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M. Malangoni Ibrahim, directeur général de l’état civil, des migrations et des réfugiés : « Nous sommes pleinement engagés dans le processus de modernisation de notre état civil »

Le 10 août dernier, les pays africains ont célébré la 5ème Journée africaine de l’enregistrement des faits d’état civil et des statistiques de l’état civil. A cette occasion,  Sahel Dimanche a invité le directeur général de l’Etat Civil, des migrations et des réfugiés au ministère de l’intérieur,  M. Malangoni Ibrahim. Dans cet entretien, plusieurs points ont été évoqués notamment le rôle que joue l’état civil dans la marche de nos Etats dans  la vie quotidienne  des citoyens. Il a aussi abordé le point sur le processus de modernisation de l’état civil nigérien visant à doter le Niger d’un système d’état civil digital fiable.

M. le Directreur général, voudriez-vous nous  définir ce qu’est l’état civil et son importance ?

 L’état civil  est un droit citoyen d’une importance capitale pour l’Etat, pour le citoyen lui-même, mais  que beaucoup de personnes ignorent. L’état civil,  c’est un ensemble de qualités inhérentes à la personne humaine que la loi prend en compte pour lui conférer des effets juridiques. Avant l’avènement de l’état civil dans sa forme moderne d’aujourd’hui où on délivre des documents écrits pour identifier une personne,  les gens avaient leurs façon d’identifier les êtres humains comme les noms,  l’ethnie, des signes faciaux ou autres identifiants. Aujourd’hui ces qualités qui permettent d’identifier une personne, c’est son prénom, le nom de son père, celui de sa mère, son lieu et année  de naissance etc… Comme vous le voyez, on rattache la personne à sa filiation, à ce que font ses parents comme activités. Ces éléments aident à avoir une sphère d’informations qui permettent de dire par exemple  que M  x est bien M x et non quelqu’un d’autre. La loi confère une valeur juridique à ces qualités qu’on prend en compte pour délivrer à cette personne ce qu’on appelle l’acte d’état civil. Et il y a plusieurs formes d’actes d’état civil.

Justement, quelles sont les pièces qui ont valeur d’actes d’état civil ?

Une pièce d’état civil, c’est un document sur lequel on retrace tous les événements importants de la vie d’un individu. Il y a  l’acte de naissance( le premier document qui justifie que la personne existe juridiquement), l’acte de décès, l’acte de mariage, de divorce ou de répudiation. L’état civil suit et prend en charge chaque événement qui survient dans la vie d’un individu pour le fixer. De nos jours, ces actes sont délivrés soit par le maire, soit par un  juge exerçant sur le territoire de la survenue de l’événement.

Quels avantages  confèrent les actes d’état civil à une personne qui en dispose?

 Je vais d’abord commencer par parler des inconvenients de ne pas disposer d’actes d’état civil pour mieux faire remonter en surface les avantages. Aujourd’hui lorsqu’une personne se déplace d’un point A à un point B et qu’elle n’a pas de carte d’identité, qu’est-ce qui lui arrive ? On l’arrête ou on l’amende. Lors des patrouilles, la police arrête des personnes qui n’ont pas de carte d’identité nationale. Or, pour se faire établir  cette carte d’identité nationale, on a besoin de l’acte de naissance, donc de l’acte d’état civil. Pour circuler librement, bien que la libre circulation est un droit,  un individu doit porter et présenter au besoin un document qui prouve que c’est bien lui et non personne d’autre. Si on prend l’exemple de l’enfant qui nait, pour qu’il entre à l’école, on a besoin de son acte d’état civil en l‘occurrence l’acte de naissance ou le jugement supplétif d’acte de naissance, pour bénéficier de certaines prestations sociales, c’est pareil. Mais  certains citoyens oublient ou négligent de déclarer les naissances,  d’autres ignorent même qu’il faut déclarer une naissance ou  qu’il y a un délai pour faire cette déclaration. On trouve ces cas de non déclaration dans les zones réculées et parfois même dans les milieux urbains.  Cela fait que les gens sont obligés de faire  recours aux tribunaux pour obtenir ces documents parce que les délais  de déclaration sont dépassés au niveau des services de l’état civil. Actuellement, le délai de déclaration d’un fait d’état civil est de 60 jours contrairement aux années passées où c’était de 10 à 30 jours. Aujourd’hui la loi l’a harmonisé et rallongé à deux mois pour mieux prendre en compte certaines contraintes, certains paramètres. On estime qu’en 60 jours, la personne a le temps matériel pour faire la déclaration. 

