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M. Moustapha Kadi Oumani, président du Collectif pour la Défense du Droit à l’Energie (CODDAE) : «il y a lieu de tendre vers la diversification des productions énergétiques et la modernisation des unités de production existantes»

Monsieur le président, le problème de l’énergie dans notre pays se pose avec acuité. Quelle est votre analyse sur cette situation?

Posons l’équation de la situation paradoxale de notre pays : nous constatons que le gouvernement travaille de manière accélérée à accroitre les capacités énergétiques avec le démarrage de la Soraz, des centrales de Goroubanda, de Istithmar, de la centrale solaire de Malbaza, du lancement de celles de Niamey et d’Agadez. Et dernièrement a eu lieu à Niamey le démarrage des grands projets comme Haské et la visite du Président de la République pour voir l’avancée des travaux du barrage de Kandadji. Le Niger exporte des hydrocarbures et du gaz. Ce panorama de la situation énergétique est censé nous mettre à l’abri des pénuries d’énergie de toute sorte. Mais, ce n’est pas le cas. Au contraire, notre pays doit relever d’importants déficits de production et de distribution de l’énergie. En plus, puisque nous sommes un état démocratique et donc respectueux de notre Constitution, nous y avons même mis l’accent sur cette énergie indispensable à notre souveraineté, l’article 147 stipule, à son alinéa premier «L’Etat s’attelle à développer son potentiel énergétique en vue d’atteindre la souveraineté énergétique, l’accès à l’énergie et la mise en place d’un secteur industriel, minier, pétrolier et gazier dynamique et compétitif, orienté vers la satisfaction des besoins nationaux et des exigences du développement». Cela veut dire que l’énergie n’est pas un problème exclusivement technique laissé aux seuls experts, mais elle est au centre de notre future, du futur de notre nation. Soulignons ensuite le second membre du paradoxe de cette équation qui est que disposer d’immenses potentialités énergétiques ne signifie pas une autonomie énergétique, même avec le soutien explicite de la loi. Sachez que 85% des ménages nigériens n’ont pas accès aux sources d’énergies modernes et continuent à utiliser du bois de chauffe prélevé sur un écosystème très fragile, menacé par l’avancée presqu’inexorable du désert. Nous assistons à des coupures intempestives et prolongées d’électricité qui nuisent aux activités économiques parce que comme le dit un économiste : «l’économie, c’est de l’énergie qu’on brûle», donc une mauvaise fourniture d’énergie, et j’y inclue son coût très élevé, signifie un sous-développement permanent… Si nous ramenons cet état de fait au niveau des ménages, ce sont des ressources alimentaires perdues, des produits frais jetés, parce qu’impropres à la consommation du fait de ces désagréments énergétiques, des équipements endommagés, etc. On ne peut parler de droit à l’énergie quand une frange importante de la population n’a pas accès à l’électricité et au gaz. On ne peut accéder aux avantages que donne l’énergie quand les coûts sont exorbitants pour la bourse des populations. Ensuite, on ne peut pas traiter différemment les habitants de la capitale des autres villes. C’est pour dire que l’électricité et le gaz sont les leviers de la croissance économique et la guerre en Ukraine le démontre aisément. Comment résoudre ce problème ? Comment résorber ce déficit énergétique ? La solution doit être une réorganisation en profondeur des moyens propres de production et dans le volet transport d’énergie. En outre, un plan de réduction des coûts pour les ménages et même les entreprises doit être adopté. Autre solution, beaucoup vont la trouver présomptueuse, voire audacieuse, c’est l’installation et l’exploitation d’une centrale nucléaire au Niger pour faire profiter beaucoup de pays de la sous-région. C’est aberrant que le quatrième producteur mondial du précieux minerai ne dispose d’aucun réacteur nucléaire. Ayons le courage patriotique d’aller dans cette voie en nous appuyant sur l’expertise des pays qui se servent de cette énergie depuis des décennies. Evidemment que la préservation de l’environnement doit être prise en compte au plus haut point.

Quelles sont les potentialités du Niger en termes d’énergie et comment faire pour les rendre exploitables ?

