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Douce puissance de la Turquie au Sahel

 

Image d'illustration

Ankara renforce ses liens avec les capitales du Sahel ; elle construit des mosquées et des hôpitaux et ouvre des marchés d’exportation. Le pacte de défense qu’elle a conclu avec Niamey a poussé ses rivaux à s’inquiéter de ses intentions. Ankara, à l’instar d’autres puissances extérieures, devrait tout mettre en oeuvre pour éviter d’intensifier la compétition au sein de la région. Depuis qu’elle a consacré l’année 2005 « année de l’Afrique », la Turquie a noué des liens politiques et économiques partout sur le continent africain, par le biais de l’aide humanitaire et du commerce, dans le cadre d’un programme visant à renforcer son rayonnement dans le monde. Fer de lance de cet effort, Recep Tayyip Erdoğan, en tant que Premier ministre d’abord, jusqu’en 2014, et ensuite en tant que président, a cultivé des relations avec les dirigeants africains, aidé les entreprises turques à accéder à de nouveaux marchés et financé des projets qui font de la Turquie une garante de la culture islamique dans les pays africains à forte majorité musulmane.

Ankara cherche à étendre sa sphère d’influence en Afrique, mais la Turquie est non seulement en concurrence avec les Etats occidentaux, mais aussi avec des Etats arabes. La rivalité qui oppose l’Egypte, l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis (EAU) d’une part, et la Turquie et le Qatar d’autre part, s’est transposée dans des régions en proie aux conflits, comme la corne de l’Afrique, ce qui y a souvent exacerbé l’instabilité. C’est toutefois l’avancée de la Turquie dans une autre région, le Sahel, qui a récemment inquiété les gouvernements occidentaux et du Golfe. Ceux-ci craignent en effet que la présence de la Turquie ne menace leurs intérêts géopolitiques dans une région perçue par beaucoup comme un enjeu primordial dans la guerre contre les insurgés jihadistes.

L’approche fortement militaire menée par la France au Sahel montre des signes de faiblesse. Comme Crisis Group l’a expliqué précédemment, les violences communautaires, l’insurrection islamiste et la frustration de la population face à des gouvernements qui semblent mal équipés pour étouffer la violence et protéger les citoyens ne cessent de croitre. Le nombre d’attaques jihadistes a quintuplé depuis 2016 et les conflits intercommunautaires s’intensifient. Les trois Etats du Sahel central – le Mali, le Burkina Faso et le Niger – peinent à ne pas céder de terrain, et encore plus à asseoir l’autorité de l’Etat dans des zones revendiquées par les insurgés. Pendant ce temps, les jihadistes s’implantent, mettent sur pied des insurrections rurales, exploitent les rancunes locales pour recruter des combattants et élargissent leurs opérations. La déception face à l’incapacité à enrayer l’insécurité a alimenté un sentiment anti-français dans les capitales du Sahel. Si la Turquie, dont les relations avec la France sont tendues, renforçait son positionnement en tant que partenaire sécuritaire alternatif, les tensions pourraient s’accentuer. En novembre 2020, le président français Emmanuel Macron a accusé la Turquie de fragiliser les liens de la France avec l’Afrique de l’Ouest en jouant sur « le ressentiment post-colonial ». (Par ailleurs, en juin 2021, il a annoncé que le nombre de soldats français présents au Sahel, actuellement au nombre de 5 100, devrait être réduit de moitié d’ici 2023.)

En réalité, les incursions de la Turquie au Sahel se sont jusqu’à présent principalement limitées à projeter sa « puissance douce » (soft power). Les activités d’Ankara dans la région sont principalement axées sur l’aide au développement et les liens commerciaux, même si elle a signé un accord de défense avec le Niger. En Somalie, l’aide et le commerce turcs ont aussi mené à un renforcement de l’engagement militaire, mais l’engagement turc en Somalie a davantage oeuvré dans le sens de la stabilisation que du conflit avec les objectifs occidentaux. Les Etats du Sahel et les puissances extérieures feraient mieux de profiter de ce que la Turquie a à offrir plutôt que de la percevoir comme une menace intrinsèque — d’autant plus que Macron et Erdogan, qui se sont entretenus en privé en marge du sommet de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord en juin, semblent oeuvrer à une réconciliation. Les récents efforts visant à apaiser les tensions entre la Turquie et l’Egypte et entre les Etats du Golfe en conflit laissent présager qu’un  rapprochement plus vaste est possible. Au lieu de se faire concurrence dans le Sahel, les puissances extérieures devraient chercher à coopérer pour le bien de cette région en proie aux troubles.

