Le Nigérien de la semaine : Ismaël Oumarou Issaka, étudiant en fin de cycle de médecine à Cuba
Qu’est-ce qui vous a orienté vers Cuba ? Pouvez-vous nous parler de vos expériences nationales et internationales et de votre séjour dans ce pays?
Comme j’ai eu à le dire, je suis un panafricaniste convaincu. Et la Havane, vous offre cette chance de voir que l’Université est un condensé de notre planète avec des étudiants venus de près de 105 régions du monde. On se rend toute suite à l'évidence que malgré nos différences linguistiques ou autres, en Afrique, nous sommes pratiquement les mêmes avec notre identité culturelle, comme l'expliquait le professeur Cheikh Anta Diop, Du coup, on se rend compte de la nécessité de s’unir, d’agir et de parler d’une même voix. C’est un peu notre contribution à la construction de l'Afrique de l'agenda 2063.
J'ai fait mon école primaire dans différente région du Niger, puis mon collège et lycée au niveau du CES TALLADJE où j’ai d'ailleurs fait mes débuts au niveau du comité exécutif de l'Union des Scolaires Nigériens (USN) du dit établissement. Après mon baccalauréat en 2011 je m'étais inscrit en médecine l’année d’après ou j'ai terminé normalement ma première année d'étude médicale (EM1). Aussi sur le plan syndical durant la même année j'ai été membre de la sous-commission presse de la direction générale des étudiants de la Faculté des Sciences de la Santé (DGE/FSS). Je dois aussi mentionner mon expérience, bien que brève, comme 1er vice-président de l’association du Mouvement pour la Souveraineté Économique et Monétaire Africaine-Section du Niger (MOSEMA-NIGER) en compagnie de mon aîné Lawan Abdoulaye. Je participais également à des foras de jeunes organisés par Alternative Espaces Citoyens et d'autres structures comme l’Association des Jeunes pour un Développement Endogène (AJDE) présidée par le jeune leader Ousmane Amankoye. Je suis arrivé à Cuba avec 3 autres compatriotes en août 2012, pour poursuivre mes études en Médecine. Ici, les choses n'ont pas été faciles sur le plan linguistique et culturel. Mais avec l'aide des aînés et d’autres camarades on a pu s'intégrer sans grande difficulté. Dès la première année, je m'étais impliqué à fond ; ce qui m'a permis d'ailleurs de très vite apprendre la langue(rire). La deuxième année j'ai été élu président de l'Union des Étudiants Africains de mon université, l'Ecole Latino-Américaine de Médecine et l’année suivante vice-président du Comité Exécutif de la dite université. Entre 2014 et 2016 j'ai eu l'honneur d'être élu comme secrétaire chargé des relations internationales au niveau de la Fédération Estudiantine Universitaire (FEU) de la Faculté des Sciences Médicales Dr. Ernesto Che Guevara de Pinar del Rio. Il faut ajouter que la FEU est la seule organisation qui regroupe l'ensemble des étudiants (cubains comme étrangers). Enfin, cette année j'ai reçu honneur de coordonner au niveau national (président) notre organisation panafricaine, l'Union des Étudiants Africains, co-fondateur et prometteur de la Brigade Internationale d’Amitié Afrique-Cuba (BIAAC).
Quels conseils pouvez-vous donner aux nigériens qui veulent étudier ou migrer à Cuba ?
Je crois que Cuba est sans nul doute l'un des meilleurs pays pour entreprendre des études supérieures notamment en Médecine. Les statistiques parlent d’elles même sur la puissance médicale que représente l'île cubaine. Qui bien que faisant partie du Tiers Monde, a des statistiques dignes de n'importe quel pays développé du monde, comme l'espérance de vie à la naissance, le taux de mortalité infantile (le plus bas en Amérique latine), l'éradication de nombreuses maladies infectieuses etc. L'une des caractéristiques de la médecine cubaine est l'approche Bio-psycho-sociale du patient, c'est à dire de ne pas voir ce dernier comme un simple client ou un patient à traiter, sinon dans toutes ses composantes : biologique, psychologique et sociale. L’autre aspect, c’est que les cubains mettent tout leur dévolu dans la prévention, ayant compris qu’il est plus facile et moins cher de prévenir que de guérir. Aussi, l'accessibilité de l'intégralité de la littérature basique nécessaire et la pratique dans les différents centres hospitaliers depuis la première année pratiquement.
