Interview de Mme Allahoury Aminata Zourkaleini, Ministre de la Promotion de la Femme et de la Protection de l’Enfant
«Si les conditions équitables d’accès à l’éducation pour tous sont garanties, je suis certaine que les femmes peuvent être aussi compétitives que les hommes et on n’aura donc pas besoin de quota» Mme Allahoury Aminata Zourkaleini, Ministre de la Promotion de la Femme et de la Protection de l’Enfant
Mme la Ministre, le 13 mai 1991, les Femmes Nigériennes ont battu le pavé pour aller au cabinet du Premier ministre afin de revendiquer plus de places au sein de la Commission préparatoire de la conférence nationale souveraine. Trente-deux ans après, comment appréciez-vous, en tant que femme d’abord puis en tant que ministre, le chemin parcouru dans ce noble combat ?
La journée nationale de la femme Nigérienne remonte à la date du 13 mai 1991 où les femmes ont revendiqué une meilleure représentation au sein de la commission préparatoire de la Conférence Nationale Souveraine. Le Pouvoir public, conscient de la légitimité de cette lutte a porté leur nombre d’une femme à cinq (5). Ce noble combat a été un déclencheur ayant abouti à un certain nombre de résultats tels que le rehaussement du nombre de femmes à la conférence nationale ; l’institutionnalisation de la journée du 13 mai par décret N°92-370/PM/MDS/P/PF du 25 Novembre 1992; l’institutionnalisation du quota ; le débat autour de thématiques variées débouchant sur une prise de conscience et des recommandations à mettre en œuvre ; la mobilisation des organisations féminines, des structures étatiques, des instituts de recherche, à travers tout le pays à l’occasion de cette journée.
L’une des avancées les plus remarquables en termes de prise en compte des femmes, c’est la question du quota que nombre de Nigériens critiquent. Pensez-vous qu’il faut en faire plus et réformer littéralement le principe du quota ?
Permettez-moi d’abord de faire un bref aperçu de quelques avancées enregistrées dans le cadre de la mise en œuvre de la loi sur le quota au Niger. 23 ans après l’adoption de la loi sur le quota, des progrès importants ont été enregistrés tant au niveau des postes électifs que ceux nominatifs. A titre illustratif, d’une (1) Femme Député sur 83 en 2000, soit 1,2%, le Niger compte aujourd’hui 51 Femmes sur 166 députés soit 30,12% au parlement. Au niveau des Conseils Communaux, nous sommes passés de 661 femmes Conseillères en 2004 à plus de 1000 femmes aujourd’hui. Pour les postes nominatifs, de 4 femmes Ministres sur 28, soit 14,28% en 2000, le Gouvernement du Niger compte actuellement 6 femmes sur 36 Ministres soit 16,66%. Au niveau des départements on compte aujourd’hui 3 femmes Préfets. Les Nigériens ont tort de critiquer la loi sur le quota car les femmes occupent plus de 50% de la population, il n’y a pas de raison qu’elles soient sous représentées dans les sphères de prise de décision et dans la vie publique en général. Aussi, nous devons plutôt nous réjouir et féliciter les autorités qui œuvrent pour corriger ces inégalités de genre.
Selon vous, quelle aurait été la place de la femme si ce principe n’était pas appliqué?
C’est notre contexte social qui ne favorise pas encore l’accès des filles à l’école. C’est pourquoi le gouvernement travaille à créer les conditions équitables d’accès à l’éducation pour tous. Si cette condition est remplie, je suis certaine que les femmes peuvent être aussi compétitives que les hommes et on n’aura donc pas besoin de quota.
Mme la ministre, contrairement à certains pays de la sous-région, on constate avec un pincement au cœur que les femmes nigériennes sont moins présentes sur la scène internationale, qu’est-ce qui explique cela et que compte faire le gouvernement pour promouvoir la Nigérienne à l’échelle internationale?
Au-delà de la femme, la question de la représentativité au niveau international concerne tous les Nigériens en général. En effet, comparé à beaucoup de pays de la sous-région, nous sommes moins bien représentées. Cette situation, à mon humble avis, s’explique par le retard accusé par le Niger sur le plan de l’éducation depuis la période coloniale. Toutefois, malgré ce retard, nous ne sommes pas si mal lotis. En effet, nous avons des Nigériennes que je me garderais de citer de peur d’en oublier d’autres, qui ont occupé des fonctions de haut niveau au plan international. Par ailleurs, il faut le dire, le gouvernement à travers le Ministère des Affaires Étrangères, développe des efforts importants pour promouvoir les Nigériens à l’international.
