Redécouverte du Sultanat de l'Ader avec Moustapha Kadi Oumani : Un voyage dans le temps pour préserver notre histoire
Revisiter notre patrimoine culturel est un devoir de mémoire qui nous incombe. Il est important de faire ce voyage à travers le temps pour immortaliser nos valeurs, une responsabilité qui nous interpelle pour ne pas perdre les traces des hauts faits de nos devanciers. Véritable instrument de cohésion sociale et de solidarité, le sultanat de l’Ader, reste toujours vivant en Afrique. En s’appuyant méthodiquement sur son organisation, il assurait dans les meilleures conditions la préservation de la dignité humaine, anticipait et prévenait les conflits, en privilégiant le dialogue et le règlement pacifique des différends. Au delà de sa dimension politique et historique, il a été arbitrairement rayé par la colonisation. Son créateur, Muhammed Agabba, battit avec courage et détermination son immense territoire, qui s’étendait jusqu’au Nigeria. Nous avons échangé avec Monsieur Moustapha Kadi Oumani, issu doublement de sa descendance, qui a accepté de répondre à nos questions.
La Source : Comment décririez-vous l’origine de Muhammed Agabba, sultan de l’Ader ?
Sans me prétendre historien, sur la base des fonds d’archives familiales issues de la chefferie d’Illéla et des nombreux écrits, notamment du Professeur Djibo Hamani, « L’Adar précolonial, contribution à l’étude de l’histoire des états Hausa », et dans l’ouvrage du Capitaine Yves Urvoy, « Histoire des populations du Soudan central » et, des manuscrits authentiques et inédits dont beaucoup ne sont pas disponibles en langue Française, Muhammed Aggaba créa le sultanat de l’Ader au XVIIème siècle. Il est le descendant du premier sultan de l’Aïr, Yunus, fils de Tagag Tahannazaneit, soeur de Ahinaç, d’origine turque. Selon les écrits, le sultan Ottoman Yildirim, premier Bayezid envoya son fils Yunus de la famille de Aghaïni et de Ta’azarete dans l’Aïr à la demande d’une délégation de cinq tribus Touarègues Sandales, parties à Istanbul demander au sultan Constantinople une protection. Sur autorisation du roi, son fils Yunus partit au pays A’aren çattafane, une ville du Fezzan (localité de Bilma) en compagnie de 400 guerriers pour prendre le contrôle de l’Aïr de 1405 à 1424. Il fut successivement remplacé par Ag Assane et ses frères, tous fils de Tagag Tahannazaneit. Le nom « Agadez » daterait de cette époque et dériverait de Tagadez, qui veut dire « visite ». Les premiers dirigeants menaient une existence nomade à Assodé dans le centre de l’Aïr, puis à Tadeliza qu’ils abandonnèrent pour s’établir à côté de la marre de Tin Chamane près de la ville d’Agadez. Les successeurs s’installèrent sur les territoires de l’actuel nordNiger et fondèrent le sultanat de l’Aïr. La région du Kawar, faisait partie du Sandjak du Fezzan dans l’empire Ottoman turc en 1400. Ce sont les descendants de cette lignée qui sont désignés « Istanboulawas ». Ils règnent de nos jours aux trônes des chefferies d’Agadez, Illéla, Doguéraoua et Tamasqué.
Comment Muhammed Agabba, était-il arrivé à conquérir le vaste territoire du farouche roi Kanta de Kébi, actuel nord-ouest du Nigeria ?
Avant le XVIIème siècle, l’actuelle région de Tahoua, fut appelée « région des Azna » ou « Aznan ramous », sous la domination du roi de Kébi (actuel Argungu du Nigéria), dirigée par Muhammad Kanta. Vers 1674, Muhammed Aggaba, conduisit une guerre victorieuse contre le souverain de Kébi. Le sultan Agabba, passa de statut de prince au héros de la guerre. Après cette victoire, le peuple Azna l’accueillit avec enthousiasme. « Nous sommes ravis que tu sois venu à nos côtés », clamèrentils.