Il est difficile pour l’instant de répertorier avec exactitude l’ensemble des potentialités énergétiques dont regorge le Niger. Cela ne sera possible qu’avec des recherches et prospections minières approfondies. Pour l’heure, à titre illustratif, nos ressources primaires énergétiques déjà identifiées sont l’uranium, le charbon fossile, les hydrocarbures, le soleil, l’hydroélectricité, le vent, sans compter la biomasse et les déchets. L’exploitation des gisements d’uranium détectés dès les années 60, atteint déjà un cumul de production de près de 150.000 tonnes. Les réserves totales du pays se situent entre 400.000 et 500.000 tonnes. La SONICHAR, créée en 1978 qui exploite le charbon fossile, a implanté à Anou Araren, une mine d’extraction de lignite, (réserves estimées à 15 millions de tonnes) et une centrale électrique à vapeur de puissance 2 fois 16 MW, plus une ligne HT desservant en courant, la mine d’uranium d’Arlit et la ville d’Agadez. A Takanamat, près de Salkadamna dans la région de Tahoua, des réserves de 60 millions de tonnes de charbon de bonne capacité calorifique avoisinant les 7 000 Kcal/kg permettront la réalisation d’une centrale thermique à vapeur de 200 à 600 MW de puissance. Des études prospectives ont mis en évidence des réserves de 1.477.320.000 barils de pétrole équivalant à 261 Mtep et 10 milliards de m3 de gaz. S’agissant de l’hydroélectricité plusieurs études ont été conduites en 1960, indiquant le potentiel du fleuve Niger et de ses affluents en hydroélectricité et en navigabilité : six sites à grand potentiel de construction de mini-centrales ont été identifiés : Kandadji : 230 MW, Sirba : 4.4 GWh/an, Gambou : 122.5 MW, Gouroubi : 2.2 GWh/an, Dyodyonga : 26 MW, Dargol : 1.2 GWh. En ce qui concerne le soleil, au Niger, sur 2 km2 de surface, on peut collecter 9 kWh/j d’énergie thermique, convertibles en énergie électrique à l’aide de centrales à tour, à hautes températures, ou bien de centrales à moyennes températures à collecteurs cylindro-paraboliques ou à réflecteurs de Fresnel. Ces technologies, à présent disponibles sur le marché et bien maîtrisées sont mises en œuvre dans plusieurs pays comme alternatives non polluantes des centrales thermiques à fuel. Le Niger, inondé de soleil, dispose en abondance d’importants potentiels. De plus, avec la croissance continue des prix des hydrocarbures, le prix du kWh solaire déjà compétitif, le deviendra davantage. Le bois est l’énergie domestique de masse de la grande majorité des Nigériens qui continuent à transformer le pays en désert ! Les déchets qui encombrent les municipalités, méritent une prise en considération attentive, car ils constituent un potentiel énergétique non négligeable lorsque la chaleur qu’ils produisent par combustion dans des incinérateurs de qualité est valorisée dans une centrale thermique ou lorsqu’ils sont convertis en engrais pour accroître les rendements des cultures. Il ne faut pas ignorer la présence du vent, dans les régions de Tahoua, Agadez et Zinder où la vitesse de celui-ci atteint ou dépasse les 3 m/s. De ce point de vue, il y a lieu de se focaliser sur les défis de notre siècle en encourageant l’exploitation de toutes les ressources énergétiques, pour permettre à la majorité de la population d’accéder à l’énergie à moindres coûts. L’essentiel des infrastructures éducatives, sanitaires, hydrauliques et agricoles nécessitent d’être équipés en systèmes énergétiques modernes par l’Agence Nigérienne de Promotion de l’Electricité en milieu rural (ANPER).

L’ONG CODDAE que vous présidez a entrepris d’assister la population d’Arlit dans le cadre de l’accès à l’électricité. Pouvez-vous nous en faire la genèse ?

