Entretien avec le Commissaire Général de Police Kaka Abdoulaye, inspecteur général de service de sécurité : «La sécurité ne sera plus seulement une affaire de spécialistes traditionnels mais plutôt l’affaire de toutes les composantes de la société»
Le Niger dispose désormais d’une Stratégie Nationale de Sécurité Intérieure (SNSI) qui, vise à faire de notre pays un espace de paix, de sécurité et de stabilité favorable au développement durable. Pour élucider et décortiquer cette stratégie nous avons échangé avec le Commissaire Général de Police Kaka Abdoulaye, inspecteur général de services de sécurité en mission à Tillabéri dans le cadre de la vulgarisation de la SNSI. Dans cet entretien, le commissaire général Kaka Abdoulaye évoque l’intérêt d’une telle stratégie dans un contexte marqué par l’insécurité grandissante ainsi que le rôle des différents acteurs.
Commissaire Kaka, vous êtes à pieds d’œuvre pour dévoiler les contenus des Stratégies Nationales de Sécurité Intérieure. Pourquoi ces stratégies ?
La stratégie nationale de sécurité intérieure est le cadre de référence général en matière de sécurité au Niger. Elle couvre tous les domaines de sécurité de manière générale. Elle a trois axes notamment l’adaptation des forces de sécurité intérieure aux nouvelles menaces, la consolidation des forces de sécurité intérieure et les relations de confiance entre les forces de sécurité et les populations.
Quelles sont les différentes activités prévues dans le cadre de la mise en œuvre de ces stratégies ?
Chacune des stratégies a, ce qu’on appelle, des plans d’actions. Ces plans d’actions sont déclinés en programmes et les programmes en actions avec des budgets pour pouvoir faire face à la situation. Le troisième axe que j’ai tantôt évoqué est si important, qu’il a été spécialement développé. En effet, les relations de confiance avec les populations, c’est-à-dire la stratégie nationale de la sécurité de proximité fait partie de la stratégie nationale de sécurité intérieure. Ainsi, mais compte tenu du fait qu’il s’agit d’une matière spéciale qui en fait une police locale, une police de proximité elle a été érigée elle-même comme une stratégie spéciale. La stratégie nationale de sécurité de proximité est, en d’autres termes, une stratégie de sécurité contextualisée adaptée au contexte de nos régions. Ce qui veut dire que chaque région aura son propre plan qui est adapté à ses réalités. D’une région à une autre, d’une commune à une autre, les plans ne seront pas les mêmes. Cette stratégie va nous éviter de travailler dans des généralités.
Quels sont les acteurs pour la mise en œuvre de ces stratégies?
Les acteurs c’est pratiquement tous les principaux responsables des Forces de Défense et de Sécurité, toutes les forces que ça soit de défense ou intérieures sont prises en compte. Il y a aussi les autorités administratives et politiques, les gouverneurs, les préfets, les maires, les responsables communautaires, les chefs traditionnels, les associations des jeunes, des femmes et des commerçants, les chefs religieux de toute obédience, les acteurs de la la société civile.
Dans quelle condition ces stratégies ont-elles été élaborées ?
C’est une méthode inclusive et participative.On n’a oublié personne. Tous les principaux acteurs dans une localité donnée sont pris en compte. C’est une nouvelle méthode qui est la coproduction de la sécurité.Désormais, la sécurité ne sera plus seulement une affaire de spécialistes traditionnels mais plutôt l’affaire de toute la population, de toutes les composantes de la société.
Mon commissaire, concrètement quel est l’intérêt de ces stratégies pour notre pays ?
L’intérêt c’est que désormais on a un document unique de référence en matière de sécurité. D’abord pour la SNSI, elle constitue cette fois-ci un cadre unique de référence. Chaque responsable en faisant sa programmation doit se référer à ce document unique. D’autre part, si nos partenaires extérieurs viennent, nous allons leur dire de se référer à ce cadre de référence alors qu’avant, ce n’était pas comme ça. Cette fois-ci on a une stratégie unique, précise pour tous les Nigériens. Le plus important est que cette stratégie a été érigée en loi, c’est-à-dire que tous les gouvernements qui vont se succéder vont se référer à ce document jusqu’à 2035. Cela va nous éviter d’aller de gauche à droite. Maintenant on a une vision claire et cohérente, une ligne bien tracée dans cette matière-là. Désormais, on n’aura pas besoin d’aller dans des éternels recommencements.
