M. Moustapha Kadi Oumani, Président du Collectif pour la Défense du Droit à l’Energie(CODDAE) : «Le colloque a rappelé les réalités et contradictions du droit à l’énergie, des inégalités d’accès, à l’enjeu des ressources»
M. le président, vous avez pris part les 17 et 18 mars au Palais de Luxembourg à Paris à un colloque international sur l’énergie. Pourriez-vous nous parler de la pertinence d’une telle rencontre pour le Niger et le monde entier ?
Effectivement, nous avions participé à ce colloque, dont le thème est «Energie : bien commun de l’humanité», organisé par la Fondation Gabriel Péri au siège du Sénat français. Comme vous le savez, la France et d’autres pays du continent africain traversent une crise énergétique sans précèdent dont l’ampleur est comparable à celle du premier choc pétrolier de 1973. Notre pays, le Niger est bel et bien affecté par cette crise et les conclusions du colloque l’engagent autant que les autres nations participantes. L’analyse réflexive a permis de dégager des recommandations visant à favoriser l’accès à l’énergie pour tous. L’opportunité d’un tel colloque pour notre pays, est qu’il était axé sur la recherche des voies et moyens par lesquels le manque de l’énergie sera comblé, en s’appuyant sur les apports du sud et connaissances du nord. Sa pertinence au plan mondial, est qu’il s’agit d’une rare initiative devant sensibiliser les acteurs publics et privés sur les enjeux énergétiques en s’appropriant les besoins et les innovations issues de la recherche. Il est apparu nécessaire de dresser un état des lieux des sources d’énergies disponibles pour limiter drastiquement le recours aux énergies fossiles. En ce moment, les prix du gaz et de l’électricité sont 15 à 20 fois supérieurs à leurs niveaux de 2019-2020. De cet état des lieux, il ressort que le continent africain regorge abondamment de sources d’énergies fossiles et renouvelables pouvant permettre d’alimenter les pays démunis. Parmi celles-ci, on peut citer les ressources primaires énergétiques comme l’uranium dont le Niger est le 4ème producteur mondial, le charbon fossile, le pétrole, le gaz naturel, le soleil (une denrée gratuite), les bassins hydrauliques, le vent, sans compter la biomasse, les déchets urbains, et les résidus de culture. Pendant deux jours, l’accès à l’énergie a été au cœur des débats, puisque sa disponibilité pose un certain nombre de défis qui vont des enjeux climatiques aux questions de paix et de sécurité. En outre, l’approvisionnement énergétique est devenu un facteur de conflit et de reconfiguration de la géopolitique mondiale comme en témoignent les conséquences de la guerre dans certaines parties du monde. L’enjeu du décor s’est posé en termes de menaces, pour celles et ceux qui manquent d’énergie en vue de vivre dignement, tout comme sur le plan des risques liés à sa production, sa distribution et son transport.
Pourquoi, selon vous dans la thématique centrale du colloque le choix de l’approche : «bien commun de l’humanité» ?
L’approche «bien commun de l’humanité» a été évoquée tout au long des discussions, parce qu’elle vise à rendre sensibles les décideurs et les représentants des institutions pour travailler à mieux concevoir les contours et les implications de l’énergie dans une démarche qui ne l’oppose pas à la notion de service public. A l’issue du colloque, la fameuse notion de responsabilité des pays développés, sous la formule de «responsabilités communes, mais différenciées», a été exposée. Ce qui renvoie à la formule qui consiste à veiller à ce que les solutions des uns ne soient pas les problèmes des autres. Dans cette vision, le colloque a rappelé les réalités et contradictions du droit à l’énergie, des inégalités d’accès, à l’enjeu des ressources (naturelles et technologiques) dans le but de remettre l’énergie au cœur des préoccupations politiques, économiques, sociales et environnementales. Les difficultés relevées sont d’autant plus prégnantes qu’urgentes pour les habitants de la planète. Cette nouvelle approche a permis de débattre des problèmes énergétiques en cinq points. La première séquence du colloque a posé la question de savoir si l’on peut extraire l’énergie de la guerre économique et la mettre au cœur de la gouvernance mondiale. La deuxième séquence a abordé la pertinence de la logique de marché pour répondre aux enjeux nationaux. La troisième séquence a discuté du régime de propriété, des critères de gestion et la maîtrise sociale de l’énergie. Dans un quatrième temps, le débat a porté sur le rôle de la France et ses entreprises pour renforcer la coopération internationale dans le secteur. La recherche et la technologie étaient au cœur de la cinquième et dernière séquence afin de déterminer les obstacles à lever pour partager les connaissances et mutualiser les savoir-faire.
Aujourd’hui, le problème de l’énergie sur le continent Africain se pose avec acuité. Quelle est votre analyse sur cette situation ?