Où peut-on déclarer un événement pour obtenir un acte d’état civil ?

La déclaration des faits d’acte d’état civil se fait dans les centres de santé et  au niveau des villages administratifs et tribus auprès des chefs,  qui sont de facto  des responsables des centres de déclaration pour tous les  actes, qu’il s’agisse de la naissance, du décès, du mariage, du divorce. Les faits de répudiation sont par contre déclarés auprès des autorités coutumières ou religieuses.  La déclaration d’un événement quelconque est reçue puis transférée à la mairie où elle est transcrite dans les régistres d’actes d’état civil. Après l’authentification par le maire, on enlève un extrait qu’on remet au déclarant.

De manière spécifique, quelle est l’utilité d’un acte de naissance,  de divorce ou de décès ?

Nous vivons dans une société où il y a beaucoup de conflits, que ce soit dans le cadre du mariage ou du décès pour les questions d’héritage ou autre situation connexe. Les documents font office de preuve  d’un divorce ou d’un décès ou répudiation. Pour l’Etat, c’est important d’avoir des statistiques fiables. Cela permet de faire des analyses, des projections sur la croissance démographique, sur les besoins sociaux qui s’en suivront ou encore de savoir pourquoi il y a, par exemple, tant de divorces  à tel ou tel endroit et conséquemment d’envisager des solutions. Si tout est documenté, il suffirait d’exploiter les données pour savoir combien de divorces ou répudiations il y a dans un intervalle de temps donné. Les actes d’état civil sont également  nécessaires dans le traitement des litiges familiaux car, ils permettent d’identifier les protagonistes. Si nous prenons l’exemple d’acte de naissance, il est le document sur lequel repose toute la vie d’une personne et atteste de son existence juridique.

Malgré tous les avantages, force est de constater que beaucoup de nigériens ne disposent pas encore de pièces d’état civil, à quoi cela est dû et qu’est-ce qui est fait pour inverser la tendance ?

C’est vrai, il y a encore une bonne partie de la population qui ne possède pas encore d’actes d’état civil. Nous n’avons pas une étude formelle qui permet de connaitre la proportion des personnes dans cette situation. Mais en ce qui concerne les déclarations de naissance dans les délais, elles sont de l’ordre de 55 à 60%. Les raisons de cet état de fait sont diverses.  Il y’a les cas de l’ignorance. Heureusement que de nos jours, il y a de moins en moins des gens qui ignorent l’importance de l’acte d’état civil.  Mais il y a aussi le fait que certaines personnes ne perçoivent pas  l’utilité immédiate de ces actes. Et donc,  ils ne se bousculent pas. C’est lorsqu’elles font face à une contrainte juridique ou d’ordre pratique, comme un examen, une inscription d’un enfant que ces personnes courent pour aller au tribunal afin d’obtenir un jugement déclaratif, avec tout ce que cela comporte comme corollaires et risques. Nous sommes en train de faire le maximum que nous pouvons, avec le soutien des partenaires de l’Etat, pour sensibiliser la population à ce sujet. Grâce à la  loi de 2019 sur l’état civil et le projet PAREC financé par l’UE et l’UNICEF, nous sommes en train d’améliorer notre système d’état civil.  Nous allons mettre en œuvre  une campagne de communication et de sensibilisation pour un grand nombre de nos compatriotes à comprendre l’enjeu de l’état civil pour eux même. Nous avons fait beaucoup de choses par le passé qui nous a permis de progresser et d’atteindre le niveau appréciable de l’ordre de 55% à 60% de déclaration de naissances actuellement. Nous sommes en train de renforcer les capacités des collectivités territoriales, des directions régionales et départementales de l’état civil. Nous avons un maillage territorial assez renforcé pour assurer le travail, même s’il y a des soucis pour certaines localités.

