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« L’Union africaine manque de dirigeants à la vision réellement panafricaine »

Comment définir une « bonne présidence » ?

C’est une présidence qui arrive un peu à tordre le bras des autres membres, à vaincre les résistances, notamment celles des cinq plus gros contributeurs de l’UA : le Maroc, l’Egypte, l’Algérie, le Nigeria et l’Afrique du Sud. C’est très compliqué de faire bouger l’institution s’ils ne le veulent pas. Reprenons le cas du Rwanda, un petit pays de 12 millions d’habitants. Paul Kagame s’est dit : « Ce n’est pas grave, je vais essayer de foncer et d’utiliser tous les outils qui sont en ma possession pour obtenir des résultats. » Au bout du compte, sa présidence est celle qui a le plus marqué les esprits au cours des dix dernières années.

Que peut-on attendre de la présidence de Macky Sall ? Mettra-t-il l’accent sur la résolution de la crise sahélienne ?

Le Sahel fait partie de ses priorités. Sans oublier d’autres crises, notamment celles provoquées par les coups d’Etat en Guinée et au Mali, deux pays, comme le Sénégal, membres de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao). Il devrait également s’attaquer aux questions environnementales, notamment au Sahel, avec ce projet de Grande Muraille verte dont il parle assez régulièrement. Mais tout cela, malheureusement, va être encore une fois soumis à la question du Covid-19. L’évolution de la pandémie aura de toute manière un impact sur son agenda.

Comment pourra-t-il faire avancer ces dossiers prioritaires ?

En arrivant avec des plans préparés et des objectifs clairs, même s’ils sont modestes. La diplomatie sénégalaise existe, elle ne découvre pas l’UA. Mais il devra faire avec une machine en pleine réforme et qui est, tout de même, encore assez souvent dysfonctionnelle.

Le budget de l’UA est encore très dépendant des financements extérieurs. Est-ce une faiblesse ?

Ça va mieux. Certains pays sont à jour de leurs contributions et les mécanismes de financement via la taxe douanière de 0,2 % sur les importations [réforme Kagame] se mettent peu à peu en place. Mais la plupart des membres n’ont pas encore fait leur ce mécanisme et il est difficile d’avoir des informations sur ce sujet. On tend vers une autonomisation financière de l’institution, mais on n’y est pas encore. Une partie significative de l’argent vient encore de bailleurs de fonds comme l’Union européenne (UE).

« La France a tendance à privilégier une approche bilatérale dans ses relations avec les pays africains, plutôt que le multilatéralisme avec l’UA »

Toutefois, les pressions exercées par Bruxelles ne sont pas particulièrement fortes sur la question financière. Déjà parce que les financements européens sont un moyen d’avoir de l’influence sur l’UA et peut-être parce qu’au sein de l’UE, tout le monde ne voit pas l’UA de la même manière. Certains, comme la France, ont tendance à privilégier une approche bilatérale dans leurs relations avec les pays africains, plutôt que le multilatéralisme avec l’UA. D’autres, comme l’Allemagne ou les Pays-Bas, préfèrent travailler avec l’institution, étant eux-mêmes d’une tradition très multilatéraliste et ayant moins d’ambassades sur le continent. Il y a ainsi des philosophies différentes au sein de l’UE.

Emmanuel Macron dit pourtant vouloir mettre l’accent sur le multilatéralisme…

L’idée est plutôt de travailler avec un certain nombre de chefs d’Etats africains exerçant une influence dans leurs régions respectives. Il y a eu ainsi beaucoup d’efforts déployés pour sortir du traditionnel pré carré français sur le continent. Mais je ne discerne pas d’efforts particuliers en direction de l’UA.

Au Sénégal, le président Macky Sall vient de rétablir la fonction de premier ministre, qu’il avait lui-même supprimée il y a quelques années, au prétexte de vouloir se consacrer à la présidence de l’UA. Est-ce une bonne justification ?

Il y a sans doute une part de cuisine politique intérieure, mais une présidence de l’UA réussie nécessite de s’en donner les moyens et notamment de voyager beaucoup en Afrique et au-delà. Regardons Paul Kagame. Pendant sa présidence en 2018, il a effectué plus de 30 déplacements à l’étranger. Pour espérer obtenir des résultats, il faut rencontrer les chefs d’Etat africains et ne pas se contenter de leur téléphoner. C’est aussi une fonction de représentation à l’extérieur du continent. Il faut pouvoir gérer les deux de front.

Christophe Châtelot

05 janvier 2022
Source : https://www.lemonde.fr/afrique/