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Quand la démocratie française se tropicalise

Depuis quelques semaines, sinon depuis quelques années, si l’on, tient compte du vaste mouvement des Gilets Jaunes, la France vit des turbulences extrêmes qui, malgré leur violences, peuvent inquiéter quand à l’état d’une France qui, acculée par ses nombreux défis, reste quand même une démocratie vivante où, pour autant, l’on n’étouffe pas les libertés, le pouvoir pouvant laisser le peuple jouir de ce droit constitutionnel qui l’autorise à manifester, à exprimer ses désaccords, tous ses désaccords. De ce point de vue, quand on considère ce qui se passe sous nos tropiques, et notamment au Niger, l’on ne peut qu’envier ce qui se passe en France, même si ici et là, depuis des jours, les discours se radicalisent, portant la confrontation à des extrémismes inquiétants. Il y a à faire voir comment une démocratie fonctionne et que jamais, même avec les violences que l’on a vues, l’on a procédé à des arrestations, ni même interdit à des Français de manifester, fussent-il ce qu’on aurait pu désigner chez nous « une minorité ».

En vérité, la France va mal et les images qu’on peut voir d’elle aujourd’hui sur les médias sont préoccupantes. A quoi peut-on lier cette situation qui, de pourrissement en pourrissement, avec un mouvement qui prend de l’ampleur, engage chaque jour davantage de Français qui ne peuvent comprendre les surdités de Macron à écouter son peuple, à entendre ses colères, à croire un tant soit peu, qu’un peuple puisse ne pas avoir tort. Emmanuel Macron, doit-il avoir déjà oublié les conditions de son élection par laquelle il disait pourtant avoir entendu le message que les Français lui envoyaient pour savoir repenser sa gouvernance, pour ne pas gouverner comme il l’a toujours fait. Mais depuis qu’il a retrouvé son fauteuil à l’Elysée, il semble avoir tout oublié, gouvernant comme toujours, mauvaisement , ou, pour être plus artiste, dans la ʺmauvaisetéʺ ainsi que pourrait le dire le narrateur d’Allah n’est pas obligé d’Amadou Kourouma, le small-soldier, Birahima. La France si belle, doit-elle mériter cela ? Nous l’avons souvent écrit, notre monde, ou pour être précis, les démocraties du monde sont en crise de leadership avec des dirigeants qu’on découvre partout, sans le leadership nécessaire pour conduire un Etat, pour transformer les sociétés et rendre possibles pour les peuples, le rêve et la grandeur. La France paie-t-elle son imprudence à confier son destin à son plus jeune président de son histoire pour laisser, par les fougues de sa jeunesse, le pays se désagréger ainsi, et offrir au monde, sur les médias, ces images qui sont humiliantes pour son image ?

Des Gilets Jaunes, au gré d’un entêtement à vouloir faire passer une loi controversée, antisociale, la grogne fut portée par les syndicats qui ont fini par se mobiliser, demandant rien que le renoncement à la fameuse loi sur la retraite qui met aujourd’hui dans la rue les travailleurs et depuis des jours, la jeunesse du pays. Et comme il fallait s’y attendre, les forces politiques adverses, opportunément, se saisissent de cette situation et rentrent dans le mouvement, donnant un écho politique à la crise au niveau des institutions de la République, et notamment au niveau de l’assemblée nationale où, à la suite de deux motions de censure, la majorité ne réussit à échapper qu’avec une courte tête.

Des colères dans une France où on n’écoute pas un peuple qui râle depuis des semaines s’amplifient de plus en plus jusqu’à atteindre un seuil de violence qui donne à réfléchir pour ne pas comprendre que Macron fasse preuve d’une telle inflexibilité pour rester dans les mêmes rigidités suicidaires. Issoufou Mahamadou, peut-il voir ça, toutes ces images d’une France agitée, lui qui, en des moments où, trop acculé, voudrait faire croire que les Nigériens seraient les seuls manifestants violents de la terre ? Peut-il lire tant de hargne et d’ardeur vengeresse chez ces hommes, jeunes et moins jeunes, souvent à la retraite, qui se mobilisent, bloquent des villes, mettent même la France à l’arrêt, aspirant à vivre après la retraite ? Peut-il même observer que ces manifestations vont jusque dans la nuit lui qui, inquiet d’entendre ses congénères se proposer de manifester jusque la nuit pour veiller à la place de la concertation, voit venir un complot, de la subversion ? Peut-il enfin comprendre que, traqué jusqu’à son dernier retranchement, un peuple peut déborder de colères et d’énergie, apte à la violence, pour tenter dans un dernier geste commandé par l’instinct de survie pour s’arracher quelques miettes de vie ? On ne provoque pas trop un peuple, et peut-il enfin comprendre que si ce pays tient c’est aussi parce que, depuis qu’il arrivait au pouvoir, Bazoum, sans être fort dans son pouvoir, par l’élégance qu’il a imprimée dans sa gouvernance, est parvenue à faire chuter le mercure, à baisser une tension qui était forte dans le pays depuis quelques années que Zaki, à sa façon, régenta le Niger, n’écoutant personne si ce n’est son envie d’occuper trop de l’espace, pour briller seul, lui et une certaine famille, au milieu de la misère nigérienne sciemment provoquée et entretenue.

