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Le Médiateur de la République sur la sécurité dans la zone du Liptako-Gourma : «Les discussions ont mis en exergue la nécessité de concilier les impératifs sécuritaires avec la création d’infrastructures, d’emplois et d’organes de veille» déclare Me Ali S

Monsieur le Médiateur de la République, la thématique de la sécurité reste toujours d’actualité dans notre sous-région. Vous avez organisé au mois de juin dernier à Niamey un séminaire régional sur la gestion des conflits locaux et communautaires dans la zone du Liptako Gourma. Comment percevez-vous cette problématique sécuritaire dans la zone des trois frontières ?

Il y a quelques décennies, la Communauté Internationale, s’appuyant sur les multiples crises qui menaçaient la paix mondiale, avait forgé le concept de sécurité collective, concept qui fut un grand référentiel dans les relations internationales et qui a fortement déterminé l’avènement des mécanismes internationaux de prévention et de règlement des conflits réels ou supposés entre les nations ou entre les blocs de nations. La crise sécuritaire qui affecte le Sahel et même au-delà, d’autres pays de la CEDEAO, actualise ce concept. La dégradation de la sécurité dans cette Zone se présente comme une problématique majeure qui met en relief un grand espace, l’Afrique au sud du Sahara, donc l’existence de millions de personnes réparties sur plusieurs pays africains. L’épicentre de ces épreuves difficiles et insupportables se situe dans la zone des frontières des trois pays membres du Liptako-Gourma à savoir le Burkina-Faso, le Mali et le Niger. Nous avons encore quelques repères cauchemardesques, comme les attaques d’Inatès et de Shinagoder au Niger, d’Igosssagou au Mali, et de Solhan et de Inata au Burkina Faso, pour rappeler cette cruauté quotidienne que des individus sans foi ni loi, sans cœur et sans âme, infligent aux populations du Liptako-Gourma. Cette évolution de la cruauté vient interpeller davantage les acteurs sur les mobiles réels de ces terroristes d’un nouvel âge qui, il faut le rappeler, n’ont ni identité, ni revendication. Nos Etats doivent conjuguer les efforts et les énergies, à exploiter les études et les rapports et à renforcer les forces armées et les stratégies militaires, les alliances et les unions, pour non seulement stabiliser ce désastre sécuritaire et humanitaire, mais surtout pour vaincre pour toujours, les ennemis de Dieu.

Et quelle analyse, le séminaire a-t-il fait de la situation que vous décriviez tantôt ?

Le séminaire régional auquel vous faites allusion visait entre autres objectifs, de permettre aux Médiateurs du Mali, du Niger et du Burkina Faso de faire une analyse des défis nés des conflits locaux dans la zone frontalière du Liptako Gourma, en tenant compte du contexte sécuritaire actuel ; de favoriser le partage d’expériences et de bonnes pratiques entre responsables des institutions de médiation représentées ; de partager les programmes en matière de prévention et de gestion des conflits locaux en zone frontalière du Liptako Gourma ; et renforcer l’ancrage institutionnel de ces programmes à travers une plus forte implication des institutions nationales de Médiation et des partenaires intervenant dans le domaine. Cinq panels ont réfléchi pendant trois jours sur les origines et les causes des conflits ; sur le dialogue et les plaidoyers à mener ; sur le fonctionnement du service public ; sur la protection des droits et libertés ; et sur les propositions de solutions pour le rétablissement de la paix.