C’est une question d’actualité, mais qui est très complexe, car si rien n’est fait, les problèmes énergétiques risquent de se poser encore avec plus de gravité. Vous comprenez bien que les situations énergétiques des pays du sud sont différentes de celles des pays du nord. Nous traversons des zones d’ombres, il nous faut trouver les vraies solutions avec nos partenaires traditionnels. Il en irait autrement si nous faisions face à des perspectives encore moins réjouissantes, face à l’indisponibilité et la hausse des prix d’énergie qui se profilent. La crise énergétique en Afrique préoccupe aussi bien la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) que l’Union Africaine. Face au contexte mondial actuel, il est recommandé aux Etats africains de serrer les rangs en vue de mieux utiliser ce qui existe comme sources d’énergies offertes aux consommateurs et minimiser les coûts d’exploitation pour concomitamment mettre fin aux incessants délestages et sécuriser les approvisionnements. L’enjeu est de taille. En pareille circonstance, l’utilisation pacifique de l’uranium doit être envisagée dans notre sous-région. Ce qui met à l’ordre du jour la question de transferts de technologies. Les chercheurs nationaux, les ingénieurs français, américains, russes, turcs et chinois peuvent prendre part à cet effort. Ceci contribuerait à redonner du sens à leur travail et à leurs recherches, trop souvent détournés vers la seule recherche du profit. Dans cette perspective, nos pays trouveront des ampoules à faibles coûts à leurs populations. Alors, vous me diriez peut-être, peut-on aller plus loin dans cette démarche ? Oui, car l’explosion démographique, les conflits, l’essor des classes sociales moyennes, la fin prochaine des énergies fossiles nous conduira inévitablement vers d’autres sources d’énergies propres. Le nucléaire, le gaz naturel, le soleil, on en parle partout dans les grands centres d’intérêts, puisque les populations veulent mieux vivre. Il y a certainement des risques que les grands pays industriels ont su contrôler sachant que le risque zéro n’existe pas dans ce domaine. Même en temps normal, le nucléaire fait peur dans beaucoup de parties du monde, notamment en Allemagne où des politiques sont mises en place pour fermer les centrales, j’en suis conscient. Comme on dit «ventre qui a faim n’a point d’oreilles». En ce sens, c’est une clairvoyance de n’avoir pas ignoré l’inquiétude dont je mentionnais, car c’est un vrai stress sous d’autres cieux. Cependant, ne mettons pas la poussière sous le tapis !
Que pensez-vous de la mutualisation des efforts dans la gestion de la crise énergétique ?
La mutualisation des efforts ne signifie pas d’étouffer un pays africain comme le Nigeria qui fournit son électricité, son gaz et son pétrole aux pays voisins à des prix compétitifs. Au colloque, nous avions plaidé pour la construction d’une centrale nucléaire au Niger en collaboration avec les sociétés françaises qui y extraient les minerais, comme les accords internationaux le prévoient. C’est pour remettre au goût du jour l’ambitieux Programme Electronucléaire du Niger (PEN). Après la phase I que la Haute Autorité Nigérienne à l’Energie Atomique (HANEA) espère clôturer en début de l’année prochaine, le gouvernement aura tous les éléments de prise de décision en vue de la poursuite ou non dudit programme. Nous avons pleinement confiance aux différents responsables qui ont montré leur dynamisme et leur grande capacité de résilience. Nous osons espérer que le programme se poursuive, car personne ou presque ne s’y oppose. Il s’agit là d’un gros challenge qu’on ne doit céder à n’importe quel prix. En effet, les pays qui maîtrisent les technologies les plus avancées doivent offrir aux autres dépourvus, des perspectives de développement dans l’accès à l’énergie. C’est là que l’Autorité de Régulation et de Sûreté Nucléaires (ARSN) pourrait pleinement jouer sa partition. L’ARSN est l’organisme national de réglementation, compétent en matière de radioprotection, de sûreté et de sécurité nucléaires ainsi que pour la mise en œuvre des garanties avec l’AIEA. Dans cette perspective, notre continent trouvera des opportunités qui lui permettront de produire et de fournir l’énergie à faibles coûts.
La question de l’exploitation de l’uranium a également été abordée lors de ce colloque. Quelles sont les attentes pour notre pays et pour les populations riveraines ?
Les attentes sont énormes, et nous avons une mission conjointe à laquelle nous tenons beaucoup. Sur la base des recommandations issues du colloque, nous espérerons que des changements substantiels interviendront pour assurer la prospérité du secteur et la défense des intérêts des populations. Dans cette hypothèse, nous soutiendrons toute action tendant à revoir les méthodes d’exploitation et les contenus des contrats miniers, l’édification d’un environnement sain autour des zones minières, la gestion des millions de tonnes de résidus radioactifs qui sont à l’air libre à Arlit et à Azélik, la gestion des poussières et des gaz radioactifs qui se dispersent facilement dans l’environnement jusqu’aux agglomérations urbaines, le suivi de la situation des mineurs affectés par les pathologies qui disparaissent souvent au bout de quelques années et parfois après quelques décennies, la satisfaction des besoins des consommateurs et la lutte contre le réchauffement climatique. Notre inquiétude réside au niveau de la formation des populations riveraines qui ne sont pas assez éclairées sur l’ampleur de l’exploitation de l’uranium, un produit très dangereux. Pour l’instant, poser cette préoccupation légitime, c’est revenir à la source du problème de l’exploitation de nos mines, d’où notre appréhension qui vise à demander l’instauration de véritables bases de développement durable au Niger. Depuis cinquante ans d’exploitation uranifère, les multinationales se la coulent douce, tandis que peu de gains sont récoltés par nos régies financières en termes de revenus tirés des ressources minières. Qui aurait pensé, que jusqu’à présent, cette situation demeurerait inchangée ?
Propos recueillis par Oumarou Moussa(onep)
Source : http://www.lesahel.org