Entretien avec la cinéaste Aïcha Macky Alkali Malam Kidy : « De tous mes films, “Arbre sans fruit” a été ma porte d’entrée et mon carnet d’adresse dans le domaine du cinéma »
Bonjour Aicha, aujourd’hui, vous n’êtes plus à présenter aux yeux des Nigériens, vous figurez parmi les pionnières de l’industrie cinématographique du Niger, parlez-nous de votre expérience en tant que femme dans le 7ème art ?
Je crois que c’est toujours important de se présenter parce que je ne suis pas la présidente du Niger pour avoir la prétention d’être connue de tous (rires). Je m’appelle Aïcha Macky Alkali Malam Kidy. Je suis née et j’ai grandi dans un quartier populaire de la ville de Zinder, Loungoun Alkali. Je viens d’une lignée de marabouts et chefs religieux. Mes parents n’ont jamais été à l’école moderne. Être à l’école a été pour moi un “joli accident” de parcours. J’ai fait mon cursus scolaire du primaire jusqu’à l’université dans des écoles publiques. À Zinder où je suis née, presque dans toutes les écoles, il existait un club culturel où le théâtre était particulièrement en tête de liste. J’ai évolué dans ce milieu culturel depuis ma tendre enfance. À mes six ans, j’ai eu l’honneur d’être le porte-voix de tous les scolaires de la région où j’ai adressé le plaidoyer des scolaires sous forme d’hymne chansonné en présence du Général Ali Chaibou, Chef d’État d’antan. Depuis, j’ai continué sur cette voie jusqu’au Lycée Amadou Kouran Daga (LAKD) où je faisais partie des animateurs du club de théâtre dudit lycée. Arrivée à l’Université Abdou Moumouni, j’ai continué au niveau de la Commission Affaires Culturelles où j’ai aussi marqué mon passage à travers des activités culturelles, notamment lors des soirées culturelles dédiées aux martyrs du 9 février 1990. Je peux dire que déjà j’étais prédisposée, du moins ‘’conditionnée’’ à embrasser une carrière dans le cinéma.
Mon rêve de devenir cinéaste à proprement parler est né de mon expérience de terrain. Sociologue de formation, j’ai participé à des recherches sur des thématiques variées. Vu que la majorité de la population du Niger est analphabète, ça m’a fait réfléchir quant à la destination des ouvrages qui sont pour la plupart en langue de Molière. Nantie d’une maîtrise en sociologie, j’ai saisi l’occasion d’intégrer le Forum Africain de Film Documentaire créé par son excellence Inoussa Ousseini Sountalma, à l’époque ambassadeur du Niger auprès de l’UNESCO. Qu’Allah soit satisfait de lui et lui ouvre les portes du paradis comme il a ouvert les portes du cinéma à la jeune génération du Niger et d’ailleurs. C’était mon premier contact avec le cinéma, et j’ai fini par tomber amoureuse de ce fabuleux art qui me permet de m’exprimer autrement.
Vous avez à votre compte plusieurs réalisations, parlez-nous brièvement de votre filmographie ; quelle est la réalisation qui vous a le plus marqué et dites-nous d’où vous tirez votre inspiration ?
De mes débuts en 2011 en stage au Forum à aujourd’hui, j’ai réalisé 4 films d’auteur dont 2 de fin de formation. À l’IFTIC où j’ai fait mon master I en Réalisation Audiovisuelle, j’ai réalisé “ Moi et ma maigreur”, un autoportrait qui était un prétexte pour aborder la question du gavage et ses conséquences sur la santé. À Saint-Louis où j’ai fait le master II en cinéma, j’ai réalisé “Savoir faire le lit”, un film qui questionne l’art de la séduction et l’éducation sexuelle entre mère et fille, au Sénégal. J’ai ensuite réalisé “Arbre sans fruit ” qui traite de l’infertilité et de la souffrance d’être femme parmi les mères. Surtout dans le contexte nigérien où les femmes ont en moyenne 7.5 enfants. Enfin, “Zinder”, un titre provocateur pour rendre compte de la situation des enfants de Kara- Kara, un ‘’quartier des parias et des laissés pour compte’’. Un village créé dans les années 70 pour recaser les personnes atteintes de la lèpre. Ce village qui aujourd’hui fait partie de la commune II de la ville de Zinder mais que beaucoup rejettent et acceptent difficilement comme faisant partie de Zinder. J’ai aussi à mon actif, plusieurs films de commande que je réalise en tant que consultante internationale, experte en cinéma.
