Niamey : La ceinture verte en péril ?
Enquête sur des lotissements controversés et des réhabilitations opaques La ceinture verte de Niamey, espace vital pour l’équilibre écologique et le bien-être de ses habitants, se trouve potentiellement menacée par des opérations de lotissement sujettes à de sérieuses interrogations. Une analyse approfondie de documents internes d’un comité technique dédié à la gestion de cette zone sensible révèle des irrégularités troublantes, allant de dépassements de superficies autorisées à des non-respects des règles d’urbanisme, en passant par des empiètements suspects. Ces révélations soulèvent des questions cruciales sur la gouvernance foncière et la protection de ce patrimoine essentiel pour l’avenir de la capitale.
1. Genèse de l’audit : Un comité face aux irrégularités potentielles
En novembre 2019, un arrêté ministériel a institué un comité technique interministériel chargé de superviser la mise en oeuvre d’un plan d’action pour la gestion de la ceinture verte. Au sein de cette structure, un sous-comité spécifique a été mis en place, dédié à l’audit des superficies et au dédommagement des propriétaires coutumiers. Son mandat précis consistait à identifier les lotissements et leurs promoteurs, à confronter les autorisations aux réalisations sur le terrain, à vérifier la conformité urbanistique et à détecter les dépassements et empiètements éventuels. Pour mener à bien cette mission délicate, une équipe d’experts pluridisciplinaires (urbanistes et géomètres) a été mobilisée.
2. Méthodologie d’Investigation : Collecte, Terrain et Analyse
L’approche méthodologique des experts s’est déroulée en trois phases distinctes. La première phase a consisté en une collecte rigoureuse de données, incluant les arrêtés de lotissement, le plan d’action et les fonds de plans concernés. Une douzaine de lotissements ont été scrutés, parmi lesquels la Cité Rayane, SA’A, Valimo Route Filingué, les Cités du Progrès 1 et 2, Guirmey, Salwa, Koubia Kouara Kano 2 et 3, Nord Kouara Kano Extension 2, Mama Koro et Al Ouma, ainsi que des extensions de zones tampons. L’objectif était d’établir précisément les superficies autorisées et les ratios prescrits (habitat, équipements, voirie) pour une comparaison ultérieure avec la réalité du terrain.
La deuxième phase, d’une durée de dix jours, a été consacrée aux visites de terrain et aux levés topographiques. L’équipe a pris contact avec les promoteurs privés des lotissements, s’appuyant sur l’expertise en système d’information géographique (SIG) pour une localisation et une délimitation précises des sites. Les promoteurs ont indiqué les limites des zones loties, permettant de cartographier les réserves foncières programmées et de calculer les superficies réellement aménagées. La mission a également vérifié l’existence et l’utilisation des espaces réservés aux équipements, afin de recalculer les ratios d’occupation du sol. Des propositions de reconstitution de réserves foncières ont été élaborées sur la base des plans et de vérifications sur site. La troisième et dernière phase a consisté au traitement des données collectées et à la rédaction d’un rapport de synthèse. L’enjeu était d’analyser les écarts entre les autorisations et les réalisations, et de formuler des recommandations pour les lotissements existants et ceux en cours, dans le but d’assurer le respect des normes d’aménagement urbain et des réglementations en vigueur.
3. Révélations préliminaires : Le cas alarmant de la cité Rayane
Les premières conclusions de cet audit interne, bien que portant sur un nombre limité de lotissements, sont profondément préoccupantes.
Le lotissement Cité Rayane, développé par le promoteur GAI, illustre de manière criante les potentielles dérives. Sur une superficie autorisée de 100 hectares, l’audit révèle une emprise au sol effective de 197,65 hectares, soit un dépassement colossal de 97,65 hectares. L’analyse des ratios révèle un excès de la superficie dédiée à l’habitat (65,86% au lieu de 60% maximum) et une insuffisance flagrante des réserves foncières (7,2% au lieu du minimum de 15%). L’audit externe corrobore ces observations sur la partie non autorisée. Plus inquiétant encore, le lotissement Cité Rayane empiète sur 100 hectares du lotissement Extension Zone Tampon (côté Rayane) de la Ville de Niamey, soulevant de sérieuses questions sur la légalité des attributions et la gestion du domaine public foncier.Face à ces anomalies, les experts ont proposé pour la Cité Rayane la reconstitution de 7,80 hectares de réserves foncières, dont une partie a été identifiée sur le terrain. Des frais de reconstitution et des frais liés à la privatisation et/ou à l’abattage d’arbres sont également mentionnés. Il est noté que pour la partie non autorisée, les ratios semblent respectés. Une mention significative indique que le promoteur a signé des engagements avec le comité technique concernant des «droits de l’État», dont le respect est vivement recommandé.
4. Zones d’ombre et nécessité de transparence
Parallèlement à ces découvertes, des informations non confirmées font état de corrections opaques ayant entouré certains arrêtés de lotissement. Des promoteurs, initialement dépourvus d’accords de lotissement avec les propriétaires coutumiers, auraient vu leurs arrêtés annulés, avant d’être mystérieusement réhabilités. Les circonstances de ces réhabilitations et les motivations sous-jacentes demeurent obscures, alimentant les suspicions de favoritisme ou de pratiques irrégulières.
Urgence d’une enquête approfondie pour sauvegarder la ceinture verte
Les premières conclusions de cet audit interne sonnent comme un signal d’alarme quant à la gestion des opérations de lotissement dans la ceinture verte de Niamey. Les dépassements de superficies, les nonrespects des normes urbanistiques, les empiètements potentiels et les réhabilitations d’arrêtés dans des conditions opaques exigent une vigilance accrue et une action rapide. La préservation de cet espace vital pour l’équilibre écologique et le bien-être futur de la capitale nigérienne est en jeu. Une enquête approfondie, transparente et indépendante s’avère indispensable pour établir les responsabilités, garantir le respect des réglementations et protéger ce patrimoine commun contre toute forme de spéculation illégale. La lumière doit être faite sur ces pratiques pour assurer une gouvernance foncière saine et responsable à Niamey.
Maiga Abdoulai (Le Canard en furie)