Quels sont les facteurs qui dégradent la situation sécuritaire dans notre pays ?
Nous avons identifié 11 menaces importantes qui dégradent la situation sécuritaire de notre pays. La menace numéro 1 et la plus importante qui plane sur notre pays c’est le terrorisme. Il y a aussi la criminalité transnationale organisée, c’est-à-dire les trafics du carburant, de drogue, de cigarettes, d’êtres humains, etc. Toutes les différentes formes de trafics sont des menaces pour notre sécurité, car ce sont ces activités qui alimentent le terrorisme ; c’est avec ces trafics que le terrorisme arrive à s’autofinancer. Il y a aussi les nouvelles menaces telles que la cybercriminalité, les menaces traditionnelles telles que les accidents de la route qui tuent énormément. Au-delà de ces menaces nous avons ce qu’on appelle les vulnérabilités, c’est-à-dire des faiblesses que nous avons.Parmi ces faiblesses, il y a l’immensité du territoire. Quand vous prenez la frontière avec l’Algérie, il n’y a qu’un seul poste de police à Asmaka. Quand vous prenez la frontière avec le Tchad vous n’avez qu’un ou deux postes. C’est extrêmement insuffisant pour contrôler le maillage et c’est ce vide-là qui est utilisé par l’ennemi. Il y a que 20% du territoire qui est dansement peuplé. Sinon les 80% sont désertiques. Il y a peu de population et les terroristes utilisent justement ces endroits vides pour pouvoir prospérer. Il y a aussi l’insuffisance des Forces de Défense et de Sécurité, parce que le ratio universel c’est un soldat pour 100 personnes. Au Niger, nous sommes à un soldat pour 600 personnes. Donc nous sommes très loin du ratio.
La SNSI propose-t-elle des solutions à toutes ces menaces et vulnérabilités évoquées ?
En effet! Cette stratégie a tout pris en compte. C’est pourquoi on va développer un maillage stratégique. Nous allons essayer d’occuper davantage le terrain. Ainsi, le Gouvernement s’est engagé à doubler dans les 5 ans à venir les effectifs des Forces de Défense et de Sécurité pour améliorer le maillage et aussi pour rapprocher la justice des justiciables. On va créer des nouveaux commissariats, de nouvelles brigades, de nouvelles unités, etc. Il y aura également beaucoup de tribunaux. Il faut que l’administration soit proche de la population, les services de base en matière de la sécurité vont être rapprochés des populations. Concernant les accidents de la route, nous allons faire en sorte que les infrastructures routières soient améliorées mais également travailler sur les comportements des Nigériens au volant.
Qu’est-ce qui est attendu des populations et des acteurs de mise en œuvre de ces stratégies ?
Nous plaidons pour le changement des mentalités sur les questions de sécurité et en général sur les comportements citoyens. D’abord, il faut que les autorités traditionnelles que sont les responsables des forces de défense et de sécurité puissent se rapprocher davantage des populations, parce que sans la population toutes les missions seront vaines. Il faut que les autorités locales fassent le nécessaire pour s’intégrer au comité de base et que les communautés de base à leur tour changent de comportement vis-à-vis de ces autorités. Nous sommes tous citoyens et frères. Les agents de forces de défense et de sécurité ne sont pas des gens venus d’ailleurs. Par conséquent ils sont là pour travailler au profit des populations. C’est dans ces deux sens-là qu’il doit y avoir un changement de mentalité. Il ne s’agit pas seulement de réclamer ses droits mais il faut accepter de faire face à ses obligations. Nous demandons un changement de comportement à tous les niveaux. Il faudrait que les citoyens s’approprient de ces différents textes.
Réalisé par Abdoul-Aziz Ibrahim, ONEP Tillabéri
Source : http://www.lesahel.org