Interview du président du Collectif pour la Défense du Droit à l’Energie (CODDAE) M. Moustapha Kadi Oumani :
« En pareille circonstance, les Nigériens ont le devoir et l’obligation d’être solidaires avec leurs dirigeants actuels qui sont en train de gérer avec courage et détermination l’embargo économique »
M. le président, quelle lecture faites-vous de la situation actuelle du secteur de l’énergie depuis les sanctions illégalement infligées par la CEDEAO au Niger au lendemain du coup d’Etat militaire du 26 juillet 2023 ?
C’est un grand honneur pour moi de m’exprimer dans les colonnes de votre journal pour parler de ce problème qui nous concerne tous, parce que c’est de notre patrie qu’il s’agit. Effectivement, depuis les évènements du 26 juillet 2023, le Niger fait face à un embargo économique, commercial, financier et politique décidé par les organisations d’intégration sous régionales à savoir la Communauté économique des États de l’Afrique de l’ouest (Cedeao) et l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa). Aussitôt, le coup d’état perpétré par le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (Cnsp), ces organisations et leurs mentors internationaux ont brandi des menaces et pris de sévères sanctions contre le Niger. Sans nul doute, ces sanctions sont parmi les plus sévères jamais infligées à un Etat souverain et n’ont qu’un seul but : étouffer, asphyxier et isoler totalement notre pays.
Chose surprenante, certains chefs d’État se sont distingués par leur empressement dans leur application stricte. Le Nigeria voisin a, sans discussions préalables et sans préavis, déconnecté la ligne à haute tension transportant l’électricité vers le Niger au mépris total des accords qui régissent l’exploitation de cette énergie entre les deux pays, de telle sorte que des coupures d’électricité sont naturellement enregistrées dans les villes et villages de notre pays. Cette réaction disproportionnée se distingue aussi par l’empressement quasi-jubilatoire de nos partenaires d’hier à nous imposer ces sanctions inhumaines et irrégulières sans aucune exemption.
Nonobstant, la fermeture des frontières, la suspension des relations commerciales appliquées à l’ensemble des transactions, le gel des avoirs de l’État et des banques nationales auprès de la banque centrale des États de l’Afrique de l’ouest (Bceao), l’embargo sur les hydrocarbures, les produits pharmaceutiques et les denrées alimentaires, l’interdiction de visas à nos étudiants en France, constituent des châtiments qui sont de nature à mettre en péril la population nigérienne et son économie. Les motivations et les justifications qui sous-tendent leur application sont inacceptables et inadmissibles. Et comme si ça ne suffisait pas, on a envisagé un moment (et peut-être toujours en gestation dans des états-majors de pays hostiles) une intervention militaire ! Nous constatons avec satisfaction que la fourniture d’électricité s’améliore progressivement, comme le dit un économiste, « l’économie, c’est de l’énergie qu’on brûle », donc une mauvaise fourniture d’énergie est synonyme de sous-développement permanent. Mieux, le Chef de l’Etat s’implique d’une manière active dans la résolution du déficit énergétique.
Quel commentaire vous suscite la rupture unilatérale par le Nigeria de la fourniture de l’énergie électrique à notre pays malgré les accords qui unissent les deux sociétés d’énergie des deux pays ?
Cette situation de rupture de contrat aussi inédite qu’arbitraire est contraire aux pratiques entre deux États modernes. C’est une violation flagrante des accords commerciaux qui lient nos deux pays, et en même temps les fondements de la tradition africaine basée sur le respect de la parole donnée. A quelque chose malheur est bon serait-on tenté de dire si la situation n’était pas aussi grave, voire catastrophique, pour nos populations car, nos autorités et même les populations ont compris notre inquiétude de lutter pour notre indépendance énergétique puisque Dieu nous a offert des ressources naturelles pour cela mais comme on dit « le fruit mûr tombe mais pas dans la bouche ». Répétons-le, ces sanctions prises dès le 30 juillet violent délibérément le droit international, humilient leurs auteurs, démontrent leur égo surdimensionné, leur mépris et leur arrogance vis-à-vis du peuple du Niger en particulier et des peuples de la Cedeao en général. Quand je vous disais qu’il s’agissait ni plus ni moins que d’une jubilation ou une excitation fébrile à nous asphyxier.