Puissance douce

Jusqu’à présent, les ambitions turques au Sahel semblent principalement d’ordre économique. En effet, selon Ankara, sa priorité dans la région est d’élargir ses relations commerciales. Toutefois, certains observateurs scrutent les actions de la Turquie en Somalie et, plus largement, dans la corne de l’Afrique, et s’interrogent sur la portée de son engagement au Sahel.

Les rivaux de la Turquie laissent souvent entendre que sa présence dans des pays africains musulmans, comme la Somalie et le Soudan, témoigne de visées idéologiques — avec l’objectif plus précis d’améliorer les perspectives pour les Frères musulmans et autres islamistes — ou de l’envie de renforcer son poids géopolitique. Cette impression n’est pas tout à fait fausse. Le vaste soutien qu’Ankara a apporté aux Somaliens confrontés à une famine dévastatrice en 2011 lui a conféré une grande popularité. Elle a ensuite utilisé cette influence pour renforcer les intérêts des alliés locaux, parfois issus des Frères musulmans. En 2017, Ankara a ouvert une base militaire à Mogadiscio, laquelle est le plus grand camp d’entraînement de ce genre en dehors de la Turquie. Elle s’est également bien ancrée au port de Mogadiscio, qu’elle considère comme un élément stratégique essentiel pour projeter une puissance militaire autour des points stratégiques de la mer Rouge et de l’océan Indien. La Turquie est désormais l’un des acteurs étrangers les plus influents en Somalie, ce que de nombreux Somaliens voient d’un bon oeil. Elle ne coordonne pas les activités qu’elle mène aux côtés des forces de sécurité somaliennes, par exemple, avec les puissances occidentales, sans pour autant entamer ses relations avec ces dernières.

Néanmoins, s’arrêter à ces seules considérations, c’est risquer de passer à côté de ce qui apparait jusqu’à présent comme un aspect essentiel de l’engagement d’Ankara au Sahel : la volonté de tirer parti d’une identité religieuse commune pour promouvoir ses intérêts économiques. Certes, cet engagement pourrait aussi mener à une coopération bilatérale accrue en matière de sécurité, comme ce fut le cas en Somalie, et alimenter ainsi la compétition avec les pays du Golfe persique rivaux de la Turquie. Pour l’heure, toutefois, Ankara semble se concentrer sur des projets et des investissements au Sahel qui ont l’appui de la population, ce qui ouvre les portes d’un nouveau marché aux exportateurs turcs.

Ayant ouvert des ambassades à Bamako (2010), Ouagadougou (2012) et Niamey (2012), Ankara cherche à courtiser les élites religieuses et politiques et à répondre aux besoins de populations en difficulté. Au Mali, par exemple, la Turquie a construit une mosquée dans un quartier huppé de la capitale pour le Haut conseil islamique du Mali, l’association religieuse la plus puissante du pays, et en a rénové une autre dans la ville natale de l’ancien président Ibrahim Boubacar Keïta. Dans la ville septentrionale d’Agadez, au Niger, elle a restauré la grande mosquée et le palais du sultan de l’Aïr. Ceci lui a permis de mettre en exergue les liens historiques qui unissent la Turquie aux sultans de la région ; d’après la tradition orale, le premier d’entre eux serait en effet né à Istanbul dans les années 1400. Parallèlement, la Turquie a apporté une aide bienvenue dans les domaines des soins de santé, de l’accès à l’eau et de l’éducation ; elle a construit des hôpitaux à Bamako (terminé en 2018) et à Niamey (en 2019) et a déployé des cliniques mobiles dans des villes de province du Mali, comme Koulikoro et Sikasso. L’Agence turque pour la coopération et le développement international (Tika), des oeuvres de charité et des ONG turques sont par ailleurs intervenues pour améliorer l’accès des habitants des zones rurales à l’éducation religieuse et à l’eau.

