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Le Médiateur de la République Me Ali Sirfi Maïga : «Il nous faut réactualiser le combat contre l’ignorance et l’obscurantisme qui freinent le maintien de la jeune fille pendant un temps raisonnable sur les bancs de l’école»

Monsieur le Médiateur de la République, sur la thématique de la lutte contre le mariage des enfants, vous avez été particulièrement actif pendant votre mandat. Vous avez fait à maintes reprises le tour de toutes les régions du pays pour sensibiliser les masses populaires sur la question. En juin 2019 vous avez même organisé un forum à Maradi sur cette lancinante problématique. Quelle est votre perception de ce fléau et quels sont les remèdes qu’il faut envisager ?

Tout d’abord, le mariage est la principale institution sociale et ce, dans toutes les sphères de civilisations, dans toutes les religions, révélées ou non, depuis l’ère adamique. L’union par le lien du mariage est une prescription constante, universelle et perpétuelle. Le pouvoir moderne, guidé par cette réalité transcendantale a pris la précaution de faire des aménagements constitutionnels. C’est ainsi que le constituant Nigérien de 2010 indique, à l’article 21 alinéa 1 de la constitution que «le mariage et la famille constituent la base naturelle et morale de la communauté humaine. Ils sont placés sous la protection de l’État…». Le mariage est donc une bénédiction, certes bénéficiant de la protection divine, parce que d’inspiration religieuse, mais aussi à cause de cette onction divine, il est encadré par le pouvoir temporel, qui se doit de consacrer textuellement, sa sacralité. Si le mariage est sacré, les formes et modalités de son accomplissement doivent aussi correspondre à cette sacralité.

Pourquoi une telle affirmation ?

Le mariage est une union légitime entre l’homme et la femme et non entre l’homme et la fillette. D’ailleurs, sur le plan religieux, il est exigé des conditions de fond et de forme, dont le consentement, mais aussi des indications comme l’aptitude physique, le discernement, la maturité. C’est donc la question de l’âge du mariage, qui ne cesse de faire l’objet de controverses au sein de notre société et c’est cela le fondement du cadre qui nous avait réuni à Maradi.

En somme, le mariage de la jeune fille avant une certaine maturité, constitue en réalité le cauchemar des pouvoirs publics, qui se doivent de multiplier les cadres de plaidoyers permettant d’endiguer, avec droiture et sérénité, ce grand problème social. Pourquoi le mariage de la jeune fille avant une certaine maturité est cauchemardesque pour l’Etat ? La réponse est qu’il ya des statistiques qui nous parlent et il prévaut des conséquences qui nous interpellent. En effet, le Niger est un pays qui détient le triste record mondial du plus grand taux de mariage des enfants au monde. Selon une étude de l’UNICEF datant de 2016, 75% de filles sont mariées avant leurs dix-huitième année, 28% d’entre elles sont même devenues épouses avant l’âge de 16 ans. Les taux les plus élevés sont observés dans la bande sud du pays, notamment à DIFFA (89%), à ZINDER (88/), à MARADI (87%), contre une moyenne sous régionale de l’Afrique subsaharienne qui est de 37%. D’autres études, produites par d’autres organismes, partenaires du Niger, comme l’UNFPA, OXFAM et WORLD VISION indiquent le même tableau alarmant.

Quelles sont les causes de cette pratique et ses conséquences sur les jeunes filles en particulier, et de manière générale sur notre  société ?

Les causes de cette pratique sont multiples. Nous avons, entre autres, les normes sociales, qui confinent la femme dans un rôle d’épouse et de mère , dépendante d’un époux chef de famille, d’une part , et qui mettent fin de manière précoce à l’enfance des jeunes filles, en les privant de la période de transition que représente l’adolescence, avant l’entrée dans l’âge adulte. D’autre part; il ya aussi le phénomène de la déscolarisation, qui résulte lui-même de l’insuffisance des services éducatifs; l’ineffectivité de la législation nationale en ce qui concerne la protection de l’enfance. Ce qui favorise la permanence de certaines croyances qui en principe doivent être révolues…

Autant les causes sont multiples, autant les conséquences sont innombrables. D’abord, sur le plan éducatif, le mariage précoce est une source de déscolarisation précoce, qui prive la société d’un mérite, celui d’avoir une femme instruite, éduquée, formée et diplômée, mais surtout une femme apte à contribuer intellectuellement et professionnellement au développement du pays. Ensuite, du point de vue de la santé, le mariage précoce peut, sans aucun doute, mettre à mal la santé de la reproduction. Enfin, il ya d’autres  conséquences désastreuses  sur le plan économique, social et culturel. Le mariage des enfants est donc une atteinte flagrante du droit de l’enfant, qui doit  être protégé contre les abus en tous genres.

Que faut-il faire alors pour mettre fin à cela ?

La problématique est donc entière et il nous faudra travailler laborieusement pour aboutir, dans un temps raisonnable, sur des résultats permettant de sauver, pour toujours, la jeune fille, pour le bonheur de notre société, qui je le rappelle, est éprouvée par d’autres survivances qui retardent tout développement économique, sociale et culturel.

