Lieutenant-colonel Soumana Issoufou, chef de la Division restauration des terres et de la lutte contre la désertification : «L’implication de la population dans la gestion des ressources forestières et naturelles est une exigence »
L’avancée de la désertification conjuguée au phénomène du changement climatique accentue la vulnérabilité de notre pays, notamment par rapport aux terres productives. Quelle est l’ampleur de ces deux facteurs sur la base productive, qu’est la terre ?
La Désertification est un processus de dégradation des terres dans les régions arides, semi arides et subhumides sèches sous l’influence des variations climatiques et des activités humaines. Quant au changement climatique, il faut entendre tous les « changements qui sont attribués directement ou indirectement à une activité humaine altérant la composition de l’atmosphère mondiale et qui viennent s’ajouter à la variabilité naturelle du climat observée au cours de périodes comparables ». Le Niger, pays sahélien couvre une superficie de 1 267 000 km2 dont les trois quarts sont désertiques. Le rapport d’OXFAM intitulé « La faim dans un monde qui se réchauffe», classe le Niger parmi les dix (10) pays les plus vulnérables au changement climatique. Ce dernier se manifeste au Niger par : l’augmentation de la fréquence et la durée des sécheresses, la hausse et l’irrégularité des températures, l’augmentation de la variabilité interannuelle des précipitations, le raccourcissement et l’instabilité de la saison des pluies, la fréquence et l’intensité des inondations et aussi les vents forts. S’agissant des actions anthropiques on peut citer les cultures répétées sur plusieurs années sans jachère ni amendement organique du sol, l’utilisation des techniques et technologies inadaptées aux sols fragiles, le défrichement abusif des terres forestières à des fins agricoles ou de satisfaction des besoins en bois, surpâturage, les feux de brousse . Ces phénomènes des changements climatiques et de désertification ont eu comme effets : une perte de près de 200 000 ha des terres par an, dont plus de 100 000 ha de terres arables ; une diminution des superficies des forêts qui sont passées de 14 millions ha en 1970 à moins de 5 millions ha aujourd’hui ; l’aggravation du phénomène d’ensablement dans certaines localités du pays : cas des départements de Mainé soroa et Goudoumaria où la superficie affectée par l’ensablement est passée de 70 ha en 1975 à 342 000 ha en 2005.
La restauration des terres s’impose à notre pays comme une alternative pour atténuer les effets néfastes de la désertification et du changement climatique ; quelle est la politique du gouvernement en la matière ?
Face à l’ampleur du phénomène de désertification dans un contexte de changement climatique d’énormes actions intégrées, cohérentes et participatives sont en train d’être menées par les autorités du Niger avec l’appui des partenaires techniques et financiers dans le sens de pouvoir inverser cette tendance de dégradation des terres. Parmi ces actions, on peut citer : la récupération des terres dégradées, la fixation des dunes, la protection de la régénération naturelle assistée (RNA), le reboisement, la lutte contre les feux de brousse etc. La politique de l’Etat en matière de restauration des terres se résume ainsi au plan politique, par l’organisation d’un débat national sur la lutte contre la désertification en mai 1984. Un ensemble de mesures d’actions concrètes ont été prises et compilées dans un document, une sorte de plan d’actions dénommé « l’Engagement de Maradi ». Cette importante rencontre a permis de définir de nouveaux axes stratégiques. Il ressort de ces axes stratégiques que l’implication de la population dans la gestion des ressources forestières et naturelles est une exigence. Au plan institutionnel, on peut retenir entre autres la création d’un Ministère de l’Hydraulique et de l’Environnement en 1982 ; la création d’un Ministère de l’Environnement et de la Lutte Contre la Désertification en l’an 2000, 2007 et 2021 ; la création d’un Ministère de l’Environnement et du Développement Durable en 2016 avec des démembrements à tous les échelons (région, département, Communes et grandes agglomérations rurales) etc. Sur le plan législatif et réglementaire, il faut souligner qu’au niveau national, plusieurs textes de loi en faveur de la lutte contre la désertification ont été adoptés. Au plan international, le Niger a adhéré à plusieurs conventions, traités et autres accords dans le cadre de la lutte contre la désertification : la Convention Cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), la Convention des Nations Unies sur la Désertification (CNULCD), la Convention sur la Diversité Biologiques (CDB), la Convention de Ramsar sur les zones humides etc. Sur le plan technique, le Niger s’est engagé à récupérer 230 000 ha des terres agrosylvopastorales dégradées par an ; vulgariser les foyers améliorés, promouvoir l’utilisation des combustibles de substitution au bois, etc.) ; lutter contre les feux de brousses.