On parle beaucoup de l’autonomisation de la femme et l’on constate que les lignes bougent vraiment surtout dans les centres urbains ; qu’est-ce qui est en train d’être fait pour pérenniser et consolider les acquis ?
La lutte pour atteindre l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes et des filles constitue un enjeu et un défi de développement pour nos pays, particulièrement l’autonomisation des filles et des femmes en milieu rural. Pour relever ces défis, le Gouvernement du Niger, à travers le Ministère en charge de la Promotion de la Femme a élaboré la Stratégie Nationale d’Autonomisation Économique de la Femme et son Plan d’actions en vue de renforcer l’accès et le contrôle des moyens de production (terre, capital, intrants, technologie, temps) ; l’accès à l’information et aux formations ; l’accès au marché de travail formel et informel et l’accroissement de la scolarisation des filles et l’alphabétisation des femmes.
Quelle est la place des femmes dans les zones rurales dans l’agenda gouvernemental, notamment dans le plan de développement économique et social (PDES) ?
La place de la femme en général et en milieu rural en particulier, est prépondérante dans l’axe 7 de la Déclaration de la Politique Générale (DPG) du Gouvernement déclinée dans le Plan du Développement Économique et Social (PDES 2022 – 2026, axe 1 relatif au développement du capital humain, l’inclusion et la solidarité. A ce niveau, la réduction des inégalités de genre repose, sur la mise en œuvre des actions majeures comme l’atténuation du poids des pesanteurs socioculturelles sur les filles et les femmes ; la promotion de l’autonomisation économique des femmes et des jeunes filles, y compris celles en situation de handicap ; le renforcement de l’employabilité et de l’accès des femmes, des jeunes filles et celles en situation de handicap à des emplois décents et sécurisés ; la réduction des violences basées sur le genre et le renforcement de l’accès des femmes et des jeunes filles dans les instances de décision et de gestion aux niveaux national, régional et local.
Il est à noter qu’à travers ces actions, un accent particulier est mis sur les femmes des zones rurales, compte tenu de la disparité existant entre les zones urbaines et les zones rurales. On peut citer entre autres la mise en place des plates-formes multifonctionnelles, des moulins, etc., pour l’allègement des tâches quotidiennes ; la sensibilisation (accès à l’information, à la santé, accès à la terre) ; la formation, l’alphabétisation ; la mise en œuvre de certaines approches comme l’Initiative adolescentes «Illimi» qui a pour but de réduire le taux de mariage des enfants et de retarder les grossesses précoces ; la mise en œuvre du programme d’internat du Président de la République, pour favoriser l’accès des filles du milieu rural à l’éducation.
Pensez-vous, comme certains compatriotes, qu’il faille repenser le mode de célébration de la JNFN pour que cette journée dédiée ait plus d’impact et serve mieux les générations futures ?
La célébration du 13 mai est dans une dynamique d’innovation. Si vous avez remarqué, l’année passée, à la trente-unième (31ème) édition, c’est le Chef de l’Etat lui-même qui a présidé la cérémonie et pour cause. Il l’a fait pour faire passer un message qui n’est pas des moindres: il s’agit de la forte croissance démographique. En effet, on ne peut trouver meilleure cible que les femmes pour faire passer un tel message compte tenu de leur poids et leur position dans la famille. Ce message a suscité beaucoup de questionnements et a permis une prise de conscience sur ce phénomène. Cette année, par rapport à la thématique «Femme et développement», plusieurs activités ont été menées. On peut noter entre autre, la décoration des femmes pionnières qui est un bel exemple de réussite pour la jeune génération ; les conférences sur des thématiques pour réfléchir sur les avancées en matière de participation de la femme au développement. Par exemple «La femme nigérienne entre marginalisation imposée et marginalisation consentie» par l’Université Abdou Moumouni de Niamey, «Leadership des femmes» par la DGI, «Femme et aviation civile» par l’Association des Femmes de l’Aviation Civile du Niger, «Femme et Numérique» par les cadres du Cabinet de la Présidence, etc.
Ceci pour expliquer que le 13 mai est loin d’être une journée festive. C’est pourquoi, nous recommandons une couverture médiatique plus large et significative des différentes activités. Car le plus souvent, on ne montre que des femmes en train de danser alors que c’est juste pour joindre l’agréable à l’utile.
Je finis cet entretien par ce conseil : que chaque femme, avant de dire «je», «moi», regarde autour d’elle et se rende compte qu’elle n’est pas seule, qu’il y a bien d’autres capables de bien de choses. C’est ensemble que nous pouvons bâtir l’édifice et un édifice solide.
Propos recueillis par Zabeirou Moussa (ONEP)
Source : http://lesahel.org/