De tous mes films, “Arbre sans fruit” a été ma porte d’entrée et mon carnet d’adresse dans le domaine du cinéma. Il a été aussi le film qui m’a le plus marquée. Je n’ai jamais imaginé qu’un simple carnet de vie, un journal intime que j’adressais sous forme de lettre à ma mère décédée en donnant la vie, pourrait intéresser le monde et avoir plus de 100 distinctions internationales, les unes plus prestigieuses que les autres. C’est un portrait croisé de la mort et de la vie. De la mort de ma mère, décédée en donnant la vie et de ma vie de femme qui n’arrive pas à donner la vie ; ça questionne la condition de la femme et pose la problématique de si on pouvait être femme, parmi les mères.
Mon inspiration, c’est la vie de tous les jours. Je ne cherche pas loin de mon environnement immédiat quand je veux faire un film. Toute notre vie est un réservoir intarissable d’histoires. Je fais un cinéma proche des réalités sociales de mon pays qui touche ailleurs. Toutes les problématiques que je traite sont des non-dits pour mettre à nu un certain nombre de comportements néfastes. C’est un cinéma utile qui, au-delà de la dénonciation, pose le débat pour que s’amorce un changement dans nos comportements de tous les jours. Pour moi, il était temps de converger vers un genre de cinéma qui instruit, inquiète… Un cinéma miroir qui nous permet de voir qui nous sommes et comment nous nous comportons, sans filtre ni maquillage. D’où les thématiques de l’infertilité, de la violence basée sur le genre, de la crise de la masculinité, de l’employabilité des jeunes…
Je fais du cinéma ma passion et en même temps un canal d’éducation des jeunes, des filles particulièrement. Je m’intéresse aux filles parce qu’elles n’ont pas toujours droit au chapitre. Depuis que j’ai commencé à former les filles, sur une dizaine de promotions, les films ateliers qu’elles réalisent parlent de ce à quoi elles sont confrontées dans leurs vies ou ce à quoi sont confrontées d’autres femmes. Ce sont les questions du harcèlement en milieu scolaire et professionnel, le viol sur mineurs et sur malades mentales, le divorce, le mariage forcé, etc…
Quelles sont vos perspectives pour booster la production cinématographique du Niger, particulièrement le leadership féminin dans ce secteur ?
Je travaille présentement sur un projet de long métrage sur la polygamie que j’ai appelé provisoirement “une tranche d’Amour”. Je suis au stade développement et parallèlement, je continue de mettre en place des formations des filles au niveau de toutes les régions du Niger. Dans la continuité de mon travail, on a collaboré avec UNICEF NIGER pour former des filles de leurs communes d’interventions. Nous apprenons aux filles à faire des films avec des smart phones. La plupart d’entre elles n’ont jamais touché à un smart phone. C’est des jeunes dont l’âge varie de 14 à 22 ans et qui viennent du milieu rural avec un niveau d’étude élémentaire pour les quelques rares qui ont été à l’école. On leur apprend à filmer, réaliser, monter et exporter un film. La seule étape qui est impossible pour elles, c’est les sous-titres, par manque de niveau. Cela n’enlève en rien le charme des films qui sont faits dans leurs langues maternelles et permettent d’engager des débats auprès de leurs communautés. Il faut noter que plusieurs filles et garçons que j’ai formés ont représenté le Niger à l’international et certains ont même rapporté des trophées. C’est le cas de Halima Doumbia qui a rapporté le grand prix au festival Clap Ivoire, la première fois que le Niger a remporté ce prix, en 22 ans d’existence. Je peux citer sans être exhaustive, Mariama Alio Sanda, Maimouna Oumarou, Balkissa Koussoukoye, Fawaz, pour ne citer que ceux-là. Nous avons plaidé auprès des organismes internationaux pour leur trouver des kit (caméra et accessoires, banc de montage…) et à d’autres des bourses pour aller étudier dans la sous-région. Je suis certaine que ces graines semées deviendront des plantes sous lesquelles le Niger pourrait s’abriter un jour. Et moi, je serais tentée de porter leurs noms sur mon CV (rires).