Sans énergie pas de développement, comme nous l’avons dit plus haut. Regardez la guerre de l’énergie (sans mauvais jeu de mot) dans la guerre qui se passe en Europe ; les prix de l’énergie flambent, des entreprises sont asphyxiées, d’autres ferment, les populations descendent dans les rues. L’énergie est la pierre angulaire de tout développement. Dans ce cadre, l’ONG CODDAE a apporté sa modeste contribution aux populations de la ville minière d’Arlit et, particulièrement aux personnes les plus économiquement faibles pour qu’elles puissent accéder à l’électricité. L’idée du projet est née de la conjonction de deux situations à savoir l’initiative de l’Association Mondiale Droit à l’Energie SOS Futur et l’ONG CODDAE qui avait mené des réflexions pour électrifier des villages dépourvus.

Le choix a été fait après appréciation des critères qui sont notamment, le poids démographique, la forte demande, la sécurité des personnes et les activités commerciales. De fortes inquiétudes ont été soulevées par le groupe Areva qui exploitait les mines d’Arlit, quant à l’extension des quartiers retenus vers les périmètres industriels des sociétés minières Cominak et Somair. Compte tenu de cette situation, les responsables de la commune se sont engagés à stopper toute extension des quartiers au-delà des limites de sécurité fixées tout autour des usines uranifères. Le projet concerne plus de 1.000 familles. Dans la logique de sa préparation, il s’inscrivait dans le cadre de la lutte contre la pauvreté. Présentement, non seulement l’électrification des quartiers périphériques d’Arlit a changé le cadre de vie à travers le petit commerce, l’éducation, la santé et l’artisanat, mieux il a développé certaines infrastructures commerciales connexes.

Pour son originalité, le projet a été présenté à Genève au Secrétaire Général des Nations Unies, qui a d’ailleurs été très impressionné par la démarche participative mise en avant. Nous avions démontré, une fois que si les populations ont accès à l’énergie, elles goûteront à ses bienfaits et prendront les dispositions pour payer ce besoin essentiel. Tout au long de la mise en œuvre du projet, l’attention des usagers a été attirée sur la nécessité de s’acquitter du payement des factures d’électricité. Dans le cas contraire, l’opérateur national qui est la Nigelec est en droit de procéder à la suspension de la fourniture parce que sa production a un coût. C’est ainsi que le projet a conseillé aux usagers de cibler des activités génératrices de revenus leur permettant de prendre en charge leur consommation électrique. Aujourd’hui, l’engouement des populations à se brancher pour créer des richesses, a eu un véritable impact, et plusieurs opérations de branchements sociaux ont été organisées.

Depuis de longues années, notre pays dépend de la République sœur du Nigeria pour son alimentation en énergie électrique. Comment le Niger peut-il se passer ou du moins réduire sa dépendance énergétique ?

La réponse n’est pas simple. La population nigérienne dans sa grande majorité, vit dans le noir et environ 70% de la consommation électrique est importée du Nigeria voisin. Cet état de fait se justifie par l’insuffisance des moyens financiers de l’État et des entreprises œuvrant dans le secteur. A l’épreuve des faits, dans la recherche d’une solution globale à long terme, il est fondamental de promouvoir des moyens de production avec la promotion des énergies renouvelables en relation avec l’Agence Nationale d’Energie Solaire (ANERSOL), tout comme les autres sociétés en charge des activités énergétiques, doivent être mises à contribution dans l’atteinte de cet objectif. Autant de questions sur lesquelles le gouvernement va devoir faire face.

Monsieur le Président, que faut-il faire pour gagner le combat de l’énergie ?

Il faut dès à présent, chercher à résorber le déficit énergétique enregistré pour faire face à la demande en forte croissance. A ce stade, il y a lieu de se convaincre de l’impérieuse nécessité à garantir l’accès à l’électricité aux populations démunies dans plusieurs villes et campagnes. La réponse à cette question se trouve au niveau d’investissements intelligents sur les besoins d’infrastructures, donc dans la volonté affirmée du gouvernement d’accroître des projets d’offre énergétique dans l’espoir qu’une plus grande consommation puisse impulser l’amélioration des conditions de vie des populations. En conséquence, il y a lieu de tendre vers la diversification des productions énergétiques et la modernisation des unités de production existantes. Cette situation va contribuer à sécuriser les approvisionnements et à réduire la dépendance énergétique exclusive de notre pays.

Propos recueillis par Oumarou Moussa(onep)

Source : http://www.lesahel.org