Comme ce fut le cas dans d’autres parties de l’Afrique, les populations locales ont accueilli favorablement ces projets, ce qui a contribué à ouvrir les marchés aux biens turcs et a dynamisé les efforts fournis par Ankara pour obtenir des contrats pour des entreprises turques des secteurs du bâtiment, de l’énergie et des mines. Si la force commerciale turque au Sahel reste anecdotique comparée aux centaines de millions de dollars générés annuellement par les exportations chinoises et françaises dans la région, elle a tout de même fortement augmenté au cours des dix dernières années. Les activités commerciales entre le Mali et la Turquie, notamment, ont plus que décuplé, passant de 5 millions de dollars en 2003 à 57 millions de dollars en 2019. L’établissement de vols directs entre Istanbul et Bamako, Niamey et Ouagadougou par Turkish Airlines a donné un véritable coup de fouet au commerce en ouvrant des voies commerciales aux entrepreneurs sahéliens découragés par les politiques frontalières de plus en plus strictes de l’Europe. Par ailleurs, un vol direct de Turkish Airlines reliant Bamako à Djeddah est très prisé par les pèlerins africains en Arabie Saoudite.

Certains projets turcs sont toutefois moins populaires. En 2017, une tentative de coup d’Etat a eu lieu à Ankara. Le gouvernement turc l’a imputée aux adeptes de Fethullah Gülen, un prédicateur turc islamique qui s’est exilé aux Etats-Unis en 1999. Suite à cela, la fondation Maarif de Turquie a signé un accord avec le ministre de l’Education du Mali lui permettant de prendre le contrôle d’un réseau de dix-huit écoles Horizon, affiliées à Gülen, à Bamako. Cette prise en main brutale a refroidi certains anciens élèves et nuit à la réputation des écoles.

Comme ce fut le cas ailleurs en Afrique subsaharienne, les constructions réalisées par la Turquie au Sahel concernent principalement les infrastructures. Au Niger, des entreprises turques ont mené à bien divers projets importants pour que Niamey puisse accueillir le sommet de l’Union africaine en juin 2019, notamment un nouvel aéroport international et un hôtel cinq étoiles. Au Mali, la Turquie a signé un accord temporaire pour un système de métrobus à Bamako.

Puissance dure

Les responsables turcs indiquent qu’à leurs yeux, la puissance militaire est nécessaire pour protéger leurs investissements.

Alors qu’Ankara cherche des perspectives commerciales au Sahel, les responsables turcs indiquent qu’à leurs yeux, la puissance militaire est nécessaire pour protéger leurs investissements. Au départ, la Turquie a adopté une approche coopérative de la sécurité dans la région. Celle-ci incluait un appui diplomatique aux efforts multilatéraux tels que l’accord pour la paix et la réconciliation, signé à Alger en 2015 par le gouvernement du Mali, des groupes armés pro-gouvernement et une alliance de groupes rebelles armés. Ankara a aussi donné 5 millions de dollars à la force G5 du Sahel, une coalition régionale qui a commencé à déployer des troupes issues du Burkina Faso, du Tchad, du Mali, de Mauritanie et du Niger en 2018, principalement pour combattre les insurgés islamistes dans la zone dite des « trois frontières », située entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger.

Juillet 2020 a vu apparaitre une forme d’aide militaire plus controversée ; Ankara et Niamey ont alors signé un pacte de défense qui pourrait (le texte demeure secret), à l’avenir, jeter les bases d’un soutien opérationnel direct de la Turquie au Niger. L’accord a été conclu à peine un an après la publication de rapports indiquant que la France allait fermer sa base de Madama, non loin de la frontière libyenne, tout au nord du Niger, et peut-être la laisser aux EAU (aujourd’hui, il n’est plus question d’une reprise par les Emirati). Le pacte Turquie-Niger a alarmé Paris et Abou Dhabi. Pour les deux capitales, cet accord contenait la possibilité pour la Turquie d’étendre son influence de la Libye voisine au Niger ainsi que d’y établir une base militaire, comme elle l’a fait en Somalie.