Il accéda très jeune au trône. La région prit la dénomination de « Adel » qui signifie Adar, en Tamasheq (une zone ravinée géographiquement). Le jeune sultan Agabba régit son royaume qui s’étendait de Kébi à l’actuel Ader, de manière stratégique, et imposa la paix et la sécurité. Sa polyvalence et sa logistique permettraient aux cavaleries de s'adapter à tous les milieux. L’expérience guerrière de Agabba fut le fruit d'une participation active dans plusieurs guerres. Il eut pour objectif de travailler pour le progrès et le bienêtre de ses administrés, et fut l’un des rois le plus riche de la contrée. Il arriva à faire du royaume un modèle et un pôle d’attractivité économique. L’action de Muhammed Agabba dans le domaine militaire qu’idéologique eut durablement marqué la société touarègue. Son règne atteignit la prospérité du sultanat pendant plus de trois siècles. Il ne tolérait aucune défaite, aucune erreur. En 1689, commença un nouvel épisode de lutte contre les Gobirs, qui se termina par la victoire des Touaregs. Une importante caravane de KelAir, guidée par Saley, frère d’Agabba revenant du Kebbi, fut attaquée et pillée par les Gobirs, dans la localité nordouest de l’actuel Madaoua. Le désastre fut complet, et les Touaregs durent s’enfuir à pied avec leurs seuls vêtements dans l’Ader. Agabba partit luimême venger cet affront. « Dieu donna à Aggaba, contre (les coupeurs de route), une victoire complète ». Il détruisit leurs villages, pilla et ramassa toutes leurs richesses et emmena en captivité leurs enfants et femmes. Il leur fit ainsi plus fort et plus grand qu’ils en avaient fait à son frère Saleh. Le sultan Agabba envoya quelques uns des captifs vers les villes du Touat et d’autres au Fezzan. Il en garda le restant de ceux-ci dans sa cité. Après cette cuisante défaite, les Gobirs capitulèrent.
Pourquoi, est-il retourné au sultanat de l’Aïr après avoir dirigé le sultanat de l’Ader pendant trente sept ans ?
A la fin de la stabilisation du royaume qu’il érigea en sultanat de l’Ader, Muhammed Agabba décida de retourner à Agadez pour poursuivre ses expéditions. Après la mort de son père El Mobareck dans la nuit du dimanche, Mohammed Agabba, son fils ainé prit le pouvoir en cette même nuit avant l’apparition de l’aube. Il fut intronisé sultan de l’Aïr qu’il dirigea pendant trentequatre ans avant de repartir dans l’Ader gouverner le royaume pour une seconde fois. En 1702 et 1703, divers combats avaient éclaté à Chawwouzni, Eç.atour et Tazmak. En 1703, de nouveaux troubles éclatèrent obligeant Agabba à se retirer à InGall. La même année, un combat intervenait à Takarkar et un accord de paix fut signé à Anoumarane. Le combat de Djikat eut lieu en 1711 et celui d’InGall en 1712. La ville d’Assodé est prise par le sultan en 1713, les habitants s’étant soulevés. La vision de cet homme, très courageux et fort, l’inspira à envoyer le Fqih Ayyoub Ben Mohammed Baba, le Fqih ElDerfane, Ibn El Azmane, Abou’l Qasim Ben Moallam, et Abd El Kerim Ben Teloua, vers les Touaregs pour leur demander de faire la paix entre eux.
Cette paix fut acceptée dans la montagne des Tarouadjis. A l’époque, Muhammed Agabba eut l'une des armées les plus coriaces dotées d'une détermination démesurée. Une crise survint entre le palais et les notables. Un désaccord avec son frère vit le jour. En raison de son âge, Agabba fut renversé par son frère Mohammed El Amine, qui régna neuf mois, fut détrôné à son tour par son frère El Ouali, chassé lui-même au bout de quatorze mois par Mohammed El Moumine en 1724. Celuici, neuf mois après, en 17241725, fut remplacé par Mohammed Ag Aïcha, fils de Muhammed Agabba, qui régna pendant dix ans.
Comment le sultan Muhammed Agabba est-il retourné à la tête du sultanat de l’Ader après trente quatre ans d’absence ?
