M. Alkabouss Moussana, Directeur Général de la Société Nigérienne du Charbon d’Anou-Araren (SONICHAR) : « Il serait suicidaire pour SONICHAR, voire même pour notre pays, d’abandonner brutalement et totalement la production de l’électricité à partir de
Comme on le sait, la SONICHAR, dont vous assurez les fonctions de Directeur Général, est un maillon important du dispositif énergétique de notre pays. Pour créer cette société de grande envergure, il a fallu une volonté politique affirmée, mais surtout des investissements colossaux. Comment se présente aujourd’hui la SONICHAR, après plus de quarante ans d’existence?
D’abord, je vous remercie de l’opportunité que vous m’offrez pour parler de SONICHAR. En effet la SONICHAR, comme vous l’avez si bien dit est une société très importante et stratégique pour le pays car étant la seule source d’énergie fiable dans la zone Nord du pays non connectée du réseau électrique national.
Rappelons que sa création en 1975, procède d’une vision et d’une volonté politique extraordinaires, d’autant plus qu’à l’époque l’énergie électrique produite par les groupes électrogènes coutait beaucoup moins chère. C’est un complexe industriel comportant une mine à ciel ouvert de charbon et une Centrale thermique à charbon de deux tranches de 18,8MW chacune. La première tranche a été mise en service le 27 avril 1981 et la deuxième tranche le 4 octobre 1982 ; le tout conçu pour une durée de vie de 25 ans. Précisons qu’en raison de la qualité médiocre de son charbon, la Centrale SONICHAR est un prototype construit pour consommer ce charbon de teneur faible. Ce complexe a couté 65 Milliards FCFA comme investissement initial. Cette dette rétrocédée aurait pu être épongée n’eut été la dévaluation de 1994.
Pour répondre précisément à votre question, vos constatez aisément que cette Centrale a plus de 40 ans de fonctionnement alors que conçue pour 25 ans d’où sa très faible santé mécanique. Elle est donc vétuste aujourd’hui et peut s’arrêter à tout moment. Elle tient grâce à l’expertise de son personnel qui est 100 % Nigériens et un plan de maintenance et d’entretien très rigoureux.
Du point de vue santé financière, après avoir traversée des années difficiles durant lesquelles, elle a vu son capital social de 19,730 millions FCFA s’effondrer pratiquement de moitié, SONICHAR depuis 2012 a reconstitué complétement ce capital et a commencé à payer les dividendes à ses actionnaires pour la première fois de sa vie et aussi à primer son personnel à partir de 2013. Actuellement, ses capitaux propres sont passés de 18 milliards FCFA à plus de 25 milliards FCFA de 2011 à fin 2021.
Quels sont les résultats réalisés de nos jours par la SONICHAR en termes d’exploitation du gisement de charbon et de production d’énergie électrique?
Pour produire l’énergie électrique, nous utilisons 3 matières premières : le charbon, l’eau et l’air. Ainsi de 1980 à 2021, 7 577 569 tonnes de charbon et 66 141 589 mètres cube de stérile ont été extraits, 108 717 614 mètres cubes d’eau ont été consommés dont 49% par la Centrale et 51% gratuitement par la population, le maraichage et l’élevage pour une production de 6 590 997 MWh d’électricité avec une disponibilité des tranches thermiques supérieure à 97%.
Quelles sont les difficultés majeures qui entravent le fonctionnement à plein régime de la SONICHAR?
En effet, face à une demande d’énergie en constante évolution et face au vieillissement de la centrale actuelle qui est hors limite d’âge, la difficulté majeure réside dans la continuité à assurer la production d’énergie électrique dans la Zone Nord du Niger non interconnectée au reste du réseau. À cela s’ajoutent : l’arrêt de la COMINAK en Mars 2021, un client majeur qui faisait 40% de son chiffre d’affaires. Bien que la mise en œuvre du plan de sauvetage 2021-2023 conclu entre l’Etat, les Miniers (SOMAIR, COMINAK), NIGELEC et SONICHAR, ait été bien respecté en 2021, il demeure fragile pour les années 2022 et 2023 en raison de la flambée des prix des pièces de rechange et des matières ; la difficulté d’approvisionnement et la hausse significative des coûts des pièces de rechange et de certains produits du fait de la pandémie de la COVID-19 et de la guerre en Ukraine.
Il y a aussi d’autres difficultés liées au problème sécuritaire de la région et la COVID19 qui limitent la venue des prestataires étrangers dans le cadre des révisions annuelles programmées des installations ; à la saturation des deux (2) lignes de 20 kV de NIGELEC alimentant la ville d’Agadez en énergie électrique ; au renouvellement des installations actuelles dû à la difficulté de trouver le financement pour les projets d’accroissement de la capacité de production composés de la construction d’une centrale thermique au charbon de 2 x 25 MW et de la construction d’une centrale photovoltaïque de 10 MW dont les études de faisabilité ont été achevées respectivement en 2013 et en 2017. Ces difficultés de financement sont liées aux considérations environnementales dont notamment la COP21 à Paris (2015), le sommet du G20 à Rome (2021) et la COP26 à Glasgow (2021).
La SONICHAR doit sa création à un besoin réel de faire profiter notre pays de ses énormes potentialités en charbon, notamment au niveau du gisement d’Anou-Araren. Quel est l’état du potentiel de charbon dont renferme son sous-sol nigérien?