L’accord Turquie-Niger a donné lieu à quantité de rumeurs sur l’ingérence régionale turque, lesquelles ont toutes été démenties par Ankara et que plusieurs sources interrogées par Crisis Group estiment sans fondement. Un document d’orientation politique émirati d’août 2020, par exemple, avertissait qu’Ankara était en train d’armer les insurgés au Sahel et en Afrique de l’Ouest pour mettre la main sur les ressources naturelles et propager l’islam politique. Le même mois, le ministre des Affaires étrangères turc, Mevlüt Çavusoglu, est devenu le premier haut responsable étranger à rencontrer les dirigeants et auteurs du coup d’Etat du 18 août au Mali, ce qui donne du grain à moudre à certains observateurs quant au fait que la Turquie aurait été impliquée dans la chute du gouvernement d’Ibrahim Boubacar Keïta. Début 2021, après des mois de tensions entre la Turquie et la France en Libye et dans la Méditerranée orientale, des responsables politiques et commentateurs français ont laissé entendre que des jihadistes déployés par la Turquie pourraient être responsable d’une recrudescence des attaques menées contre des soldats français au Mali à l’aide d’engins explosifs improvisés. Selon divers hauts responsables maliens, des groupes armés du nord du Mali et des diplomates occidentaux dans la région, de telles rumeurs reflètent une inquiétude croissante quant à l’ampleur des ambitions régionales d’Ankara. Un responsable turc dans la région se plaignait que les tensions en Méditerranée avaient déjà dissuadé nombre des partenaires européens du Sahel de coopérer avec la Turquie.

L’accord de défense conclu entre la Turquie et le Niger prévoirait que des soldats turcs viennent former et appuyer les forces nigériennes dans leur combat contre les différentes factions issues de l’insurrection de Boko Haram et que la Turquie aide à sécuriser les frontières du pays avec le Mali et le Burkina Faso. Les élections présidentielles qui se sont tenues au Niger dans un contexte tendu – le tout premier transfert de pouvoir démocratique du pays, malgré de violentes manifestations, la répression policière et des irrégularités électorales – semblent avoir retardé la mise en oeuvre de ces plans. De hauts responsables militaires de Niamey ont indiqué à Crisis Group que la pleine entrée en vigueur du pacte se ferait à la discrétion du cabinet du président Mohamed Bazoum, après son investiture, en avril 2021.

Au Mali, qui est depuis des années l’épicentre des conflits au Sahel, l’empreinte militaire turque se limite à quelques programmes d’aide sécuritaire dans la capitale. En 2018, Ankara a commencé à accueillir des officiers maliens en Turquie pour les former et à doter l’armée malienne d’armes légères et de munitions. Il semble que les EAU et le Qatar, un proche allié de la Turquie, rivalisent pour renforcer leur influence. Un haut responsable politique a indiqué à Crisis Group qu’un contrat conclu en janvier 2020 avec les EAU pour la vente de 30 véhicules blindés Typhoon au Mali visait à faire échouer un projet d’achat par le Qatar d’hélicoptères français pour l’armée malienne. Une intensification de ce type d’accords avec les Emirati pourrait pousser la Turquie à s’impliquer davantage.

Compétition ou coopération ?

Bien que de nombreux Sahéliens se soient réjouis de l’arrivée rapide d’Ankara dans la région, certains Etats du Golfe et occidentaux sont moins enthousiastes. L’impression qu’Ankara cherche à étendre son influence militaire pourrait devenir une prophétie autoréalisatrice si elle poussait Abou Dhabi à renforcer sa propre présence militaire. Toutefois, pour l’heure, rien n’indique concrètement qu’Ankara se prépare à jouer autre chose qu’un rôle mineur dans les conflits de la région.