Au regard de l’expérience qui est la vôtre, que pensez qu’on puisse faire pour améliorer les conditions de vie et d’études des Nigériens à Cuba ?
Les difficultés ? je pense que la même chose que rencontrent très régulièrement les étudiants nigériens un peu partout dans le monde à savoir la régularité des bourses et le suivi, parce qu’il n'est un secret pour personne que l'étudiant nigérien se sent le plus souvent oublié par les autorités compétentes. Ce qui d'ailleurs encourage par la suite la fuite des cerveaux. Il est nécessaire que les gouvernants puissent replacer l'école nigérienne d'une manière générale au centre des priorités. Il est bien beau de se doter d’infrastructures modernes comme les échangeurs et autres investissements structurants, qui sont aussi une nécessité, mais certainement pas aux dépens des secteurs sociaux de base comme la santé, l’éducation, l’hydraulique etc. Il s’agit de mettre les étudiants, tant au niveau local ou national qu’au niveau de la diaspora, dans un minimum de conditions afin que ces derniers puissent poursuivre leurs études, mieux se préparer et se mettre au service du pays qui a tant besoin. Je crois que de mon expérience personnelle dans cette partie du monde et l'exemple typique de Cuba, je peux vous affirmer qu’un pays sans ressource pétrolière ou minière à l’image de Cuba peut se développer. Cuba qui, en dépit de l'embargo économique, financier et commercial imposé par les Etats - Unis d’Amérique a su se développer dignement dans plusieurs secteurs, notamment dans le domaine de la santé, le sport, l'éducation, la biotechnologie ainsi que dans d'autres secteurs de la Science. Ce qui a permis une nette amélioration des conditions de vie de sa population. Le secret de cet exploit réside simplement dans la formation de sa jeunesse, seule gage du véritable développement. Aujourd’hui l’île vit grâce à ses ressources humaines qui lui permettent d’ailleurs d’être solidaire avec certaines nations en envoyant des médecins, instructeurs ou sportifs dans les quatre coins du monde. Je crois le dernier classement de l'IDH du Niger peut réconforter ce point, j’espère que les dirigeants au plus haut sommet ont pris toute l’ampleur de cela et que tout est en train d’être mis en place pour rectifier cette énorme anomalie. C’est vrai, bien qu’ils aient des urgences, les dirigeants doivent avoir cette vision de , nourrir, soigner, éduquer et instruire la population.
Que pensez-vous de l’organisation des nigériens à Cuba ?
Nous, étudiants nigériens à Cuba, sommes réunis au sein de l’Union des Étudiants Nigériens à Cuba. Cette structure a vu le jour depuis l’arrivée des premiers étudiants. Elle permet d’être la voix des étudiants, l’intermédiaire avec les autorités compétentes mais aussi et surtout elle joue un rôle prépondérant dans la promotion du pays, la culture et l’histoire. Les étudiants se réunissent au moins une fois dans l’année à l’occasion des fêtes de l’indépendance du 3 aout ou celle de la République le 18 décembre qui coïncide avec les grandes vacances. C’est l’occasion pour nous d’ organiser des activités allant dans le cadre fraternel, de réjouissance et cela nous permet de faire découvrir notre pays dans toutes ses merveilles et diversités aux autres amis africains ou d’autres pays du monde qui d’ailleurs très souvent nous confonde avec nos voisins Nigerians. Depuis deux ans maintenant, nous avons une représentation diplomatique ici à Cuba, je crois que cela montre toute l’importance qu’accordent les autorités actuelles aux relations bilatérales entre les deux pays. Cela nous a permis de mieux coordonner le travail avec l’Ambassade afin aussi de faciliter l’intégration et la formation de nos ressortissants. Permettez moi d’ailleurs de rendre un vibrant hommage à Son Excellence Madame Gaoh Aminatou Batouré, Ambassadeur Extraordinaire et Plénipotentiaire de la République du Niger ainsi que à tout le personnel diplomatique de la République du Niger à Cuba, qui n’a ménagé aucun effort depuis leur prise de fonction, à répondre à nos attentes, préoccupations et d’affermir davantage les relations entre nos deux peuples.