Mieux, pour le lui rappeler, il n’y a aucun jour constitutionnellement décidé, pour avoir des manifestations dans la République, les hommes, pouvant, quand ça leur chante, battre le pavé, tous les jours de la semaine, les jours ouvrables comme les jours no-ouvrables. N’est-ce pas déjà, pour le cas du Niger, une grave restriction des libertés que de décider que les citoyens-manifestations ne puissent s’organiser que les week-ends pour marcher ? Mais revenons au cas de la France.

En voulant imposer sa loi par la porte dérobée du 49-3, le sentiment que le gouvernement de Borne a donné aux Français est que, qu’ils le veuillent pas, la loi passera ; ce qui, bien entendu, n’est pour bien d’observateurs, rien qu’un abus de la part d’un pouvoir qui ne sait pas entendre les malaises somme toute légitimes qui traversent une France qui ne doit pas oublier qu’elle fait face à moult défis : à côté des colères internes montantes, il y a ce rejet de cette France de la part de partenaires africains qui se battent à s’affranchir de son diktat pour vivre pleinement leur souveraineté. Et au même moment, obligée d’avoir une opinion dans la guerre en Ukraine, et surtout de prendre toute sa place aux côtés de ses alliés, la France n’est plus qu’en mauvaise posture.

« Macron face à la rue : jusqu’à quand ? »

Ce titre d’un débat sur France 24 dit à lui tout seul, tout le drame que vit la France aujourd’hui. Il y a, comme au Niger, deux camps, deux Frances qui s’affrontent, les deux versant dans la radicalité, et surtout incapables d’écoute, n’entrevoyant pour l’un que la rue pour se départager et l’intransigeance pour imposer ses choix pour l’autre. Pareille situation pour un président qui a rempilé, revenant très affaibli au pouvoir, n’est pas un bon signe même. Mais bouffi de suffisance, Emmanuel Macron pourrait croire qu’il n’a en face de lui, aucun leader d’envergure pouvant faire le contrepoids en face de lui pour trop craindre d’être submergé. Il doit donc prendre ce mouvement au sérieux pour comprendre, qu’il ne peut plus jamais rien faire comme il le veut car sa France s’est mise debout pour défendre son avenir et ses retraites. Quand on voit ces guérillas urbaines avec ces feux qui brûlent un peu partout, l’on ne peut que s’inquiéter pour cette France qui se parle mais qui ne s’écoute pas. Pour contenir la mobilisation des manifestants, le ministère de l’intérieur, le mardi dernier, sortait quelques 11.000 policiers et gendarmes dont 4000 pour la seule ville de Paris. Pareille situation quand les nerfs se chauffent à blanc, est-elle tenable dans la durée ? Macron, a-t-il franchement, trop de solutions ?

On ne peut pas imposer à un peuple comme la France si riche de son histoire et de ses combats, pour croire qu’au 21ème siècle, quelques hommes puissent lui imposer des choix dont il ne veut pas. Ces images d’une France triste, avec des fumées partout ces derniers jours et des écoles fermées, n’honorent pas le pays de Rousseau, et pas même ce pouvoir d’un pouvoir jeune qu’un orgueil risque de perdre. Se rétracter, c’est-à-dire faire ce repli tactique est une sagesse dans les luttes, et Macron doit s’en saisir, notamment quand il a des forces qui lui tendent la perche pour s’en sortir, moins déplumé car la vérité est que, depuis quelques jours, il a énormément perdu en termes de popularité dans une France qui le rejette.

ISAK