En 1721, intervient la destitution de Muhammed Aggaba du trône du sultanat de l’Aïr. Pour éviter le soulèvement des tribus dépendantes du sultanat, les sages recommandèrent aux deux frères de s’entendre sur l’héritage en suggérant à Muhammed Agabba de retourner s’installer dans l’Ader, pays qu’il avait conquis trente-sept ans auparavant et où les Itissines étaient installés. Il s’y rendit alors, en compagnie des tribus de certains groupes ethniques comme les Illissawans, Tawantakass et Tazgamawa qui lui sont restés fidèles. A son retour dans l’Ader, le Prince conquérant réorganisa son sultanat en quatre secteurs dans lesquels on retrouve les localités de Bouza, Keita, Déoulé, Tahoua, Illéla, Bambeye, Garhanga, Tamaské, Kalfou et une partie de Dogaraoua. Les quatre secteurs étaient structurés de la manière suivante : le secteur de KeitaTamaské, dirigé par les Illissawan (actuels cantons de Tamaské et de Keita). Le chef de secteur porte le titre de Amattaza, nom que porte l’actuel chef de canton de Keita ; le secteur d’Alamtei, dans lequel sont localisés les départements actuels de Keita, Tahoua et Bouza ; le secteur de Serkin Magori et de ses vassaux basés à Déoulé, ville des « Magorawa », située dans l’actuel département de Bouza. Le chef de canton de Déoulé porte toujours le titre de Sarkin Magori, et sa région s’étend jusqu’au département de Madaoua ; le secteur centre qui s’étend de l’ouest de Keita à l’actuel département d’Illéla et allant jusqu’à la zone de Guidan Idder, (Canton de Dogaraoua). Agabba créa de ce fait un Etat rival de l’Aïr, avec une nouvelle capitale Birni Ader, et un clan de privilégiés, les Lissaouanes. Il étendit son influence jusqu’à l’Aréwa et le Kourfeye. Dans un tel contexte, les alliances prennent toute leur valeur. Le sultan Agabba régna tranquillement sur son sultanat jusqu’à sa mort, en 1738. Son règne engendra une nouvelle dynastie des Sarki Ader. C’est ainsi que depuis la fin du XVIIème siècle, la lignée de Muhammed Aggaba, s’est installée à la tête de l’AderDoutchi qui prit comme capitale, dans un premier temps, Birni Ader, non loin de Dareye (actuel canton de Garhanga) et dans un deuxième à Azao (située à 10 km environ d’Illéla), et enfin dans un troisième à Illéla. Trois siècles durant, les membres de cette famille se sont succédés à la tête du royaume.
Attendiez-vous un jour à la réhabilitation du sultanat de l’Ader par le gouvernement Nigérien ?
Les héritiers de Muhammed Agabba avaient conscience de l’impact que pouvait avoir l’emprise des colons sur leurs territoires et, face à cette situation qui pouvait remettre en cause leur mode de vie, des mouvements de résistance contre la colonisation virent le jour, (refus de rencontrer les colons français, génocide à Libatan qui occasionna des milliers de morts). Face à la situation de crainte, les colons réquisitionnèrent toutes les armes du sultanat pour une destination inconnue. Une fois encore, un héritage national fut dilapidé. Le sultanat de l’Ader fut injustement réorganisé en canton en 1900 (une nouvelle appellation des colons Français), avec l’arrestation et l’emprisonnement du Sultan Attou Wachar, déporté à Tahoua. Voilà comment une civilisation millénaire, dont la culture et l’histoire font partie du trésor de l’humanité et la diversité et de notre patrimoine commun, fut arbitrairement supprimée. La raison avancée, est le refus de collaboration avec les représentants du colon dans le cadre de la constitution du stock alimentaire. A l’époque, une bonne partie des récoltes des céréales dont le mil, le sorgho, le maïs et le haricot devraient partir dans les colonies. Après quelques années, l’occasion est saisie par le colon pour destituer le Sarki Ader, Boubé Wachar, qui hérita du trône après la mort de son frère Attou Wachar. Toutes les pratiques traditionnelles et le grand territoire du sultanat de l’Ader sont modifiés et institutionnalisés par le Commandant du cercle. Plusieurs Chefs de cantons sont nommés dans le territoire du sultanat par l’autorité coloniale. Ils constituent des auxiliaires de l’administration et leur titre se transmet par héritage.