En pareille circonstance, les Nigériens ont le devoir et l’obligation d’être solidaires avec leurs dirigeants actuels qui sont en train de gérer avec courage et détermination cet embargo qui, au-delà de son caractère destructif, donne à notre pays l’occasion de prendre son destin en main. Actuellement, les coupures d’électricité dont est victime le Niger sont les conséquences logiques de la violation des textes régionaux et internationaux. La communauté internationale doit retenir que l’avenir du Niger dépend en grande partie de son peuple. Les efforts que déploieraient les partenaires pour l’aider sont des contributions très insignifiantes. Certes, la possibilité d’imposer un embargo sur les armes est prévue par l’acte additionnel de la Cedeao de 2012, mais les sanctions de cette nature, qui sont contre l’accès aux biens et produits essentiels et l’acheminement de l’aide humanitaire, sont contraires aux textes de la Cedeao et de l’Uemoa. De même, en droit international, l’imposition d’un embargo total sans exemption humanitaire pour les biens essentiels parait difficilement compatible avec les obligations pesant sur les États.
D’autre part, l’Assemblée générale de l’ONU ainsi que le Conseil des droits de l’homme ont condamné à plusieurs reprises ce type de mesures, et ont demandé aux États de s’abstenir de les adopter ou de les appliquer. Mieux, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels de cette institution a clairement souligné que « les habitants d’un pays ne doivent pas être privés de leurs droits économiques, sociaux et culturels fondamentaux parce qu’il a été déterminé que leurs dirigeants ont violé des normes relatives à la paix et à la sécurité internationales ». C’est pourquoi, la crise énergétique que traverse le Niger doit permettre aux Nigériens de ne plus considérer l’électricité comme un simple produit de consommation, mais un vecteur prioritaire dans l’amélioration des conditions de vie et de travail. Nous avons désormais un moyen d’atténuation qui est le barrage de Kandadji sur le fleuve Niger qui serait doté d’une centrale électrique de 130 mégawatts. Comme nous le disions tantôt, c’est le départ de notre indépendance énergétique qui nous est proposée par cette agression qui viole allègrement tous les instruments en matière de sanctions. Puisse ce vœu figurer en bonne place des résolutions fermes qui seront prises par le Conseil Consultatif National. Dès lors, notre pays ne doit nullement céder aux menaces qui ont pour objectif de compromettre son avenir. De ce fait, nous avons un grand espoir que depuis les événements du 26 juillet 2023, le Niger se lance sur la conquête de son indépendance énergétique.
En tant qu’expert en la matière, que conseillerez-vous aux autorités nigériennes pour que ce genre de situation préjudiciable à l’économie nationale soit définitivement évitée ?
Cette question touche une triste réalité. Il n’y a pas lieu de se décourager. Il faut garder espoir que la situation s’améliorera rapidement. Il nous faut trouver de vraies solutions. Il en est une que nous offre l’Alliance des trois Etats du Sahel (AES) (Niger, Burkina, Mali) si les promesses contenues dans les intentions venaient à s’exprimer dans les faits. Cela voudrait dire qu’il faut serrer les rangs en vue d’utiliser ensemble les sources d’énergies offertes pour minimiser les coûts d’exploitation et concomitamment mettre fin aux délestages et sécuriser les approvisionnements. Nous espérerions que des changements substantiels interviendront pour assurer la prospérité du secteur énergétique et la défense des intérêts des populations. Dans cette hypothèse, nous soutiendrons toute action tendant à revoir les méthodes d’exploitation et les contenus des contrats, l’édification d’un environnement sain autour des centrales électriques et la satisfaction des besoins des consommateurs. Pour l’instant, poser ces préoccupations majeures, c’est revenir à la source du problème, d’où notre appréhension qui vise à demander l’instauration de véritables bases de développement durable en matière énergétique. Nous apprécions le fait que les nouvelles autorités soient de plus en plus exigeantes par rapport à l’intérêt général et ambitionnent un mieux vivre au Niger. De ce fait, pour assurer la pérennité des exploitations énergétiques, les parties prenantes à savoir l’État, les délégataires de service