Les réserves prouvées de charbon sur la concession de Tefereyre (SONICHAR) sont estimées au 31 décembre 2021 à environ 15,46 millions de tonnes. Ce qui permettra encore à SONICHAR de fonctionner pendant plus de 60 ans au rythme actuel de production. À ces réserves viennnent s’ajouter des réserves probables de 9 millions de tonnes du périmètre Tarouadji5 concédé par l’Etat. Il y’a également des indices prometteurs de charbon de bonne qualité à Asoloumi à quelques 20 km au Nord-Est de Anou-Araren, mais qui n’ont pas fait l’objet d’exploration donc d’évaluation.
Quelle estimation peut-on faire aujourd’hui des richesses générées par la SONICHAR en termes d’apport pour l’économie nationale?
A défaut de vous donner des chiffres, on peut qualitativement citer les points suivants : la valorisation des ressources minérales et l’allégement de leur coût de production; la contribution à l’indépendance énergétique et l’amélioration de la balance commerciale; le transfert de technologie ; la création d’emplois directs et indirects et la maîtrise d’une technologie de pointe ; la contribution à l’amélioration du taux de couverture à l’accès à l’électricité ; des appuis significatifs pour la consolidation de la paix et de la sécurité ; la lutte contre la déforestation par l’utilisation domestique du charbon carbonisé produit par la société SNCC à Tchirozérine.
S’ajoutent aussi des appuis aux secteurs sociaux de bases dont la construction des salles de classe pour l’éducation et la prise en charge gratuitement des populations pour la santé (environ 80% des coûts par an soient plus de 329 millions FCFA en consultation, examens, soins, hospitalisations et évacuations) ; fourniture gratuite de l’eau à la population urbaine de Tchirozérine, aux villages et campements environnants, aux maraîchers pour le jardinage et aux éleveurs pour leurs troupeaux à travers 10 abreuvoirs sur une distance de 30 kilomètres (51% de la production totale en eau) ; des appuis multiples à l’administration et collectivités ; contributions aux activités culturelles et sportives.
En conclusion, les dépenses relatives à la responsabilité sociétale de SONICHAR s’élèvent en moyenne par an à plus de 895 millions FCFA durant les 10 dernières années.
Monsieur le Directeur Général, le contexte international n’est plus favorable à l’exploitation du charbon, avec à la clé l’interdiction de tout investissement dans ce domaine. Pensez-vous qu’avec tous les défis énergétiques auxquels notre pays est confronté, et au regard des toutes les potentialités dont il dispose, il serait possible pour le Niger de tourner la page de cette énergie fossile?
En effet, le contexte international marqué par les enjeux environnementaux pénalise grandement les activités de SONICHAR surtout dans la mise en œuvre des projets d’accroissements de la capacité de production dont je parlais tantôt. Au vu des énormes potentialités de charbon que possède le Niger et de la compétitivité qu’offre l’énergie thermique à charbon par rapport à l’énergie produite par les groupes électrogènes, il serait difficile pour le Niger de se priver de cette source d’énergie fiable et disponible. Les énergies renouvelables présentent des alternatives intéressantes, mais sont des sources d’énergie intermittentes et dépendent beaucoup des aléas climatiques. D’ailleurs, nous notons que les positions à l’échelle mondiale sont en train d’évoluer avec la guerre en Ukraine et la crise énergétique qui secouent les Etats Européens, qui aujourd’hui sont obligés d’utiliser les énergies fossiles pour atténuer les effets de cette crise énergétique.
Quelles sont, aujourd’hui, les perspectives et les solutions qui se présentent pour la SONICHAR ?
La reprise du marché de l’Uranium va permettre l’installation de nouvelles sociétés minières dont GLOBAL ATOMIC, GOVIEX et IMOURAREN qui viendront se connecter sur le réseau électrique dont déjà la demande est supérieure à l’offre.
La seule solution à court terme pour SONICHAR est la mise en œuvre rapide des projets d’accroissement de sa capacité de production. Ainsi les besoins de NIGELEC et des sociétés minières seront satisfaits à travers ces projets qui consistent à l’hybridation de la centrale actuelle et à mettre l’accent sur le mix énergétique et sur les énergies renouvelables.
Par conséquent, les projets de construction d’une centrale thermique à charbon de 2 x 25 MW et d’une centrale photovoltaïque de 10 MW dont les études de faisabilité ont été faites, seront remplacés par une centrale photovoltaïque de 50 MW et une tranche thermique à charbon de 32 MW. Il serait suicidaire pour SONICHAR, voire même pour notre pays, d’abandonner brutalement et totalement la production de l’électricité à partir des énergies fossiles. Actuellement, la zone Nord isolée ne peut pas se passer de SONICHAR à court terme pour son développement, car n’ayant aucune unité de production d’énergie d’origine non fossile.
Quel plaidoyer voudriez-vous lancer en faveur d’une relance des activités de la SONICHAR?
Le principal plaidoyer que nous voulons lancer:
- À l’endroit de l’État et des partenaires techniques et financiers : le financement rapide des projets SONICHAR pour remplacer et ou renforcer la capacité de la Centrale actuelle vétuste en vue de satisfaire les besoins en énergie électrique de la région d’Agadez ;
- À l’endroit de la NIGELEC : la construction d’une ligne de 132 kV Anou-Araren-Agadez et des lignes MT permettant le raccordement de la ligne 132 kV Anou-Araren-Arlit aux nouvelles sociétés minières en instance d’exploitation dans la zone ;
- À l’endroit de la population de la région d’Agadez : l’accompagnement et la compréhension de SONICHAR dans la réalisation de sa mission stratégique de producteur indépendant d’énergie qu’elle assure depuis sa création.
Par Assane Soumana(onep)