aux ferrailleurs nigériens. «Ce qui fait que c'est de plus en plus difficile pour nous de s’en sortir….. Presque tous nos fournisseurs se sont ainsi retirés pour aller vers ces concurrents», regrette Elhadj Mahamadou Bachir.
«L'Etat doit nous accompagner car grâce à notre métier, nous avons pu retirer beaucoup de jeunes de la débauche. Si nous-mêmes n'arrivons pas à nous en sortir, alors qu'adviendrait-il de ces milliers de jeunes?», s’interroge Elhadj Mahamadou Bachir. «Et la meilleure façon de nous aider, estime-t-il, est de ne pas nous assommer avec les impôts et taxes. Surtout au niveau des impôts car, c'est à ce niveau que si tu n'as pas d'argent, chaque deux jours ils vont venir fermer ton commerce». L’accompagnement de l’Etat, ajoute le président de l’association des ferrailleurs, est vital pour le secteur et pour la sauvegarde des emplois des jeunes nigériens.
Ismaël Chekaré(onep) et Souleymane Yahaya(onep)