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes nigériens qui voient en vous un modèle ?
Mon conseil serait d'avoir de l'ambition, de ne pas avoir peur de prendre souvent des décisions, d’avoir des initiatives, de croire à ces initiatives et en leurs capacités à impacter positivement la vie des gens, d'avoir foi en Dieu et d'être humble et discipliné.
Avez-vous des projets pour l'Afrique et le Niger en particulier?
Oui, des projets en tant jeune ça ne manque pas. Comme le disait le Che soyons réalistes et songeons l'impossible, donc il y en a beaucoup même (rire). En fait avec des jeunes d'autres pays on essaye de s'organiser pour renforcer les liens d'amitié et de coopération avec Cuba et du coup avec toute la région Latino-Américaine et caribéenne. Nous sommes actuellement en train de travailler pour revitaliser et concrétiser un cadre organisationnel des professionnels et étudiants de la santé panafricaine afin d’apporter notre modeste contribution à nos communautés et épauler les efforts de l’Etat pour améliorer la santé de nos populations. Créer une sorte de synergie, mobiliser et motiver pour que le médecin, l’infirmier, l’aide-soignant, la sage-femme, le spécialiste ou le laborantin puisse aller là où le besoin se fait sentir et sauver des vies. Aussi, bien évidement, plaider au niveau des décideurs afin d’améliorer le plateau technique, les conditions de vie et de travail de ces braves guerriers de la santé, conformément à notre serment d'Hippocrate. Mais aussi s’attacher à la charte africaine de la jeunesse, à l’ambitieux programme de l’agenda 2063 résumé en « 7 aspirations » orientées vers la réalisation d’une Afrique prospère, intégrée et pacifique où la participation de chacun est importante. En tant que jeune nigérien, on peut booster et encourager l'entrepreneuriat des jeunes et des femmes ainsi que leur inclusion économique pas seulement comme slogan sinon de manière effective et cela à tous les niveaux. Parce que malheureusement, on a eu tendance à laisser seulement au gouvernement et aux pouvoirs publics, la question de l'emploi ou du développement communautaire, régional ou national. Je crois que le temps nous a démontré que c’est une question qui nous incombe à toutes et à tous.
Votre mot de la fin ?
J’aimerais dire à tous mes concitoyens nigériens et africains en général que nous avons un très bel héritage, qu'on doit continuer à œuvrer pour notre unité et la quête de la paix. Comme l’a si bien dit Thomas Sankara, il faut qu'on ose inventer l'avenir. Et on doit s'armer de beaucoup de courage et d'abnégation pour vaincre des tares comme la division, la pauvreté, l'obscurantisme afin que notre vaillant peuple puisse vivre dignement sur la terre de ses ancêtres. Permettez-moi de paraphraser Frantz Fanon, que « chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, la remplir ou la trahir ».
Nous nous devons d'identifier urgemment la nôtre et l'accomplir sans hésiter parce qu’il n’existe pas une autre alternative à cela. Merci. Hasta la victoria siempre!
Ismaël Oumarou Issaka >>
Réalisée par Boubacar Guédé
16 décembre 2018
Source : https://Nigerdiaspora.Net/