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M. Larabou Djibrilla Bangna, Directeur régional du tourisme et de l’artisanat de Tahoua : « Le plus important, c’est la consommation de nos produits locaux par nous-mêmes ; nos artisans méritent le soutien de tous, les institutions publiques, les collecti

En 2020, le nombre d’artisans au Niger est estimé à 1,2 million de personnes, avec plus de 60% de femmes. Le chiffre d’affaires global est en moyenne de plus de 100 milliards de FCFA. Outre sa plus-value dans le développement économique et social, dans la région de Tahoua, la branche de confection d’objets d’art que constituent essentiellement la maroquinerie, la bijouterie et la cordonnerie contribue au rayonnement des cultures et traditions locales. Dans cet entretien, le Directeur régional du tourisme et de l’artisanat, M. Larabou Djibrilla Bangna présente le potentiel de l’artisanat de Tahoua, et explique l’évolution de la branche avec toute la situation d’insuffisance de débouchés à laquelle est confronté aujourd’hui le marché d’objets d’art.  

Monsieur le directeur, quel est le potentiel de la région de Tahoua dans le domaine de l’artisanat ?

Merci pour cette occasion que vous nous donnez, de parler de ce secteur qui est combien important pour l’économie nationale et l’économie locale. Avant de répondre à votre question, j’aimerai d’abord définir la notion même de l’artisanat. Les métiers de l’artisanat se définissent par la maîtrise technique et le savoir-faire que requiert un apprentissage ou une formation assortie de leur pratique avec habilité manuelle. Au Niger, le secteur est le deuxième pourvoyeur d’emplois, après celui de l’agriculture et l’élevage, et contribue à 25% du PIB. Le secteur est régi par une politique nationale, c’est-à-dire la Politique Nationale du Développement de l’Artisanat, adoptée depuis le 7 juillet 1992. C’est sur cette politique que se basent toutes les actions, les activités mises en œuvre par le gouvernement, dans le cadre de la promotion et du développement du secteur, à travers notamment le ministère du tourisme et de l’artisanat qui est devenu maintenant ministère de la culture, du tourisme et de l’artisanat. Alors, qui dit artisanat, dit culture ; et qui dit culture dit tradition. Ce secteur est subdivisé en trois branches : l’artisanat de production, l’artisanat de service et l’artisanat d’art.

La région de Tahoua effectivement regorge beaucoup de potentiel, en matière d’artisanat. Nous avons des artisans qui sont là au niveau du centre artisanal, nous avons aussi ceux qui sont un peu éparpillés dans la ville, dans leurs ateliers, boutiques et kiosques mis à leur disposition. Ils travaillent et mettent à la disposition des populations locales et des visiteurs des produits artisanaux symboliques et diversifiés, pour le rayonnement de la culture et l’économie du terroir. 

Cet artisanat de Tahoua est diversifié, aujourd’hui plus prisé par la population locale. Les 91 métiers du secteur recensés à travers le pays, nous les retrouvons dans la région de Tahoua. Ce qui fait vraiment un grand potentiel de cet artisanat-là.

Qu’en est-il spécifiquement des trois métiers d’artisanat d’art, qu’on retrouve exclusivement au niveau du Centre artisanal de la ville de Tahoua, à savoir la maroquinerie, la bijouterie et la cordonnerie ?

Ces trois métiers d’art, ce sont des métiers qui ont porté les valeurs de la région de Tahoua. Grâce aux représentations des symboles culturels, ils ont fait connaitre loin la région. Les bijoutiers, maroquiniers et cordonniers ont une expérience et un savoir faire qui valorisent le patrimoine culturel. Si vous prenez ne serait-ce que la maroquinerie, la fameuse Albai que nous portons, elle renvoie à une tradition, c’est une valeur sûre. Les ressortissants qui sont à Niamey ou à l’extérieur du pays s’y identifient, ils envoient de l’argent pour qu’on leur paie ces articles surtout à l’occasion de leurs festivités telles que les mariages et baptêmes et pour faire aussi des cadeaux. C’est pareil pour la balka que font nos cordonniers. Ce sont des produits très prisés par les touristes avant. C’est vrai aujourd’hui ils ne viennent plus. Ce qui a conduit d’ailleurs à la création, en 1995 de ce centre artisanal par le projet du développement de l’artisanat au Niger (DANI). Et dans ce centre vous remarquerez que c’est exclusivement ces trois métiers qui sont logés, parce qu’ils portent les valeurs traditionnelles, ils sont une valeur sûre. Cela ne veut pas dire que c’est juste ces métiers qui existent à Tahoua, mais c’est parce qu’ils symbolisent l’histoire, les traditions de la région.

En termes de statistiques, est-ce qu’on peut avoir une idée du nombre d’artisans officiellement reconnus ?  

