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M. Djibo Bangna, président de la plateforme paysanne : « Après 57 ans, on ne peut plus continuer à attendre que l’Etat vienne donner les moyens pour organiser la cure salée »

Organisée à Ingal dans la région d’Agadez, la cure salée est la rencontre annuelle des éleveurs nomades du Niger et des pays voisins, car à travers la transhumance qui la caractérise, elle permet aux éleveurs du sud de libérer les zones agricoles pendant l’hivernage, mais également aux animaux de faire leur propre cure de sel dans les généreux pâturages de la vallée de l’Irhazer. C’est aussi une manifestation culturelle. La rencontre reste et demeure au fil du temps,  un véritable outil de culture de la paix, de renforcement de l’unité nationale, et de la cohésion sociale. A l’occasion de la 57ème édition de cet événement notre reporter a rencontré à Ingal le président de la plateforme paysanne, M. Bagna Djibo pour un entretien sur les objectifs et en enjeu de cette importante rencontre dédiée aux acteurs du secteur agro-pastoral.

M. le président, vous avez évoqué deux thèmes majeurs dans votre allocution à l’ouverture de la cure salée 2022. Pouvez-vous être plus explicite ? 

L’objectif de la cure salée au départ, était que les éleveurs, après des mois de transhumance, reviennent pour permettre aux animaux de lécher le sel. Donc quand ils reviennent, c’est l’occasion pour que chaque éleveur, chaque producteur, puisse montrer le comportement de son bétail pendant l’hivernage. Soit la campagne a été bonne, et en regardant les animaux on a le signal, soit la campagne n’a pas été bonne, et là aussi, il donne les raisons. Donc ce retour est important car ils ont amené le cheptel du pays quelque part  pendant des mois, il faut qu’ils rendent compte. Ça c’est le premier élément. Le deuxième élément, c’est que l’autorité profite de cette présence là pour échanger avec les éleveurs sur leur santé, sur le pâturage, sur beaucoup de sujets qui concernent la vie des éleveurs, et donner des orientations politiques du pays. Ces échanges-là permettent de prendre des décisions et à la fin, on se projette pour l’année suivante. Cela fait donc 57 ans que les gens sont en train d’organiser la cure salée. Quand vous regardez le site, notre analyse montre qu’il n’y a pas une grande évolution. Au contraire, il y a même une régression parce que de plus en plus, il y a moins d’implication des éleveurs dans l’organisation de la cure salée. La cure salée est devenue plus une fête politique qu’une fête des éleveurs proprement dite. Nous comprenons bien qu’il faut que ça prenne de l’envergure. Nous comprenons bien qu’il faut que l’Etat mette des dispositions pour que l’on discute, et que l’international puisse regarder ; mais nous avons besoin qu’on garde l’authenticité de cette fête-là qui est un brassage entre les différentes communautés, les différentes régions, et même les pays voisins. Nous voulons que les organisateurs, les gens qui tirent l’organisation  soient les éleveurs. Nous savons que c’est au niveau du financement. Si on veut aujourd’hui pérenniser la cure salée, il faudrait que les éleveurs, les organisations, et le ministère puissent réfléchir sur le mécanisme de financement et le mécanisme d’organisation de la cure salée. Il ne faudrait pas attendre la dernière minute pour fixer la date de la tenue de la cure salée. La date doit être fixée dès maintenant pour qu’on ne soit pas pris au dépourvu. Une fois qu’on a bien fixé la date dans le temps, mis en place un mécanisme dans le temps, réfléchi dans le temps, on pourra réussir l’événement. Hier le Premier ministre nous a reçus en audience, et il était d’accord avec nous qu’il va falloir  revoir le mécanisme avec le ministère de l’élevage, revoir l’originalité même de la cure salée pour qu’ensemble, éleveurs, ministère, et autorités locales, on puisse réfléchir sur les bonnes voies pour réussir l’événement.

Vous avez également évoqué la création d’un fonds pour soutenir les actions du monde rural. Comment comptez-vous rendre cela opérationnel ?

Après 57 ans, on ne peut plus continuer à attendre que l’Etat vienne donner les moyens pour organiser la cure salée. Nous sommes majeurs aujourd’hui pour commencer à réfléchir sur les mécanismes de financement de la cure salée. Par rapport au financement, ce que nous avons discuté, c’est que la BAGRI  est une banque agricole qui a été créée pour accompagner le secteur rural. Et trois fonds devraient accompagner la création de la banque pour qu’elle soit effectivement cette banque agricole. Le fonds de calamités, qui, en cas de calamité pourrait prendre en charge les conséquences de cette calamité. Il y a  le fond de garantie. Les taux de crédit au niveau des banques classiques sont élevés. Il faut que l’Etat mette en place un système qui permet de diminuer ces taux de crédit pour les producteurs. Du coup, ce fonds de garantie est aujourd’hui en train d’être alimenté à travers le FISAN qui est un fonds qui a été créé par l’Etat. Et nous pensons que ce fonds va être suffisamment alimenté par l’Etat pour qu’il soit capable non seulement d’assurer les calamités, les garanties,  mais aussi les bonifications. Il y a un troisième fonds qui est le fonds de bonifications qui devrait venir pour permettre à la BAGRI de pouvoir fixer des taux, peut-être à un chiffre, pour les producteurs. Et mieux, au niveau de la plateforme nous avons réfléchi autrement. Nous avons dit qu’aujourd’hui la banque agricole a besoin de ressources, des ressources propres, nos propres ressources. C’est pour cela que nous avons pensé à ce qu’on appelle « Malfaré » ou cotisation, où chaque producteur peut contribuer à 1000FCFA. Nous avons fait le calcul,  avec 85% de la population qui est rurale, (sur la base de 3.000.000 de producteurs en moyenne), on peut mobiliser 3 milliards FCFA par an. Si on a 3 milliards par an, donc en trois ans nous pouvons avoir les 10 milliards FCFA. Et la banque a été créée avec 10 milliards. Donc si on a 10 milliards au niveau de la BAGRI, nous pouvons demander à la BAGRI de financer les intrants, les engrais. Et même au niveau de ce site on va rendre compte devant le Président de la République de ce qu’on aura fait avec l’argent mobilisé. De la même manière qu’on peut soutenir la BAGRI, on peut soutenir d’autres sociétés qui sont en panne aujourd’hui. Nous ne pouvons plus continuer à attendre que l’extérieur vienne financer notre propre développement.

Propos recueillis à Ingall par Oumarou Moussa(onep)

Source : http://www.lesahel.org