Ma plus grosse fierté c’est quand j’ai assisté à Matameye à la projection de cinq épisodes d’une série qu’une des filles que j’ai formées, Sahiba (16 ans) est en train de réaliser avec d’autres filles et garçons qu’elle a elle aussi formé. Elle n’a pas été à l’école mais maîtrise beaucoup les techniques et fait des merveilles avec son smartphone que l’UNICEF lui a offert à elle et à une vingtaine d’autres filles. Je me dis que je pouvais prendre ma retraite (rires).
Quelles sont les difficultés auxquelles vous êtes confrontées en tant que femme dans le domaine ?
Je crois qu’il est important de parler de difficultés d’ordre global d’abord. Nous sommes un pays où les artistes ne créent avec rien ! Les cinéastes particulièrement puisque, qui dit cinéma dit beaucoup d’argent. Un fonds de la culture appelé FONDAC existe depuis quelques années. Malheureusement, il n’est pas à l’image des fonds que nous connaissons dans le monde où un appel à projet est lancé, une liste du comité connu (c’est important pour savoir si les membres ont la compétence de lire des projets de cinéma surtout), la liste des lauréats et leurs profils connus et plus tard les résultats, c’est à dire ce à quoi a servi l’argent du contribuable attribué aux artistes. Malheureusement, nous constatons que des non pratiquants d’une discipline peuvent avoir beaucoup de millions et des pratiquants attitrés voient leurs dossiers rejetés pour un papier non légalisé, par exemple. Alors qu’ailleurs, les candidats dont les dossiers sont importants sont appelés pour mettre à jour leurs dossiers. Bref, un fonds où un Souley Kounko réussi en cinéma devant Martin Scorsese, Steven Spielberg et James Cameron et où des maires se servent des millions par trentaines, voire quarantaines, pour organiser des premières éditions des festivals dans des hameaux. C’est toutes ces irrégularités qui font que moi, et pleins d’autres professionnels, n’ont jamais déposé leurs dossiers au niveau dudit fonds. Bref, nous allons continuer à chercher des fonds internationaux, compétitifs, en attendant que des jours meilleurs s’annoncent chez nous, au Niger.
Ces dernières années, on constate une affluence dans la production des films de fiction, que pensez-vous de cela ?
Pour moi, que ce soit la fiction ou le documentaire, c’est toujours du cinéma. La plupart des films fictions s’inspirent des vécus, des histoires réelles, humaines. Il faut juste savoir que c’est un métier, on apprend à écrire des scenarii, à réaliser… on n’a pas forcément besoin d’aller à l’école, même si cette dernière donne beaucoup de choses. Il faut s’assurer de faire des vrais films qui sont aux normes internationales. On ne fait pas un film pour le mettre dans son tiroir après quelques projections. Un film ce n’est pas du reportage qui devient de l’archive après juste une diffusion. C’est un travail de mémoire qui est sensé avoir 99 ans avant de tomber dans le domaine public. Sans aucun plan de distribution et de diffusion en amont, la plupart sont fait pour être vu le temps d’une soirée de sortie et mourir le lendemain. Cela ne peut pas construire une industrie encore moins compétir ailleurs. Il faut qu’il ait une formation continue, surtout au niveau de ce genre où on voit des films à donner de la nausée et on n’ose même pas donner des orientations de crainte d’être boudé alors que personne ne se suffit à lui-même. En tout cas moi, j’ai toujours besoin des critiques des autres pour avancer, même venant des novices parce que c’est eux les spectateurs, on fait les films pour eux, pas pour nous-mêmes. La ruée vers ce genre pourrait aussi s’expliquer du fait que le documentaire prend énormément de temps à se faire et certains sujets sont difficiles d’accès. Sans compter que le hasard joue un rôle important au niveau de ce dernier. Un cadeau empoisonné qui pourrait sombrer le film si on ne sait pas comment s’accommoder pour contrer des obstacles ou les filmer en notre faveur et rendre le film plus fort.
Réalisé Fatiyatou Inoussa (ONEP)
Source : https://www.lesahel.org/