Les partenaires occidentaux craignent quant à eux que la Turquie ne devienne une concurrente économique et se méfient de cette nouvelle posture affirmée de la Turquie dans cette région déjà très militarisée. Les diplomates occidentaux ont à la fois tendance à exagérer et à sous-estimer l’influence turque. Un diplomate européen qualifie par exemple les activités de la Turquie au Sahel d’« offensive ». Par ailleurs, ce même diplomate souligne que jusqu’à présent, les interventions d’Ankara étaient plutôt opportunistes et non inscrites dans un plan stratégique plus large. En réalité, l’aide  humanitaire et les investissements turcs ne soutiennent pas la comparaison face aux montants considérables que les puissances occidentales plus riches ont distribués. Alors que l’Union Européenne et ses Etats membres ont injecté plus de 8 milliards de dollars au Sahel central depuis 2014, pour la seule coopération au développement, les données de la Tika indiquent que la Turquie a dépensé seulement 61 millions de dollars entre 2014 et 2019 en aide au développement. Un autre diplomate occidental soutient pour sa part qu’il est encore trop tôt pour déterminer si le fait que la Turquie construise des écoles et des hôpitaux en échange du développement de ses marchés d’exportation est le signe d’ambitions modestes et principalement économiques ou celui de visées géopolitiques plus vastes — qui pourraient impliquer, à terme, l’envoi de soldats ou de mercenaires ou la promotion de la gouvernance islamiste dans la région.

Les Sahéliens voient, pour leur part, la Turquie sous un jour positif. Nombre d’entre eux ont accueilli la Turquie comme un acteur international de poids, avec lequel ils ont plus en commun que l’Europe, la Russie ou la Chine, et qui peut leur apporter beaucoup. Pour eux, la Turquie est moins arrogante que l’UE ou la France et constitue un partenaire ayant des intérêts similaires. La Turquie n’est par exemple pas particulièrement attachée à atténuer les flux de migrants comme l’est l’Europe. L’islam représente un lien commun. Beaucoup de décideurs et d’entrepreneurs sahéliens sont irrités par le fait que la région dépende de l’aide européenne et de l’appui militaire français et se disent intéressés par une diversification des alliances. « Les pays occidentaux sont trop présents dans nos conflits. Nous aimerions que des pays arabes ou musulmans jouent un rôle plus actif dans la résolution de ces conflits », a indiqué un universitaire malien ayant fait ses études en Occident. Pour le Niger, la perspective d’une coopération en matière de défense avec la Turquie génère de l’optimisme. « L’échange de renseignements, le renforcement des capacités et la formation militaire que propose la Turquie dans le cadre de cet accord de défense contribueront largement à améliorer la sécurité », a déclaré un responsable nigérien de la défense à Crisis Group.

Si l’expansion turque au Sahel, vue sa faible ampleur, demeure pour l’instant peu susceptible de bouleverser les dynamiques régionales, il n’en reste pas moins essentiel d’éviter de renforcer la compétition géopolitique dans la région.

Le principal danger est qu’Ankara renforce sa présence, ce qui pourrait pousser des acteurs du Golfe tels que les EAU, dont l’engagement régional est resté jusqu’ici assez limité, à intervenir. Le rapprochement récent survenu entre la Turquie et l’Egypte, et entre les Etats du Golfe en conflit, n’en est qu’à ses débuts. Il est pour l’instant difficile de savoir dans quelle mesure il permettra d’atténuer la compétition qui oppose ces Etats et qui a souvent contribué à déstabiliser l’Afrique du Nord et la corne de l’Afrique. Les différentes parties doivent éviter de créer un nouveau champ de bataille au Sahel. Idéalement, et d’autant plus que la France devrait réduire sa coopération militaire bilatérale, la Turquie devrait continuer de soutenir les efforts multilatéraux au Sahel et limiter toute coopération militaire bilatérale à la formation des forces de sécurité, ce qui permettrait de dissiper bien des rumeurs quant à ses intentions.

Les partenaires européens devraient quant à eux passer outre leur réticence à collaborer avec la Turquie. Ankara peut contribuer à des projets d’infrastructure et de développement ainsi qu’aux initiatives multilatérales soutenues par l’Europe. Les ambitions régionales turques ne sont certes pas encore pleinement déployées, et le pacte de défense avec le Niger est, légitimement, perçu — par les rivaux d’Ankara, mais pas seulement — comme une nouvelle forme dangereuse de militarisation régionale. Mais pour l’heure, les capitales européennes devraient tenir compte des éventuels avantages d’une coopération au Sahel avec un pays dont les objectifs dans la région — qui jusqu’à présent impliquent principalement d’apporter de l’aide et de développer des relations commerciales en soutien à des Etats fragiles — s’alignent largement sur ceux de l’Europe.

Hannah Armstrong

Senior Consulting Analyst Sahel