public de l’énergie, les associations des consommateurs doivent faire preuve de flexibilité, d’agilité et de redevabilité. Cela mettra au goût du jour l’ambitieux programme électronucléaire du Niger. Nous osons espérer que personne ou presque ne s’y oppose. Il nous faut obligatoirement une énergie de substitution, d’où le choix du nucléaire civil. Un choix pertinent, et je pense que nos responsables politiques l’ont bien compris dans cette perspective. A la lumière des résultats extrêmement encourageants, le programme électronucléaire du Niger suscite l’admiration, et de nouveaux objectifs ont été fixés par l’AIEA, l’ARSN et la HANEA. Il s’agit d’un choix cohérent et déterminé par des facteurs internes et externes, plaçant de grands espoirs dans sa mise en œuvre. L’exécution d’un tel programme permet à notre pays d’acquérir un savoir-faire et une maîtrise des technologies dans ce domaine. Il s’agit d’analyser les choses objectivement, pour réussir et conduire des actions de développement, d’industrialisation et d’incitation dans les secteurs les plus prometteurs. En effet, l’électricité nucléaire est un sujet d’actualité permettant à notre pays d’être plus indépendant du point de vue de son énergie, c’est-à-dire qu’on ne puisse plus disposer de nous. Maintenant, notre préoccupation est comment finaliser notre programme électronucléaire (PEN) sur les problèmes de garanties et de risques.
Depuis le 1er novembre dernier le Niger est devenu un pays exportateur de pétrole brut. Quelle pourrait être la plus-value pour le pays ?
La mise en production de la phase II du bloc Agadem est une question de fierté légitime. Il est important de souligner que ce lancement est un moment historique pour notre pays, inscrivant le Niger parmi les pays exportateurs du pétrole brut. Ce qui semble être une bonne nouvelle. Je souhaite saisir cette occasion pour exprimer mes remerciements et ma gratitude à toutes les équipes qui ont contribué à un tel succès. De toute évidence, le pétrole brut est l’une des denrées les plus précieuses sur les marchés de la planète. Dans le même temps, les cours varient de jour en jour, et dépendent de toutes sortes de facteurs plus ou moins hors du contrôle des gouvernements et de l’industrie. Au nombre de ces facteurs : les taux de consommation et de production dans le monde, la santé générale de l’économie planétaire et la situation sociopolitique des pays acheteurs ou producteurs de pétrole et de ses dérivés. Difficile donc de déterminer le moment où l’on atteindra le point haut de la production. Sans aucun doute, si la demande venait à dépasser la capacité d’approvisionnement de l’industrie, il est probable que les prix connaissent une hausse. C’est à juste titre que cette phase promet de stimuler l’économie nationale pour contribuer à financer les projets de développement.
Le principal défi est de répondre aux préoccupations des consommateurs en agissant sur les prix du carburant, puisque la fermeture des frontières entre le Niger et le Bénin, n’a pas entravé le projet. Le pipeline, d’une longueur de près de 2 000 km, offrira à notre pays la possibilité d’exporter son pétrole brut sur le marché international, en utilisant le port de Sèmè, situé au Bénin. Dès lors, les caisses de l’État pourront connaitre une amélioration spectaculaire. Ce qui est sûr, cette situation créera de nombreux emplois directs et indirects pour les travailleurs d’autres industries et entreprises, contribuera à limiter l’immigration, stimulera les dépenses de consommation et exercera une influence indirecte sur d’autres secteurs de l’économie comme les infrastructures, la santé, l’éducation, l’agriculture, la recherche avec suffisamment de conviction. C’est dire que des signes de reprise économique sont visibles, ainsi qu’un soutien gouvernemental important pour atténuer les effets néfastes des sanctions. De ce point de vue, une croissance de l’emploi entraînera une hausse des dépenses, qui profiteront à d’autres secteurs de l’économie. Je suis convaincu que même si l’industrie pétrolière et gazière fait figure de nouvelle venue dans l’économie nigérienne, dans cette période de sanctions, elle en est vite devenue un élément clé de notre souveraineté, en témoigne la disponibilité et l’accessibilité des hydrocarbures partout au Niger.
Propos recueillis par Oumarou Moussa (ONEP)
Source : https://www.lesahel.org/