Nigeria : faute d’électricité, le géant africain plongé dans l’obscurité
Pendant huit ans, Damy Idowu s’est démené pour garder ouvert son petit salon de coiffure situé dans un quartier commercial de Lagos en dépit de l’inflation galopante au Nigeria, de deux récessions et de la pandémie de coronavirus.
Mais, la semaine dernière, l’entrepreneur a dû se résoudre à fermer boutique, comme beaucoup d’autres au Nigeria – le géant africain faisant face à l’une de ses pires crises énergétiques de ces dernières années.
« Pour fonctionner, mon salon a besoin d’électricité et je ne peux pas me permettre d’utiliser le générateur à cause des prix du diesel », explique M. Idowu.
Au Nigeria, premier producteur de pétrole d’Afrique, les pannes d’électricité sont courantes car les infrastructures décaties ne parviennent souvent pas à acheminer l’électricité aux habitants.
Mais l’effondrement prolongé des réseaux électriques au cours des dernières semaines, combiné à une hausse mondiale des prix du diesel du fait de la guerre en Ukraine, plongent dans le noir ses quelques 210 millions d’habitants.
A cause des délestages fréquents, la plupart des commerces dépendent de générateurs fonctionnant au diesel.
Mais depuis l’offensive russe en Ukraine, les prix du diesel ont doublé dans le pays, augmentant considérablement les coûts de production.
A Lagos, la capitale commerciale, les petits commerces sont particulièrement affectés, et les bureaux limitent désormais les horaires de travail, le cout de l’électricité étant devenu inabordable.
Usines à l’arrêt
A Kano, ville industrielle dans le nord du pays, de nombreuses usines sont empêchées de tourner à plein régime. Certains propriétaires ont même arrêté leur chaine de production.
C’est le cas d’Umar Sani Marshall, propriétaire de Marshall Biscuits, une usine de confiserie qui a arrêté de produire ces deux dernières semaines.
« La situation actuelle dépasse l’entendement », déclare-t-il à l’AFP, déplorant des coûts de production « empêchant toute rentabilité ».
Un manque à gagner important qui intervient au pire moment pour ce producteur de confiserie, juste avant le mois du Ramadan, où la demande est d’habitude très forte.
Cette crise énergétique touche durement l’économie du Nigeria, et s’ajoute à des semaines de pénuries d’essence qui ont provoqué le mois dernier des embouteillages monstres dans les grandes villes du pays.
Elle mine aussi le moral des Nigérians, dont plus d’un tiers vit dans l’extrême pauvreté.
Chez eux, ceux qui le peuvent utilisent des générateurs à essence ou au diesel pour éclairer leur maison lorsque le courant est coupé. Mais les Nigérians qui n’ont pas les moyens d’en acheter se retrouvent dans le noir.
La semaine dernière, le réseau national s’est effondré deux fois en 48 heures.
Certaines rues principales de Lagos ne sont plus éclairées la nuit, provoquant des accidents de voitures, tandis que les commerçants éclairent désormais leurs produits à la lumière de leurs téléphones portables.
Le président nigérian Muhammadu Buhari a présenté ses excuses pour les pénuries de carburant et a convoqué lundi son ministre de l’Énergie pour discuter des pénuries d’électricité.
A moins d’un an de l’élection présidentielle, le parti d’opposition, le Parti démocratique populaire (PDP), a prévenu dimanche que cette crise énergétique pourrait entraîner des protestations populaires.
Mais au Nigeria, les problèmes énergétiques sont structurels.
Selon les médias locaux, le pays a connu 206 pannes totales entre 2010 et 2019, en raison de la faiblesse du réseau et de son mauvais entretien.
Les pénuries d’électricité coûtent au Nigeria environ 29 milliards de dollars, soit quelque 2 % du PIB, selon la Banque mondiale.
Investissement ou corruption ?
Quant au pétrole, le Nigeria produit 1,4 million de barils de brut par jour, mais n’en raffine que très peu. Il dépend presque entièrement des importations de carburant, ce qui rend le marché local vulnérable aux ruptures d’approvisionnement.
Avec une population en croissance rapide de 210 millions d’habitants, le pays a connu, au cours de la dernière décennie, un boom des activités commerciales et industrielles qui dépendent largement de l’électricité.
Bien que le secteur ait été privatisé en 2013, au fil des ans, la demande d’électricité a dépassé les capacités de production, de transport et de distribution. Et les quelques réformes engagées par le gouvernement n’ont pas suffi à résoudre les problèmes.
Selon la société publique Transmission Company of Nigeria (TCN), les sociétés de production attribuent les pannes actuelles à un mauvais approvisionnement en gaz, à des défaillances des unités de production et à la maintenance.
Mais, la corruption, endémique dans de nombreux secteurs au Nigeria, est également pointée du doigt.
Dimanche, le groupe de la société civile SERAP, a exhorté le président Buhari à enquêter sur les soupçons de corruption, alors que quelque 11.000 milliards de naira (24 milliards d’euros) ont été dépensés dans le secteur de l’électricité depuis 1999.
Selon eux, ce sont « les montants stupéfiants des fonds publics qui auraient été volés au fil des ans dans le secteur de l’électricité qui ont des effets catastrophiques sur la vie de millions de Nigérians ».