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Interview de Monsieur Mohamed Anacko, président du Conseil Régional d’Agadez

« Tant que le transfert des compétences et des ressources financières et humaines n’est pas opérationnel, la décentralisation sera en difficulté dans sa mise en œuvre » Monsieur Mohamed Anacko, président du Conseil Régional d’Agadez .

Monsieur le président, la région d’Agadez s’est dotée d’un nouveau Plan de Développement Régional (PDR) pour la période 2022-2026 sur la base duquel, le Conseil Régional a organisé une table ronde pour la mobilisation des partenaires en vue du financement dudit plan. Quels sont les axes stratégiques contenu dans cet important document de politique régionale ?

Permettez-moi tout d’abord de féliciter et encourager votre organe de presse pour cette initiative qui consiste à donner de la visibilité aux actions pertinentes entreprises au niveau des régions de notre pays.

Il me plait aussi de rappeler que la région d’Agadez est à sa deuxième génération de Plan de développement régional, le précèdent PDR ayant couvert la période 2016-2020. Ceci témoigne de la volonté de notre pays de renouer avec l’exercice de planification à tous les niveaux. Le présent PDR est arrimé aux politiques et stratégies publiques nationales telles que formulées dans le PDES 2022-2026. Il tient compte des leçons apprises au cours de la mise en œuvre et de l’évaluation finale du PDR 2016-2020. A l’issue du bilan diagnostic régional, pour les cinq (5) prochaines années, la région d’Agadez articulera ses actions à travers les axes stratégiques du PDES-PDR 2022-2026 ci-après : Axe stratégique 1 : Développement du capital humain, inclusion et solidarité ; Axe stratégique 2 : Consolidation de la gouvernance, paix et sécurité ; Axe stratégique 3 : Transformation structurelle de l’économie.

Il y’a lieu de rappeler à vos lecteurs aussi que la vision de la région se fonde sur l’espoir de faire, à l’horizon 2035, de la « Région d’Agadez, un carrefour attractif, paisible, prospère, solidaire, bien gouverné dans un espace sain et sécurisé, à forte croissance économique et sociale, inclusive et durable ».

Quelles sont succinctement, les principales conclusions de cette table ronde ?

Il y’a lieu d’abord de se féliciter de la bonne tenue de cette table ronde qui a connu une mobilisation exceptionnelle à travers la participation de plusieurs membres du gouvernement, des députés nationaux, de l’ensemble des maires de notre région, les ambassadeurs de l’Union Européenne et celui de France, des chefs des agences de coopération des pays européens et du Système des Nations Unies, du secteur privé, la société civile etc. Je profite de votre journal pour remercier tous ceux qui ont fait le déplacement pour nous soutenir dans cet exercice, mais également tous les partenaires qui nous ont accompagnés dans l’organisation financière et matérielle de cet évènement.

Les principales conclusions qu’il faut retenir c’est la volonté de l’Etat et des partenaires d’accompagner la région dans sa marche vers le développement et la prise en charge des défis qui se posent à elles. Nous avions recueilli plusieurs annonces dont celles de la Délégation de l’Union Européenne, de la coopération Française, de la Coopération allemande, de la Banque Mondiale, du Système des Nations Unies et de certaines ONG à accompagner la région dans le financement de cet important outil stratégique de développement. Nous sommes présentement en train de faire le suivi de ces annonces pour les concrétiser en actes sur le terrain à l’horizon temporel 2026.

Quels sont les défis auxquels la région est confrontée et vos priorités dans la mise en œuvre de ce PDR ?

Le défi majeur de développement du pays en général et de la région d’Agadez en particulier reste et demeure l’instauration de la bonne gouvernance de tous les secteurs dans une dynamique de conjugaison d’efforts, de complémentarité et de synergie entre la déconcentration et la décentralisation en vue d’assurer la délivrance des services sociaux de base de qualité aux populations, de maintenir la paix et la stabilité gages d’un développement régional, local et communautaire harmonieux dans l’équité.

Le développement de la région d’Agadez est largement soumis à trois (3) contraintes majeures qui sont la mauvaise gouvernance qui englobe les préoccupations sécuritaires et migratoires ; l’austérité environnementale couplée au phénomène du changement et de la variabilité climatiques accentuant les crises et catastrophes et limitant les productions agro-sylvo-pastorales et enfin l’insuffisance de la promotion du capital humain. Aussi, vous comprendrez que la région d’Agadez, en plus des défis communs, qu’elle partage avec les autres régions, cette région dis-je, gère également la délicate question des flux migratoires mixtes.

Nos priorités dans la mise en œuvre du PDR 2022-2026 demeurent la mise en valeur de nos énormes potentialités agricoles et pastorales à travers des actions structurantes à même de booster l’économie régionale et nationale dans un objectif d’atteinte de l’autosuffisance alimentaire. La seconde priorité reste et demeure la valorisation du capital humain sans lequel aucun développement n’est possible à travers un accès aux services sociaux de base notamment l’eau, la santé, des meilleures conditions de vie, ainsi que l’épineuse question de l’éducation particulièrement celle en milieu nomade quand on se réfère aux spécificités de notre région. La création des opportunités d’emploi aux jeunes et aux femmes à travers la promotion du secteur privé constitue également l’une de nos priorités majeures quand on connait l’extrême jeunesse de la population de la région, cette frange ayant une nette prédominance sur les autres composantes de la société. Par exemple, en 2018, la frange dont l’âge est inférieur à 15 ans est de 46,5% des effectifs démographiques, alors qu’à l’inverse, celle dont l’âge est de 65 ans et plus n’excède pas plus de 2,3%.

Enfin, vous conviendrez avec nous que tous ces défis ne sauraient être relevés que dans un environnement de stabilité, de paix et sécurité, ainsi qu’une gestion concertée des flux migratoires mixtes.