Après des décennies d’actions dans le domaine de la restauration des terres, quelles sont concrètent les réalisations faites sur le terrain ?
A titre illustratif de 2016 à 2022 les réalisations physiques en matière de gestion durable des terres enregistrées sont entre autres : pour la fixation des dunes, 37 989 ha réalisées ; 258 730 ha des terres récupérées ; 744 513 ha des terres sur lesquelles il a été pratiqué la régénération Naturelle Assistée (RNA) ; 56 698 ha obtenus dans le cadre de la lutte contre les plantes envahissantes terrestres ; la réalisation de 141 467 kml de bandes pare feux etc. En ce qui concerne les effets des investissements de 2016 à 2022, on note la création de 150 000 emplois temporaires ; la réduction de l’exode rural ; l’investissement financier avec près de 100 milliards FCFA injectés pour la réalisation de ces activés d’adaptation et d’atténuation aux changements climatiques ; l’amélioration de la qualité nutritionnelle des populations ; la reconstitution du couvert végétal ; la maitrise par les producteurs des techniques simples de protection de l’environnement et d’amélioration de la production agro-sylvo-pastorale résiliente face aux variations et changements climatiques.
Les expériences en matière de restauration des terres au Niger n’ont pas eu les mêmes impacts sur le terrain, qu’est-ce qui explique selon vous l’échec des autres qui pourraient influer sur les superficies des terres récupérées ?
Dans les années 1985 à 2000 l’Etat du Niger a élaboré et mis en œuvre divers projets, programmes et stratégies pour la restauration des terres afin d’inverser la tendance à la dégradation des ressources naturelles. Ces ambitieux projets et programmes de Conservation des eaux du Sol (CES) et Défense et Restauration des Sols (DRS) sont conçus sans aucun préalable d’ingénierie sociale. La mise en œuvre de ces projets et programmes a permis d’une part une mobilisation massive de la population et un investissement important en « food for work » mais avec une faible responsabilisation des communautés locales. Ces projets et programmes bien que jugés très coûteux, ont abouti à des résultats qui restent mitigés, car le constat à la dégradation de ces ressources persiste. Cette dernière se traduit dans les faits par la diminution des superficies agrosylvopastorales et la glacification des sols.
Quelles sont aujourd’hui les approches novatrices susceptibles de produire des résultats concluants par rapport à la restauration des terres ?
Face à cette situation, pour la pérennisation de ces réalisations beaucoup d’initiatives sont menées par l’Etat et les communautés locales avec l’appui des partenaires techniques et financiers, notamment les plantations dans les lieux publics sécurisés et une forte responsabilisation des communautés pour la gestion durable des ressources naturelles à travers l’adoption de certains textes législatifs et réglementaires dont entre autres : le décret du 30 juillet 2020 réglementant la pratique de la régénération naturelle assistée au Niger ; le décret du 16 mars 2018 déterminant les modalités d’application de la loi no2004-040 du 8 juin 2004 portant régime forestier au Niger.
Pour une meilleure vulgarisation et appropriation de ces outils de gestion, près de trois cent (300) cadres régionaux, départementaux et agents communaux (de l’Environnement, de l’Agriculture, de l’Elevage et de la Commission Foncière) ont été formés. Ainsi pour la pérennisation des actions de Gestion Durable des Terres (GDT) et une meilleure responsabilisation des communautés locales plus de cent (100) Plans d’Aménagement et de gestion des Sites Restaurés (PAGSR) ont été élaborés avec l’appui financier du PASEC, PAM, ProDAF, UICN, RFP/GDT/FAO etc.
Par Hassane Daouda(onep)
Source : http://www.lesahel.org/