Les statistiques, c’est un point saillant, mais c’est vraiment le goulot d’étranglement de notre secteur. La situation officielle n’est pas aussi importante en chiffre. Au niveau du centre nous avons 138 artisans dont 28 femmes maroquinières. A la tannerie de Tahoua, ceux qui leur fournissent la matière, la peau, nous avons 48 tanneurs. En tout, nous avons quelques 300 artisans inscrits à la chambre des métiers de l’artisanat.

Monsieur le directeur, suite à notre passage au centre artisanal de Tahoua, nous avons pu constater que les clients se font très rares. Quelle lecture faites-vous de cette situation ?

C’est un point qui mine beaucoup notre secteur, à travers le pays en général et particulièrement à Tahoua. L’insuffisance de débouché est liée évidemment à la régression du tourisme. Mais ce n’est pas une fatalité, personnellement, je vois plus la baisse d’attraction vis-à-vis du marché local, la consommation par nous-même. Il y’a aussi une insuffisance de dispositifs commerciaux. Les artisans devraient, à travers leurs organisations multiplier les approches. Peut-être, de ne pas attendre que les foires périodiques, ils doivent être dans les coulisses des ateliers et séminaires qui s’organisent plus souvent, pour mieux vendre.

Cette situation de baisse de marché est due aussi  au manque de partenaires pour le secteur, au plan national même, à plus forte raison au niveau des régions. Aujourd’hui, l’artisanat nigérien, en général, est délaissé à son sort. Ce secteur n’est plus appuyé par des partenaires. Il n’y a que les efforts de l’Etat. Dieu merci, l’Etat fait de son mieux, à travers l’organisation des foires. Par exemple le SAFEM qui se tient chaque 2 ans au plan national, permet aux artisans d’exposer et réaliser des bons chiffres.

Nos artisans font preuve d’une forte résilience, malgré la perte de vitesse du tourisme et le contexte de la pandémie qui les a durement impactés, en 2019-2020.  Du reste, le plus important, c’est la consommation de nos produits locaux par nous-mêmes. Les artisans méritent le soutien de tous, les institutions publiques, les collectivités, les projets. Aujourd’hui si nous prenons juste l’exemple avec les meubles de bureaux que nous commandons de l’étranger, nos artisans en fabriquent localement de même standing et plus durables même. C’est pareil avec les marchés des sacs, cartables et autres objets de décoration.

A votre niveau, qu’est ce vous faites, comme actions dans le sens de la promotion de l’artisanat à Tahoua ?

Dans le cadre de notre plan d’actions, au niveau de la direction régionale du tourisme et de l’artisanat, nous avons sollicité, à travers des TDR et mini-projets, des partenaires, je vais citer au passage l’ONG Hed-Tamat ; nous avons aussi le Conseil régional de Tahoua qui, avec l’appui de la coopération allemande GIZ, nous a permis de réaliser une étude diagnostique du secteur au niveau local. Malheureusement, le projet dans le cadre duquel a été faite l’étude est arrivé à son terme. Le Conseil de Ville également fait de son mieux en permettant aux artisans l’acquisition des stands lors de leur participation à des foires, tantôt à Niamey ou au Burkina-Faso.  Nous n’avons pas pu avoir de suite pour mettre en œuvre les activités et actions. En tous cas, nous essayons de mobiliser les partenaires à notre disposition pour aider les artisans. Nous suivons aussi les artisans et les accompagnons dans toutes les initiatives qui leur sont favorables, à chaque fois que le besoin est.

De manière globale, en quoi consiste la politique de l’Etat relativement à ce secteur ?

Elle est basée sur le document officiel qui est la Politique Nationale du Développement de l’Artisanat et aussi sur les différentes réglementations communautaires, en l’occurrence le Code communautaire de l’Artisanat de l’UEMOA. Ce dernier, c’est vrai, c’est un document qui régit le secteur sur l’ensemble de l’espace UEMOA, tout en se basant sur les différentes législations nationales mais, la Politique nationale elle est fondée sur 8 piliers. Ces volets vont du développement associatif jusqu’au financement du secteur, en passant par l’approvisionnement des produits ou bien des matières premières, la commercialisation, la formation des artisans et aussi l’appui-conseil à ces artisans. Dieu merci, aujourd’hui tous ces volets sont mis en œuvre, à l’exception du volet financement. Et c’est un volet très sensible. Disons qu’il ne dépend pas entièrement de l’Etat, les artisans aussi ont leur part de responsabilité sur ce plan. Parce que quand on appuie un artisan c’est sous forme de prêt et d’apport. Maintenant, les engagements ne sont pas souvent honorés par l’artisan. Mais l’Etat, à travers le ministère de tutelle cherche toujours à relever ce défi, pour développer plus ce secteur.  

Par Ismaël Chékaré, ONEP-Tahoua

Source : http://www.lesahel.org