Notre pays fait face à l’insécurité dans certaines  régions, comment procédez-vous  pour permettre aux personnes vivant dans ces régions d’avoir les pièces d’état Civil quand on sait qu’il y a des personnes déplacées?

Dans ce sens,  la loi de 2019-29 a innové pour pouvoir faire en sorte que ces zones ne soient laissées pour compte ou en marge du système. Tous les lieux de regroupement forcé des populations sont systématiquement érigés en centre de déclaration. Nous avons  choisi des personnes pour enregistrer tous les faits d’état civil qui surviennent, nous les avons formés et leur avons donné tous les matériels nécessaires. Donc,  nous faisons en sorte que l’état civil suive les populations déplacées où qu’elles soient.

Et que faites-vous pour les zones isolées ou les régions à faible taux d’enregristrement ?

Nous avons créé des équipes mobiles d’état civil pour récolter les déclarations dans les zones les plus réculées. Nous avons également un autre moyen d’enregistrement d’actes d’état civil : les audiences foraines.  Celles-ci par contre , sont une solution ultime déployée dans les zones à faible taux de déclaration. Elles consistent à aller vers les population en vue d’enregistrer toutes les personnes qui n’ont pas été déclarées. Actuellement, nos équipes sont dans la région de Zinder. Et c’est des opérations que nous menons dans toutes les régions où nous constatons ce faible taux. L’Etat, appuyé dans ce travail par les partenaires, a organisé ces audiences lors des échéances électorales. Beaucoup de nos compatriotes ont pu disposer de ces documents pour se faire enrôler dans le fichier électoral. L’UNHCR, l’OIF, l’UNICEF, la GIZ nous accompagnent encore dans ce travail de lutte contre l’invisibilité  juridique de nos concitoyens.

Depuis plusieurs années, on parle de la modernisation de l’état civil nigérien et on a l’impression que ça piétine.  Où est le projet de digitalisation annoncé ?

Nous sommes engagés   dans le processus de modernisation de notre état civil et cela  depuis plus de trois ans. A l’heure où je vous parle, le processus d’informatisation du fichier d’état civil, lancé par le ministre d’intérieur,  suit son cours normal. Nous avons lancé une grande réforme légale de nos textes pour  permettre l’utilisation des TIC dans le système d’état civil nigérien. Il s’agit de la loi 2019-29 portant régime de l’état civil au Niger et de son décret d’application. Cette loi a institué un régistre national de l’état civil  biographique des populations qui comporte désormais les données biométriques de toutes les personnes vivant au Niger. Dans le cadre de ce travail, le gouvernement a recruté un cabinet qui est en train de déployer la solution informatique nécessaire qui va permettre à toutes nos collectivités territoriales, à nos ambassades d’être interconnectées pour prendre en compte tous les faits d’acte d’état civil. Et cela grâce à une application et data center installés au sein de la direction générale de l’état civil qui nous permettra de suivre en temps réel tous les enregistrements des faits d’état civil. Nous allons alors les comptabiliser instantanément. C’est un système qui génère les statistiques et nous permet  de savoir avec exactitude ce qui se passe partout.  Cette informatisation va aboutir à l’interconnexion de toutes les directions générales, départementales, communales de l’état civil et même nos ambassades et consulats.  Pour la phase pilote de cet immense chantier, nous allons d’abord déployer la solution digitale dans les cinq arrondissements communaux de Niamey. Nous sommes déjà en train de travailler avec l’ACN4 qui a toutes ses infrastructures fin prêtes. Lorsque nous aurons implementé cette phase pilote à Niamey et que nous l’aurons testée, nous allons passer à l’échelle nationale. Je puis vous asssurer que  tout est pratiquement acquis pour le délpoiement de la solution digitale de notre fichier d’état civil nigérien  sur l’ensemble du territoire national. Mais il nous faut d’abord l’implementer au niveau de Niamey, voir les difficultés éventuelles, les corriger avant de la mettre à l’échelle pour nous permettre d’avoir la situation dans notre base des données. L’un des avantages de ce fichier d’état civil est que les données ne se perdront plus, les usagers ne vont plus  se fatiguer pour faire des copies d’actes d’état civil. En cas de perte d’un document, il peut être repris à partir de la base de données.  Mieux, nous sommes allés loin. Désormais les actes seront faits sur du papier de très bonne qualité et sécurisé. Très bientôt, les actes  seront transcrits sur du papier, en plus d’être de bonne qualitén sécurisé mais  infalsifiable.