Il nous faut un minimum de consensus et de compréhension en ce qui concerne l’encadrement juridique de la personnalité, plus précisément, l’encadrement juridique relatif à la scolarisation de la jeune fille. Comme vous le savez, la loi y relative a fait l’objet de plusieurs débats et de plusieurs procédures législatives. Notre cadre doit permettre, à terme, de parachever ce chantier, sur lequel travaillent ardemment l’Etat et ses partenaires. C’est le lieu de saluer le travail qu’accomplissent depuis plusieurs années tous les organismes impliqués, notamment les organismes du système des Nations Unies comme l’UNICEF, l’UNFPA, ou des ONG internationales comme le NDI, OXFAM, WORLD VISION, SAVE THE CHILDREN ET PLAN INTERNATIONAL NIGER. C’est aussi le lieu de saluer et d’encourager les leaders coutumiers et religieux qui ne cessent de sensibiliser leurs communautés sur le sens véritable de la famille et du mariage, notamment quand ils invitent ces dernières à ne pas marier n’importe comment et n’importe quand, leurs filles.

Vous avez également mené une série de plaidoyers sur les enjeux de l’actualisation des cadres juridiques protégeant les femmes et les filles des violences dans le cadre de la mise en œuvre du programme Spotligth. Qu’est-ce qui sous-tend votre  démarche sur cette question ?

Le Niger est contrarié dans son développement par une multitude de facteurs entre autres la question de l’effectivité des droits fondamentaux de la personne humaine. En la matière, les statistiques et même les témoignages nous indiquent que la situation est encore alarmante s’agissant de certains droits spécifiques comme le droit des femmes et la jeune fille. Il nous faut donc travailler sans cesse, il nous faut réfléchir tous ensemble pour trouver la formule sociale qui va consolider les droits. Au-delà donc du simple plaidoyer, nous sommes dans la logique d’un combat, le combat contre les résistances multiformes qui retardent notre société et qui bloquent notre pays en ce qui concerne son développement économique.

Nous devons réactualiser ce combat et consolider, pour notre bien, une communauté de bonnes volontés, déterminées à améliorer le sort de ces femmes et de ces jeunes filles qui tous les jours subissent encore cette épreuve de la violence verbale, physique, psychologique, sexuelle, politique, économique et culturelle. Il nous faut réactualiser le combat contre l’ignorance et l’obscurantisme, qui freinent le maintien de la jeune fille pendant un temps raisonnable sur les bancs de l’école.

Le combat pour l’effectivité des droits de la personne n’a donc pas de prix, parce que dans notre société l’infraction la plus commise demeure la violation des droits et les catégories de personnes les plus victimes sont les femmes et les enfants, particulièrement la jeune fille.

Il est temps d’agir, il est temps d’arrêter. Provoquer la déscolarisation de la jeune fille est une infraction que la société nigérienne ne doit plus admettre. Exercer des violences sur les femmes constitue aussi une infraction que la société ne doit plus tolérer. Je disais qu’il nous faut travailler laborieusement pour éradiquer et gommer de façon significative, ces survivances néfastes. Il nous faut travailler laborieusement pour extirper de nos mentalités et de nos mœurs, les pratiques qui consacrent la négation des valeurs, la négation de l’humanité qui avance. Certes, je sais combien sont grandes les contraintes, combien sont épais les préjugés et combien sont vivaces et tenaces les traditions qui s’enracinent dans l’histoire de nos peuples.  Sans renier notre substrat culturel, sans jurer avec nos convictions religieuses et spirituelles les plus intimes, il faut orienter, conseiller et influer sur les tendances lourdes.

Etes-vous optimiste quant à l’aboutissement de ce combat ?

Ce travail laborieux consiste à revisiter nos textes, pour introduire plus d’égalité, plus d’équité et plus de garantie pour la femme, en général et la jeune fille en particulier. Nous allons y parvenir, puisque nous avons des belles raisons de croire à l’éradication de toutes les pratiques qui retardent notre société. Nous avons des belles raisons de croire parce que le Président de la République, a déjà annoncé les couleurs de ce combat. Dans le prolongement de cet engagement du Chef de l’Etat, SEM Mohamed Bazoum, nous nous devons de marcher, sans arrêt, pour consolider les droits de toutes les catégories de personnes, en particulier les droits des femmes et de la jeune fille. En somme, au-delà du toilettage des textes, pour les adapter à l’évolution de notre temps, il faut stimuler les conditions d’un changement de mentalité à tous les niveaux, parce que les auteurs de ces violations sont peut-être dans un enfermement culturel qui leur donne une grossière appréciation des droits et devoirs de la personne humaine. Je pense que tous les plaidoyers possibles doivent être enclenchés pour permettre à nos jeunes filles, le plein épanouissement de leur personnalité, bien entendu, dans le respect des prescriptions religieuses.

Réalisé par Oumarou Moussa(Onep)

20 janvier 2022
Source : http://www.lesahel.org/