Parmi les causes des conflits, il a été souligné, en premier, la vacuité des Etats dans la zone, qui constitue pourtant un petit espace de 170 000 km2. En effet, l’absence de l’Etat dans la zone du Liptako Gourma a facilité l’installation des acteurs de la violence, ensuite, l’infiltration des milieux administratifs et politiques par des groupes parallèles que sont les trafiquants d’armes et de drogues, ce qui entrave fortement, la lutte contre les conflits locaux et les violences en Afrique de l’ouest, en général, dans la zone du Liptako Gourma, en particulier. Il est proposé, en perspectives, de repenser les politiques sécuritaires ; de remédier aux problèmes d’analphabétisme, de paupérisation des populations et à la faible présence de l’Etat dans la zone des trois frontières. Une autre communication de nos enseignants chercheurs portant sur le thème «Les populations : cibles ou instruments des conflits asymétriques dans la zone du Liptako. Contribution à la lutte contre le terrorisme et les stratégies de lutte», a fait ressortir la situation complexe des populations prises en étau, entre, d’une part, les groupes terroristes, qui cohabitent parfois avec elles, et d’autre part, les Forces de Défense et de Sécurité, ce qui crée des relations occultes mais réelles entre ces populations et les groupes terroristes, renforcées par l’absence de l’Etat. Cette communication a évoqué, quelques éléments de fond sur les relations conflictuelles entre des groupes de populations d’éleveurs et d’agriculteurs. Ces conflits naissent, essentiellement, pour des raisons d’accès aux ressources tels que les points d’eau et de pâturage et entraînent une marginalisation de certains groupes de populations, ce qui facilite la création d’un terreau pour les groupes armés. Sur «le traitement administratif et judiciaire des conflits locaux et communautaires», l’étude a fait ressortir, en premier lieu, les facteurs générateurs des conflits locaux et communautaires, et qui se résument à des problèmes d’accès aux ressources qui constituent un enjeu majeur pour ces populations rurales ; des conflits politiques et institutionnels qui cultivent l’ethnocentrisme et le régionalisme et la montée de l’extrémisme religieux. Elle a, en second lieu, procédé à une analyse du système judiciaire et des mécanismes internes et inter étatiques de gestion des conflits. Ce système judiciaire et ces mécanismes de gestion des conflits communautaires rencontrent beaucoup de difficultés dans leur fonctionnement et sont relatives à la gestion des structures de mise en œuvre des mécanismes et à l’insuffisance des moyens techniques et financiers. La société civile a été également mise en cause, car ne jouant pas effectivement sa partition, en ce qui concerne la dénonciation de ces problèmes d’ordre fonctionnel.

Le séminaire régional s’est aussi penché sur la gestion des conflits locaux et communautaires par les mécanismes traditionnels de médiation. A ce propos quelles ont été les propositions formulées?

Il a été suggéré un type de négociation hors normes et inédits par des actions émérites afin de trouver des solutions aux problèmes qui nous assaillent actuellement. Des négociations sécrètent hors caméras, hors micros et même hors des circuits habituels de la diplomatie, en identifiant des personnalités morales crédibles pouvant mener des réflexions et déterminer un modèle de gouvernance plus inclusif.

La prévention et la gestion des conflits locaux communautaires dans l’espace du liptako est une autre préoccupation de nos pays. Quelles sont les conclusions auxquelles le séminaire est parvenu ?

Les principales causes et les mécanismes de gestion des conflits étant circonscrits, l’étude sur cette question précise, a énuméré  une kyrielle de propositions, qui peuvent être analysées en termes de recommandations, en vue de solutionner la crise sécuritaire dans la zone des trois frontières. Il s’agit notamment du dialogue avec l’ensemble des parties prenantes sur les stratégies les meilleures pour un développement rapide et durable dans la zone. Il s’agit aussi de prévenir la radicalisation ; d’initier des actions de sensibilisation des populations sur l’importance de la stabilité de la zone, gage de mise en œuvre des projets de création d’emploi et de formation pour les jeunes et les femmes ; la mise en place des comités de paix et de sécurité et/ou des cadres de concertation transfrontalières pour porter les messages des communautés entre les frontières ; la redynamisation des rencontres périodiques frontalières afin de prévenir et gérer les conflits dans l’espace transfrontalier ; la création des espaces de coopération transfrontalière à travers la mise en place d’organes de gouvernance de proximité chargées de prévenir les conflits transfrontaliers et de mettre en œuvre des programmes conjoints de développement économique ; la mise en place des colonnes foraines pour servir les zones où il n’existe aucun organe administratif de l’Etat. Les médiateurs doivent assurer un rôle d’intermédiation entre les protagonistes locaux et l’Etat ; enfin, la promotion d’une franche collaboration basée sur une confiance réciproque entre les populations et les FDS à travers la mise en place des initiatives de police de proximité. A travers les discussions, il est ressorti que nos institutions ont accompli déjà des actions concrètes pour développer et promouvoir la cohésion sociale, la paix et le vivre ensemble. Les discussions ont également, mis en exergue la nécessité de concilier les impératifs sécuritaires avec la création d’infrastructures, d’emploi et d’organes de veille. Il en est aussi ressorti, la faible représentation de certaines communautés dans les instances de prise de décision, les limites des modèles de règlement traditionnel des litiges, la nécessité de l’implication des femmes et des jeunes dans le processus du dialogue et l’investissement dans la prévention.

 Réalisée par Oumarou Moussa(onep)