Pensez-vous que cette digitalisation peut aider à l’amélioration du fichier électoral ?

Absolument. Je disais tantôt qu’il a fallu faire des audiences foraines pour permettre à des milliers de nigériens de se faire enrôler dans le fichier électoral, lors des dernières élections. Si nous améliorons le système, nous le digitalisons, nous allons récupérer aussi toutes les autres données pour les mettre à jour. Ce n’est pas seulement les nouveaux événements d’actes d’état civil qui seront enregistrés et digitalisés. C’est y compris les anciens actes d’état civil qui le seront. Nous allons reprendre tous les actes d’état civil pour les reverser dans le système digitalisé. Nous allons attribuer à chaque nigérien un numéro d’identifiant unique national qui va le suivre  toute sa vie durant. Pour faire le lien avec le fichier électoral, une fois le fichier d’état civil informatisé implementé, la CENI n’aura plus besoin d’engager des sommes importantes et des moyens colossaux pour l’enrôlement des électeurs dans le fichier électoral.  La base de données du fichier d’état civil sera mise à jour de manière permanente. Grâce à cela, notre pays aura en temps réel une idée très proche de la réalité de sa population, des personnes en âge de voter.  A titre illustratif, pour un enfant qu’on a enregistré il y a 18 ans, dès que nous interrogeons notre base de données, le système nous sortira la liste de toutes les eprsonnes qui ont 18 ans, donc en âge de voter que nous allons juste remettre à la CENI. Les personnes décédées par contre ne figureront  plus sur le fichier des personnes existant sur le territoire ou même ailleurs. Si le système d’état civil est  fait de manière digitale, il va marcher par addition et soustraction pour fournir des  données très proches du réel, en ce sens que chaque enregistrement est automatiquement pris en compte par notre data center. L’Etat,  les collectivités territoriales, les partenaires au développement, les ONG auront des données plus fiables pour faire leurs projections. 

Y a-t-il  un lien entre l’état civil et l’apatridie dont on dit qu’il y a  200 millions d’apatrides au monde?

Le lien qui peut exister est évident parce que le premier document  qu’une personne existe juridiquement, c’est l’acte d’état civil et qui lui permet de prétendre à une nationalité, même si on sait que ce n’est pas l’acte d’état civil seul qui suffit à octroyer la nationalité à une personne. Il y a le droit  du sang ou du sol selon qu’on soit dans un pays ou dans un autre qui entre en ligne de compte ou encore un autre motif comme la demande de naturalisation. Mais il faut d’abord au préalable avoir l’acte d’état civil, fusse-t-il d’un pays autre que celui dans lequel la personne vit. L’acte de naissance est l’élément fondamental pour avoir la nationalité, il est la preuve de l’existence juridique d’une personne.  Sans acte de naissance, une personne est en situation de risque d’apatridie. Au niger, nous n’avons pas des statistiques sur l’apatridie, mais des études ont relevé qu’il y a des personnes à risque d’apatridie à cause des déplacements. A titre d’exemple, un nigérien né au Ghana qui n’a jamais été déclaré à l’état civil, ne peut pas être déclaré au Niger.  La question de déclaration est territoriale, ce qui veut dire qu’n événement doit être déclaré là où il est survenu. C’est difficile de pouvoir lui délivrer l’acte de naissance. Mais la nouvelle législation( loi de 2019-29) a  pris en compte cet aspect de l’apatridie et a donné la compétence aux tribunaux de grande instance et des tribunaux de grande instance hors classe pour pouvoir, dans ces circonstances-là, délivrer des actes d’état civil à l’enfant qui, autrement, ne pourrait pas en avoir dès lors qu’il est né à l’extérieur du Niger et qu’il n’a pas été déclaré dans l’état civil du pays d’où il vient.  Au Niger, nous n’avons pas des personnes apatrides mais nous avons plutôt des personnes à risque d’apatridie pour les raisons que j’ai évoquées.

Par  Zabeirou Moussa(onep)
Source : https://www.lesahel.org