La région d’Agadez est un excellent pôle touristique au Niger avec d’importants sites dont le désert du Ténéré, qui attend encore le retour du rallye Paris-Dakar. Quelle est l’ambition du Conseil Régional dans la relance de ce secteur pourvoyeur d’emploi ?

Comme vous l’avez si bien dit, la région d’Agadez a été une destination touristique privilégiée pour les opérateurs du domaine du tourisme. En effet, le patrimoine touristique dont dispose la région, conjugué aux activités culturelles, artistiques et artisanales, font de la région d’Agadez une zone d’attraction touristique par excellence qui contribue de façon incontestable à l’économie régionale. Malheureusement, cet important pan de notre économie a connu un point d’arrêt suite à l’instabilité qui s’est installée dans notre espace sahélo-saharien.

Néanmoins, le conseil régional en relation avec les professionnels du secteur poursuit son plaidoyer pour un retour progressif des touristes dans notre région. Cela a abouti récemment au déclassement de la ville d’Agadez de « zone rouge » par nos partenaires français, ce qui est encourageant et à saluer. Nous encourageons également la création de circuits sécurisées dans certaines zones notamment dans les oasis de l’Aïr et les dunes de sable à la bordure du Ténéré. Cela peut s’envisager à travers la création par exemple d’une ‘’Police touristique’’ pour sécuriser ces axes. Le conseil régional d’Agadez a également développé en 2018 une stratégie dite de l’éco-tourisme comme facteur de développement durable et de résilience au changement climatique dans la région d’Agadez, tout en faisant la promotion d’un tourisme interne pour que les Nigériens visitent leur propre pays. En conclusion, sans envisager un retour proche du Paris-Dakar dans la région, le Conseil régional mène un plaidoyer fort auprès de l’Etat et des partenaires pour un retour progressif du tourisme dans un environnement sécurisé et apte à offrir aux visiteurs les merveilles de notre patrimoine touristique.

Les collectivités territoriales sont des outils importants et les portes d’entrée de tout investissement en matière de développement local. Après plusieurs décennies d’expérience de la décentralisation au Niger qu’est-ce qui, selon vous, reste à faire ou qu’est-ce qui n’a pas marché pour atteindre l’effectivité de la décentralisation au Niger ?

Il me plait d’abord de rappeler que la Constitution de la République du Niger en son article 164 définit les principes sur lesquels repose notre administration territoriale, notamment celui de la décentralisation et la déconcentration. L’Ordonnance N° 2010-54 du 17 septembre 2010 portant Code Général des Collectivités Territoriales de la République du Niger définit également en son art 5 les missions des collectivités territoriales qui sont la conception, la programmation et la mise en œuvre des actions de développement économique, éducatif, social et culturel d’intérêt communal et régional.

Comme vous l’avez souligné dans votre question, les collectivités territoriales sont donc les porteurs des questions de développement à l’échelle régionale et communale, sous l’accompagnement et l’encadrement des représentants de l’Etat. Grâce à la volonté politique de tous les régimes qui se sont succédé dans notre pays, beaucoup d’efforts et d’avancées sont à noter depuis l’installation des premiers conseils communaux en 2004 et régionaux en 2011 pour rendre effective la décentralisation. On peut noter la tenue régulière (autant que le permet le contexte de notre pays) des élections locales pour le renouvellement des organes délibérants et exécutifs des collectivités. L’adoption par le gouvernement et les différents ministères sectoriels en 2016 et 2017 des décrets et cahiers des charges portant transfert des compétences et ressources de l’Etat aux Collectivités Territoriales dans les domaines de l’Education, de la Santé, de l’Hydraulique et de l’Environnement constitue aussi une avancée réelle dans la mise en œuvre de cette réforme.

Néanmoins, des difficultés persistent encore pour l’effectivité de ce processus de décentralisation, notamment à travers la lenteur dans la mise en œuvre de certaines réformes comme celle liée à l’opérationnalisation sur le terrain du transfert des compétences et des ressources de l’Etat aux collectivités territoriales dans les secteurs ayant fait l’objet de transfert. La décentralisation financière constitue également un autre goulot d’étranglement à l’effectivité de la décentralisation en ce sens que les CT demeurent encore dépendantes des appuis de l’Etat, particulièrement les conseils régionaux, appuis qui restent aléatoires au vu des énormes défis auxquels fait face l’Etat, mais également de l’étroitesse voire la vétusté de l’assiette fiscale des CT.

Le respect du principe de la maitrise d’ouvrage par tous les acteurs constitue également l’un des points de blocage de l’ancrage de la décentralisation. Cela se manifeste par le non-respect par certains acteurs des priorités inscrites dans les outils de planification des CT, un montage institutionnel des programmes/projets qui ne respecte pas le rôle des CT dans le portage des actions de développement etc. Il est à noter aussi la faible performance de certaines structures en charge de l’accompagnement des CT notamment l’ANFICT, le CFGCT, la DGCT etc…

En somme, je dirais que tant que la maitrise d’ouvrage des CT sur les actions de développement n’est pas respectée, tant que le transfert des compétences n’est pas opérationnel, tant que les ressources humaines et financières ne sont pas mises à la disposition des CT, tant que la fonction publique territoriale n’est pas mise en route et enfin tant que les services techniques ne se mettent pas à la disposition des CT conformément à la loi, la décentralisation sera en difficulté dans sa mise en œuvre. Enfin, je tiens à préciser que la décentralisation est un long processus qui nécessite du temps, d’engagement politique fort et la volonté de tous les acteurs pour espérer son effectivité sur le terrain.

Propos recueillis par Ali Maman, ONEP/Agadez

Source : https://www.lesahel.org