C’est pourquoi, tout homme raisonnable ne peut que s’étonner de voir un sultanat d’une telle envergure réduit à la mission d’un canton. Lorsque la colonisation étendit sa domination, c’est toujours avec la dynastie des Sarki Ader (descendants du sultan Agabba) qu’elle avait composé, parce qu’elle ne trouvait aucune alternative. Le Sarki Ader occupe aujourd’hui le territoire de deux départements : Illéla et Bagaroua, demeurant l’unique exemple au Niger où les frontières d’un canton sont confondues à celles de deux départements distincts. Depuis cette réorganisation, le canton a été administré par les Sarki Ader Attou Wachar, Boubé Wachar, Oumani Attou, Kadi Oumani, et Yacouba Habibou qui sont les arrières petits fils du sultan Muhammed Aggaba. Cependant, plusieurs tentatives de réhabilitation du sultanat ont été enregistrées : d’abord, l’une des choses les plus importantes, à mon sens ; sous le commandement du Capitaine Broun, une tentative de restauration du sultanat de l’Ader, fut proposée. A cette occasion, il avait été demandé au Sarki Ader, Oumani Attou, de désigner ses frères à la tête des nouveaux cantons qui seront créés dans le territoire qu’il dirige ; mais, en raison de son attachement à l’unité de son territoire, il rejeta catégoriquement l’offre. Le deuxième élément qui me parait important, au cours d’un important débat à la plénière de l’Assemblée nationale de la première République sur la création de la province de Tahoua, les 50 députés avaient estimé que, pour une question de bon sens, si le canton d’Illéla, berceau de l’histoire de l’Ader, n’est pas érigé en province, aucune autre localité ne pourrait l’être dans cette région. Ensuite, dans le cadre des dénominations des Lycées nationaux du Niger, certaines personnalités ont proposé de baptiser le Lycée de Tahoua : « Lycée Galabi ». L’Honorable Galabi étant le premier Chef de canton nommé par l’administration coloniale à Tawa (Tahoua), après l’abandon du Prince Adou, frère de Attou, qui dirigeait la ville de Tahoua et ses environs, pour se rendre à Azaou. En bon connaisseur de l’histoire du Niger, le feu Général Seyni Kountché avait demandé à l’assistance : qui a créé le sultanat de l’Ader ? La réponse fut sans équivoque : c’est Muhammed Aggaba.
Dès lors, le Lycée de Tahoua, prit définitivement le nom de Lycée National Aggaba. De plus, à l’amorce de la décentralisation, les débats ont montré que Ader et Maggia ont toujours formé un tandem. Si l’appellation « région de l’Ader » était maintenue, il va falloir transférer la capitale de la région de Tahoua dans la ville d’Illéla, afin de coïncider avec la référence historique. Là, également, rien d’étonnant, ledit débat a été abandonné pour s’accorder au maintien de la dénomination « région de Tahoua ».
Je terminerai sur un point qui me semble absolument majeur. Après la visite officielle du Président français, Jacques CHIRAC au Niger, il écrit, le 30 octobre 2003 à Elhadji Kadi Oumani, une lettre où il a témoigné au Chef de province de l’Ader « sa satisfaction pour l’accueil qui lui a été réservé et le témoignage d’amitié à l’égard de la France ». Le Président CHIRAC, se référant aux archives de l’administration française, a relevé que le Sarki Ader, était bien le Chef de province d’Illéla, selon la documentation de l’administration française. Il ressort de ces faits et événements que la transformation du canton d’Illéla en sultanat, n’est qu’un acte juste et une reconnaissance de nos valeurs ancestrales au moment où plusieurs pays africains s’inscrivent dans cette dynamique. L’histoire retiendra le souvenir de cette décision héroïque et les noms des restaurateurs de nos valeurs ancestrales. Une décision qui s’inscrira dans une tendance en cours dans de nombreux pays en Afrique, où des hauts dirigeants tiennent à ce que les citoyens n’oublient point les faits marquants de leur histoire. Dans le cadre de la réhabilitation et de la sauvegarde de son patrimoine socioculturel, le Président Ougandais, Yoweri Museveni avait pris la sage décision de restaurer un ancien royaume détruit par les colons anglais, il y a un siècle. Nous sommes convaincus qu’un jour avec une bonne volonté, le sultanat de l’Ader sera de nouveau réhabilité. Un dicton n’enseigne-t-il pas que, « nul n’a le droit d’effacer une page de l’histoire d’un peuple, car un peuple sans histoire est un monde sans âme ? »
Interview réalisée par Amani Mounkaila B.